Francisc Josef Rainer et la naissance de l’anthropologie en Roumanie
Steliu Lambru, 24.06.2013, 12:55
Le holisme, l’approche intégrale de l’activité humaine, a été le désir de plusieurs générations de savants et d’hommes de culture qui souhaitaient dépasser les frontières entre les sciences et celle entre la science théorique et les aspects de la vie quotidienne. C’est ainsi qu’est apparue l’anthropologie, science qui, à son apparition à la fin du XIXe et au début du XXe, de son temps, donc, avait l’ambition d’être davantage que d’autres sciences n’avaient été avant elle. L’objet d’étude de l’anthropologie, c’est le phénotype, soit notre propre corps, et comment le tempérament, le caractère, la mentalité sont modifiés par le cadre social et le cadre culturel.
En Roumanie, l’anthropologie a été promue, entre autres, par le médecin Francisc Josef Rainer, ethnique allemand de Bucovine, venu d’Autriche-Hongrie avec ses parents en 1875, lorsqu’il avait un an. Professeur des Universités de Iaşi et de Bucarest jusqu’à sa mort en 1944, il a été le supporter le plus fervent de l’enseignement de l’anthropologie. Rainer a essayé d’intégrer la médecine dans le cadre culturaliste et comparativiste et a été le premier à introduire un cours d’anthropologie au niveau universitaire. Il a tenté de créer une école de pensée pour les futurs médecins, où la spécialisation comptait autant que la formation culturelle générale.
A son cours d’anatomie, Rainer utilisait des statues de sculpteurs antiques ou des tableaux d’art médiéval comme matériel didactique, pour mettre en exergue la beauté du corps humain et de ses représentations. Il instruisait ainsi ses étudiants dans les secrets du métier de médecin et les familiarisait avec l’art.
L’historien Adrian Majuru, chercheur de la biographie de Rainer, fait valoir la créativité de ce médecin érudit : « Qu’est-ce que Francisc Rainer a apporté de nouveau ? En 1937, Bucarest a accueilli un congrès international d’anthropologie, d’archéologie et de sciences préhistoriques. A l’occasion, il réussit à ouvrir le premier institut d’anthropologie de Roumanie. La méthode de recherche a été interdisciplinaire dès le début et il comptait parmi les premiers professeurs d’université à avoir introduit la culture dans un cours spécifique d’anatomie. La biologie ne doit pas être séparée de la culture pour comprendre véritablement la nature humaine. Pourquoi cette perspective est-elle importante ? Pour chaque profession, qu’elle soit corporatiste ou libérale, toute activité professionnelle liée à l’homme présuppose des connaissances qui forment la profession respective. Francisc Rainer a conféré à l’anatomie un nouveau côté, en affirmant qu’elle était la science de l’homme vivant, de l’homme en mouvement. L’homme en mouvement est un être vivant, dans un cadre limité, déterminé par le temps, et qui évolue depuis sa naissance jusqu’à sa mort ».
Une des attractions scientifiques de l’âge d’or de l’anthropologie était l’eugénisme, qui avait d’autres ambitions que l’anthropologie: la science de l’amélioration des gènes humaines, de l’amélioration de l’état général de santé physique et somatique de l’homme. Le projet eugéniste a impliqué des médecins qui ont fait de ce projet non seulement une science, mais aussi une autorité censée légitimer la supériorité culturelle et raciale. Francisc Rainer a été également séduit par les perspectives de l’eugénisme, mais il est resté en dehors de celui-ci en raison de ses composantes idéologiques.
Adrian Majuru: « Il s’est situé autour de l’eugénisme mais pas à l’intérieur de celui-ci. Généralement, il s’est éloigné de toute méthodologie disons scientifique, que les idéologies d’extrême droite avaient embrassée. En matière de convictions politiques, il a été un homme de gauche, près du cercle de Constantin Stere, sans faire partie pourtant des mouvements de gauche. Pour ce qui est de l’eugénisme, celui-ci a fait partie de sa sphère de préoccupations à application pratique ou théorique. »
Malgré ses préoccupations rationalistes et ses convictions politiques, Rainer a toujours admis la relation de l’homme avec la Divinité. Il n’était pas un agnostique, comme la majorité des médecins et des socialistes, mais il pensait que la dimension métaphysique de l’individu était liée à sa dimension physique.
Adrian Majuru : « Il a développé un élément intéressant que l’on pourrait résumer en quelques mots de la façon suivante : l’homme peut dresser un pont vers la divinité par la connaissance et la culture. Rainer a été un personnage qui a gardé une timidité affective face à la divinité. Il affirmait que l’homme moderne ne fait plus attention à l’homme intérieur : il mange, il s’amuse, il consomme. L’homme moderne a perdu l’homme intérieur que nous possédons tous, parfois sans le connaître jusqu’à la mort, et que nous n’allons jamais connaître. Cet être intérieur, l’alter ego, est celui qui peut réaliser le pont dont on vient de parler, et le savoir est accessible grâce à lui. Le côté pratique des choses, c’est l’apanage de l’autre personne. Nous avons tous une âme et un esprit. Rainer était très préoccupé par ce qu’il allait se passer avec son esprit après la mort. Il était sûr que son âme allait se libérer et suivre un trajet clair, mais il ne savait pas ce qui allait se passer avec son esprit.»
La méthode de Francisc Josef Rainer d’offrir à l’individu un horizon culturel des plus larges visait à répondre aux questions de la vie. Et pour l’homme du 20e siècle qui pensait être libéré des difficultés spécifiques aux époques précédentes, l’autorité du scientifique était extrêmement importante. (Trad. : Ligia Mihaescu)