Richard Nixon et Gerald Ford à Bucarest
Après la période de gel qui a marqué leurs relations entre 1945 et 1965 environ, les Etats-Unis et l’URSS, ainsi que les deux alliances militaires créées autours d’eux ont commencé à assouplir leur position et chercher des moyens de coexistence.
Steliu Lambru, 09.09.2013, 13:57
Chacune des deux parties esquissait des gestes diplomatiques et tentait un timide rapprochement avec l’autre, par dessus la clôture de barbelés. A l’époque de Ceausescu, la Roumanie a amorcé un tel dégel dans ses relations avec les Etats-Unis et les visites des présidents américains Richard Nixon, les 2 et 3 août 1969, et Gerald Ford, début août 1975, en ont été des signaux importants.
Mircea Carp était à l’époque le chef du département roumain de la radio « La voix de l’Amérique ». C’est lui qui a accompagné les deux présidents dans leurs visites à Bucarest. Carp a été obligé à quitter le pays après l’installation, avec le concours des Soviétiques, du régime communiste en Roumanie. En tant que journaliste, non seulement il a été un témoin oculaire de la visite de Nixon en Roumanie, mais a pu aussi se rendre compte de l’impact de cet événement sur les Roumains — comme il l’affirmait dans une interview accordée en 1997 au Centre d’Histoire orale de la Radiodiffusion roumaine : « La visite de Nixon, début août 1969, a été la première d’un président américain en Roumanie. Elle a également marqué un moment d’ouverture dans les relations entre Washington et Bucarest. En même temps, elle a soulevé une immense vague d’espoir en Roumanie, les gens attendant une amélioration de leur situation si difficile. Certains ont peut-être même cru que le pays allait être affranchi du communisme. Et là je voudrais faire une précision : je sais que dans deux chroniques consacrées à mon livre, on affirmait que les Etats-Unis avaient laissé croire aux Roumains que la visite de Nixon allait entraîner un changement — sinon une libération, du moins un amélioration notable de la situation interne. Je peux vous certifier — avec tout mon regret, d’ailleurs — que jamais, ni Richard Nixon, ni le Département d’Etat, ni l’ambassade des Etats-Unis à Bucarest n’ont laissé entendre que la visite de Nixon apporterait un changement à l’intérieur du pays, mais uniquement dans les relations entre les gouvernements de Bucarest et de Washington. »
Richard Nixon a été accueilli dans la capitale roumaine avec une immense sympathie. Ce fut un vrai triomphe, que Nicolae Ceauşescu a interprété comme un signe de sympathie à son égard. Mircea Carp explique la sympathie réelle que Nixon a témoigné Ceauşescu. « En raison surtout de cet espoir sans fondement, Nixon a été attendu en Roumanie avec un enthousiasme indescriptible. Le ministère des Affaires étrangères de Bucarest allait confirmer plus tard mon information selon laquelle environ un million de personnes étaient sorties dans les rues de la capitale pour accueillir le président américain. Leur enthousiasme a été extraordinaire! Les entretiens de Nixon et Ceauşescu ont été fondés sur un sentiment de sympathie de la part du président américain pour le leader communiste. Nixon a essayé d’utiliser la Roumanie comme un tremplin pour détendre ses relations avec Moscou. Moi, personnellement, avec tout le respect dû à Nixon, je pense que le président des Etats-Unis a été assez naïf pour croire que Ceauşescu pouvait jouer un rôle aussi important à Moscou! De toute façon, je sais sans l’ombre d’un doute que c’était là une des raisons de la visite du chef d’Etat américain. Qu’est-ce qui explique la sympathie de Nixon pour Ceauşescu? Après son échec dans la course électorale devant John F. Kennedy, Nixon avait perdu sa notoriété politique. Pour regagner du terrain, il a fait trois visites en Europe de l’Est : à Varsovie, à Moscou et à Bucarest. A Varsovie il été reçu avec froideur, à Moscou on lui a tourné le dos. A Bucarest, Ceauşescu, se doutant peut-être de quelque chose, a déroulé pour lui le tapis rouge. Et cela, Nixon ne l’a jamais oublié. L’accueil dont Nixon a bénéficié à Bucarest a été peut-être un de ses moments de publicité les plus glorieux — publicité non pas politique, mais publicité, tout court — dans ses relations avec l’étranger. »
6 ans plus tard, le successeur de Nixon, Gerald Ford, visitait à son tour la Roumanie. Bien que grand, son succès n’a pas égalé celui de Nixon, en 1969. Mircea Carp. « Gerald Ford arrivait d’Helsinki, via Varsovie. Il venait de participer au sommet de la capitale finlandaise sur la sécurité et la coopération en Europe. Il s’était arrêté à Varsovie, où il avait été très, très bien reçu, ensuite il s’est rendu à Bucarest, où l’accueil a également été très bon, pourtant loin derrière celui que les Bucarestois avaient réservé à Nixon six années auparavant. A l’époque, on me fit savoir que Ceauşescu lui-même et son entourage, se rappelant les gens sortis en 1969 dans les rues de la capitale en plus grand nombre qu’ils ne l’avaient souhaité ou permis, ont tenu cette fois-ci tout l’accueil sous contrôle. Il paraît que le nombre de personnes présentes n’a plus dépassé les 400.000. De leur côté, les Roumains n’étaient déjà, eux non plus, aussi enthousiastes : les 6 années écoulées depuis la visite de Nixon avaient prouvé que les Etats-Unis ne souhaitaient pas s’engager, au-delà de leurs propres intérêts politiques, dans une amélioration de la situation en Roumanie. »
Les visites de Richard Nixon et de Gerald Ford en Roumanie avaient été des gestes de rapprochement entre les deux systèmes politiques et militaires rivaux, pourtant elles n’ont rien apporté de concret, car les deux régimes étaient irréconciliables. (Aut. : Steliu Lambru ; Trad.: Dominique)