Movile – « la grotte hors du temps »
« La grotte hors du temps », c’est par ces mots que le spéléologue Cristian Lascu décrit un endroit quasi unique sur la Terre, qu’il a eu l’occasion de dévoiler au monde entier. Située dans le sud-est de la Roumanie, à proximité de la mer Noire, la grotte de Movile se distingue par son écosystème tout à fait à part, formé d’organismes qui ont dû s’adapter à une vie pratiquement sans oxygène. Et pour cause : la grotte n’ayant aucune communication avec le monde extérieur, l’oxygène n’y est présent qu’en proportion de 7%. D’où l’unicité des organismes qui y vivent… à l’aide de la chimiosynthèse. C’est-à-dire, ils transforment les molécules avec atomes de carbone en éléments nutritifs.
Valentina Beleavski, 03.02.2015, 14:02
« La grotte hors du temps », c’est par ces mots que le spéléologue Cristian Lascu décrit un endroit quasi unique sur la Terre, qu’il a eu l’occasion de dévoiler au monde entier. Située dans le sud-est de la Roumanie, à proximité de la mer Noire, la grotte de Movile se distingue par son écosystème tout à fait à part, formé d’organismes qui ont dû s’adapter à une vie pratiquement sans oxygène. Et pour cause : la grotte n’ayant aucune communication avec le monde extérieur, l’oxygène n’y est présent qu’en proportion de 7%. D’où l’unicité des organismes qui y vivent… à l’aide de la chimiosynthèse. C’est-à-dire, ils transforment les molécules avec atomes de carbone en éléments nutritifs.
Toutefois, ce ne fut pas une grotte découverte par hasard, on soupçonnait déjà qu’il pouvait en exister une, affirme Cristian Lascu, spéléologue et rédacteur en chef du magazine National Geographic Roumanie : « Ici on voulait bâtir une centrale thermique fonctionnant à base de lignite. J’ai été contacté pour y faire une expertise spéléologique karstique. Je mattendais déjà à ce quil y ait des grottes dans la zone et alors je leur ai demandé de creuser 4 puits pour y faire des investigations géologiques. Ma mission était d’établir le niveau de karstification de la zone, de voir sil y avait des fosses dans le sol. Bref, jy suis allé pour trouver une grotte et je lai trouvée ».
Certes, ce fut un mélange de bonne intuition professionnelle et de chance, ajoute Cristian Lascu. Car on aurait pu très bien faire des forages juste à côté de la grotte sans jamais la trouver. 3:18 La grotte de Movile nest pas très grande, mais elle contient de leau sulfureuse mésothermale. Cest autour de ces eaux, entre les petites chambres isolées par des passages inondés, que vit une riche faune. Ce sont des invertébrés pour la plupart : sangsues, scorpions, araignées, myriapodes. Au total 35 espèces dont la science ignorait l’existence.
Un univers caché pendant des millénaires. Des insectes qui n’ont plus eu besoin d’ailes une fois piégés sous la terre. Des organismes dont la pigmentation a disparu et qui sont devenus complètement aveugles en l’absence de toute source de lumière. Comment se nourrit une telle population, si nombreuse d’ailleurs ? Surtout quil ny avait aucun indice que de la matière organique ait pu pénétrer à lintérieur de cette grotte qui navait pas eu dentrée naturelle, elle avait été ouverte par un puits minier. Cétait ça le mystère: comment vivent ces animaux? Cest alors que les chercheurs roumains ont lancé l’hypothèse dune nourriture produite in situ par des réactions chimiques, par la chimiosynthèse et non pas par la photosynthèse. En fait, les bactéries sont devenues la source d’alimentation de ces organismes, remplaçant les végétaux.
Cristian Lascu raconte : « Le principal défi était de démontrer que la nourriture ne provenait pas de lextérieur. Ce qui nétait pas du tout facile à faire. Cest mon collègue Serban, notre biologiste, qui a réussi à prouver que le métabolisme des organismes de la grotte de Movile comportait un seul type disotope de dioxyde de carbone, spécifique aux eaux profondes, et non pas lisotope qui circule dans latmosphère. Il a fallu 10 ans pour le prouver, on a fait plusieurs tests dans des laboratoires américains renommés, donc les résultats ont eu un plus de de crédibilité. L’effort financier a lui aussi été considérable. Mais cest uniquement de cette manière que notre découverte a fait lobjet dun article du prestigieux magazine Science. Une semaine plus tard, nous avons reçu la visite des spécialistes de la Nasa ».
Au début, l’hypothèse de la chimiosynthèse a été reçue avec beaucoup de scepticisme, se souvient Cristian Lascu. En témoigne le fait quà une seule exception près, son équipe na pas eu de financement roumain pour dérouler des recherches. Heureusement, la National Geographic Society a approuvé deux bourses pour les scientifiques roumains, ce qui a ouvert les portes à dautres financements, notamment de la part de lAcadémie des sciences des Etats Unis, de la fondation Wolkswagen et de différentes institutions françaises et allemandes.
La grotte de Movile a été associée à la planète Mars, par ceux qui espèrent trouver de la vie dans les grottes volcaniques qui abondent sur la planète rouge. D’où l’intérêt de la Nasa. Les exo biologistes avaient le modèle en théorie et tout d’un coup ils ont vu dans le magazine Science que leur théorie existait effectivement dans une petite grotte roumaine. Cette comparaison est un peu exagérée, explique Cristian Lascu. Mais une chose est sûre : la découverte de cet endroit a obligé les scientifiques à repenser leurs théories :
Cristian Lascu: « A lheure actuelle, la grotte de Movile fait partie dun « club privé » de grottes et sources deau très chaude ayant les mêmes caractéristiques, où la vie est possible grâce à la chimiosynthèse. Cest notamment dans ces sources deau très chaude que lon a découvert des formes très primitives de vie. En plus, il y a une hypothèse selon laquelle la vie est apparue en fait dans ces eaux hyper chaudes, dans des milieux riches en dioxyde de carbone, hydrogène sulfuré, méthane, semblables à différentes planètes telles que Vénus par exemple. Peu à peu, ces organismes ont commencé à produire de loxygène et lon est parvenu à avoir une planète riche en oxygène où les organismes vivent à laide de loxygène et de la photosynthèse. De ce point de vue, les découvertes comme celle de la grotte de Movile nous donnent du fil à retordre, apportant des arguments en faveur de scénarios nouveaux sur lorigine de la vie. Elles nous incitent à avoir une nouvelle approche de la vie dans lespace, et nous rendent conscients du fait que sous nos pieds, à quelques milliers de mètres de profondeur, il existe pratiquement une seconde biosphère représentée par de tels microorganismes vivant dans des eaux hyper thermales riches en gaz. Une autre hypothèse très audacieuse est que la biomasse de ces organismes dépasserait lensemble de la biomasse terrestre connue ».
Il n’y a que quelques grottes au monde semblables à celle trouvée par le spéléologue Cristian Lascu à Movile. A l’heure actuelle, des programmes de recherche sont en déroulement aux côtés des scientifiques britanniques et tchèques. Presque 20 années après sa découverte, cette grotte « hors du temps » reste une source inépuisable de recherche.