Les héroïnes de la résistance anticommuniste : Elisabeta Rizea
La résistance armée anticommuniste et antisoviétique vit le jour dans les montagnes de Roumanie, dès l’automne 1944. Les groupes de partisans se sont notamment concentrés dans les Carpates; c’est là que leurs leaders et leurs successeurs ont agi, en mettant leur empreinte sur l’histoire de la Roumanie, de sorte que les générations futures n’aient pas honte de leur passé et de leurs ancêtres.
Steliu Lambru, 29.07.2013, 14:25
Les pages de la résistance armée anticommuniste de Roumanie ont été écrites par des militaires, étudiants, paysans, ouvriers, par des hommes et des femmes. La participation des femmes à la résistance est restée méconnue aux Roumains jusqu’en 1989, lorsque le silence dans lequel tout le pays avait plongé fut brisé. La paysanne Elisabeta Rizea de la commune de Nucsoara, du département de Arges (sud de la Roumanie) est alors apparue comme la figure iconique de l’héroïne qui a gardé sa verticalité. Elle est devenue célèbre grâce au documentaire de télévision « Memorialul Durerii » — Le mémorial de la souffrance.
Elisabeta Rizea n’a pas lutté sur les fronts, n’a sauvé personne de la mort et n’a pas donné sa vie pour quelqu’un d’autre. En revanche, Elisabeta Rizea a gardé ses principes : elle n’a pas menti, n’a pas donné d’informations à la Securitate sur ses voisins et ses parents ; elle a gardé vive sa conviction que la justice l’emportera finalement. Elisabeta Rizea s’est rangée du côté de ceux qui défendaient la justice et la vérité : elle leur a donné à manger et elle les a mis à l’abri des ennemis.
Elisabeta Rizea a représenté le symbole du paysan digne qui défend son petit univers : sa propriété, sa famille, sa foi. 12 années de prison — ce fut le prix qu’elle a dû payer pour tout cela. Le Centre d’histoire orale de la Radiodiffusion roumaine a eu l’honneur d’interviewer Elisabeta Rizea en 2000, lorsqu’elle était âgée de 88 ans. Dans ce qui suit, elle s’attarde sur la manière dont elle maintenait le contact avec le groupe de partisans Arsenescu-Arnăuţoiu: « Je ne suis pas une femme politique, je suis une femme juste. Je suis Roumaine, pourquoi passer du côté d’un autre pays et ne pas me mettre du côté de mes Roumains? Les partisans – je ne les ai jamais rencontrés. C’est un saule dans le tronc duquel il y avait un creux qui me servait de boîte postale. Voilà comment je m’y prenais: si je voyais l’armée arriver je leur écrivais un message: Faites attention au passage de l’armée”. Quand j’avais les gens de la Securitate sur mes traces, j’accrochais le pot à eau sur le mur extérieur de la maison. Quand les agents restaient chez moi pour manger, je pouvais entendre de la pièce à côté ce qu’ils discutaient. Et je me mettais aussitôt en route, en empruntant un sentier qui donnait sur un escalier au bout duquel il y avait ce saule, avec le trou où je mettais le billet. Et monsieur le capitaine Arnautoiu le cherchait et le lisait. Je l’informais sur la position de l’armée, sur l’endroit où j’avais mis de la nourriture, selon mes possibilités. »
Selon ses témoignages, pendant les enquêtes, on la faisait pendre par les cheveux à un crochet et on la passait à tabac. Elle se souvient qu’à ces moments-là, elle se faisait le signe de croix à l’aide de sa langue et elle priait Dieu de lui donner la force de ne pas dire ce qu’elle savait. C’était là un serment qu’aucune personne honnête n’acceptait de violer.
Elisabeta Rizea remémore également les visites que la Securitate lui rendait avant son arrestation: « C’était un petit pont non pas en ciment, mais en bois et je me rappelle que l’agent de la Securitate était chaussé de bottes. A leur simple bruit, je paralysais de panique, mon cœur battait fort comme s’il allait sortir de ma poitrine. Je me disais: ça y est, c’est fini ! Il va m’emmener pour me tuer. C’est comme cela que je passais le plus clair de mon temps! Au moment où il venait, il augmentait la flamme de la lampe à gaz, il commençait l’interrogatoire. Et moi je m’obstinais à dire que je ne savais rien de tout cela. Je n’ai rien déclaré, ils n’ont pas réussi à me faire parler. Je me rappelle avoir juré la main sur une Evangile et sur une croix qui se trouvaient dans cette chambre – là, sur une table. J’ai pris la Croix dans la main et j’ai juré sur la Bible devant le colonel Arsenescu, devant Tomita Arnautoiu et devant d’autres intellectuels. J’ai donc juré devant tout ce monde que je n’allais jamais trahir. Et j’ai tenu ma promesse ».
Il y a plus de 200 ans, le philosophe et l’homme d’Etat irlandais Edmund Burke disait : « pour que le mal triomphe, il suffit que les gens de bien ne fassent rien ». Or, dans le cas d’Elisabeta Rizea, ce furent justement les gens de bien qui ont appuyé les mauvaises gens. Les voisins restaient les yeux rivés sur elle pour rapporter par la suite à la Securitate tout ce qu’elle faisait. Jetée en prison, Elisabeta Rizea a été remise en liberté en 1963, en arrivant à survivre au régime politique qui avait marqué son existence.
L’impact qu’Elisabeta Rizea a eu sur l’opinion publique roumaine fut des plus importants, surtout dans les années 1990 — 2000. En témoigne un classement des plus grandes personnalités roumaines réalisé en 2006 et où Elisabeta Rizea a occupé la 58e position. Au moment où les autorités roumaines ont avancé l’idée d’un monument à la mémoire de la résistance anti communiste, l’opinion publique a choisi Elisabeta Rizea comme première proposition.
En 2003, Elisabeta Rizea quitta ce monde, à 91 ans, en laissant derrière une leçon de patriotisme et de dignité humaine. A connaître son histoire, on comprend qu’il y a des gens qu’on peut chasser, torturer, humilier, sans arriver jamais à les anéantir. (trad. : Alexandra Pop, Ioana Stancescu)