Le Baron Franz von Nopcea
Un aventurier c’est quelqu’un qui a la bougeotte, qui aime faire reculer les frontières de l’inconnu, une personne en permanente quête de nouveau, celui dont les exploits sont perçus par ses contemporains comme inimaginables ou inacceptables.
Steliu Lambru, 29.11.2013, 15:00
Un aventurier c’est quelqu’un qui a la bougeotte, qui aime faire reculer les frontières de l’inconnu, une personne en permanente quête de nouveau, celui dont les exploits sont perçus par ses contemporains comme inimaginables ou inacceptables.
Le non-conformiste baron Franz Nopcsa von Felső-Szilvás est considéré comme le père de deux disciplines, à savoir la paléobiologie et l’albanologie. Il est né en 1877 dans la contrée de Hunedoara, au sud-est de l’empire Autriche-Hongrie, actuellement territoire de l’ouest de la Roumanie. Dans la plupart des sources documentaires, il est mentionné comme noble d’origine hongroise. D’après certaines voix, il aurait été Roumain magyarisé. Cette dernière théorie repose sur l’étude de son nom. En effet, Nopcea signifie «noapte», «nuit» en roumain, dans la prononciation locale du terme. Un de ses grands-pères, fameux dans la contrée de Haţeg, aurait eu la réputation d’un personnage excentrique. Les gens du parage l’appelaient ”Visage noir”. A la tombée de la nuit, encapuchonné tels les brigands de grand chemin, il pillait les voyageurs. Les légendes parlent de lui comme d’une sorte de haïdouk, qui volait les riches pour donner le butin entier aux pauvres.
Nopcea débute assez tôt sa carrière d’érudit. A 18 ans, il part pour Vienne, où il fait des études de paléontologie et de géologie. Il y amène quelques os étranges, découverts en 1895 par sa sœur dans les Monts Retezat. Dans les années qui suivent, ces os s’avéreront être les fossiles d’une espèce de dinosaures nains qui auraient peuplé le Pays de Hateg, plusieurs millions d’années auparavant. Nopcea décroche le titre de docteur ès sciences et publie plus de 150 ouvrages de paléontologie et de géologie.
La curiosité et l’ouverture à la nouveauté l’ont poussé vers la photographie et l’art militaire aussi. La politique étrangère menée par l’empire austro-hongrois, qui visait à élargir sa sphère d’influence à l’espace contrôlé par les Ottomans, allait l’amener dans les Balkans, du côté de l’Albanie, pays qui allait proclamer son indépendance en 1912. Nombre d’aventuriers cherchaient à tenter le coup de leur vie dans les Balkans. Certains rêvaient de devenir princes régnants ou même rois. Nopcea en était un. Il s’est mêlé dans les conflits locaux et en est sorti blessé. Il jouissait d’une grande popularité au sein des milieux nationalistes albanais qui luttaient pour l’indépendance, étant considéré comme le candidat favori au trône de l’Albanie.
Dans une photo datée de cette époque-là, on le voit habillé d’un costume traditionnel albanais et armé. Pendant son séjour en Albanie, il a appris la langue et les coutumes des habitants et s’est initié à la culture albanaise. Nopcea compte parmi les rares occidentaux à avoir voyagé en Albanie dans ces années troubles du début du 20e siècle. Il est aussi le premier albanologue de l’espace austro-hongrois. Nopcea est l’auteur d’une cinquantaine d’études portant sur la langue, l’histoire, l’ethnographie, le folklore et la législation des Albanais.
C’est en novembre 1906, à Bucarest, que Nopcea fait la connaissance de Baiazid Doda, un Albanais qui résidait dans la capitale roumaine. Les deux hommes ont entamé une relation professionnelle et personnelle. Aux dires du savant, en tant que secrétaire et amant, Doda était la seule personne qui avait éprouvé pour lui des sentiments authentiques et qui lui inspirait une confiance absolue. Une fois la première Guerre mondiale finie, les propriétés de Nopcea ont été confisquées par l’Etat roumain. Le baron, accompagné par Doda, s’est vu obliger à s’établir à Vienne, mais il ne cessa jamais de se battre pour récupérer ses biens. Lors d’une bagarre, il reçoit en pleine tête une pierre jetée par des paysans. Le 25 avril 1933, Nopcea tue son amant qui dormait dans une chambre d’hôtel à Vienne avant de se donner la mort en se tirant une balle dans la bouche. Un geste que ce baron aventurier a expliqué dans sa lettre d’adieu par le désespoir causé par la pauvreté et la misère.
Certains fossiles mis au jour dans la zone de Hateg ont été nommés d’après le baron Nopcea. Par exemple, une vertèbre d’un dinosaure s’appelle Nopcsaspondylus. A noter aussi les dinausaures appelés elopteryx nopcsai, tethysaurus nopcsai, hyposaurus nopcsai, mesophis nopcsai. Ou encore un sauropaude long de 6 mètres nommé Magyarosauru. Une des contributions du baron à l’évolutionnisme, que les biologistes n’ont reconnue qu’en 1960, relève des oiseaux ayant évolué dans une aire dominée par les dinausores. Une autre hypothèse scientifique de Nopcea que les biologistes contemporains partagent est celle selon laquelle les reptiles du Mézozoïque avait le sang chaud. (Trad. Mariana Tudose, Alexandra Pop)