Architectes roumains dans les prisons communistes
Au cours des deux premières suivant son instauration, le régime communiste s’est appliqué à faire taire les élites soit en les jetant en prison soit en les discréditant. Parmi les cas d’intellectuels – écrivains et artistes – ayant connu ce sort, certains sont notoires. Il s’agit de professionnels de génie, qui ont embelli les villes de Roumanie par des bâtiments célèbres de nos jours encore et donné, pendant l’entre-deux-guerres un souffle nouveau à l’architecture roumaine.
Christine Leșcu, 25.10.2013, 14:42
Au cours des deux premières suivant son instauration, le régime communiste s’est appliqué à faire taire les élites soit en les jetant en prison soit en les discréditant. Parmi les cas d’intellectuels – écrivains et artistes – ayant connu ce sort, certains sont notoires. Il s’agit de professionnels de génie, qui ont embelli les villes de Roumanie par des bâtiments célèbres de nos jours encore et donné, pendant l’entre-deux-guerres un souffle nouveau à l’architecture roumaine.
Dans sa thèse de doctorat, l’architecte Vlad Mitric Ciupe a récemment examiné ces cas-là à l’aide des documents et identifié 100 architectes victimes du communisme. Le jeune chercheur a étudié à fond la situation de 75 d’entre eux. C’étaient des architectes renommés tels George Matei Cantacuzino, Stefan Bals, Constantin Iotzu, Constantin Joja et I.D Enescu mais aussi des architectes moins connus ou encore des étudiants en architecture.
Vlad Mitric Ciupe : “ Une précision s’impose dès le début. Sur tous les cas que j’ai examinés, la plupart c’étaient des architectes diplômés — 70%. Mais il y avait aussi des étudiants-architectes arrêtés et condamnés qui ont achevé leurs études beaucoup d’années après leur sortie de prison. S’y ajoutent les élèves — détenus politiques pour différentes raisons et qui ont choisi l’architecture au moment où ils ont reçu la permission de faire des études universitaires. Bien que le régime communiste n’ait pas fait de différence entre les détenus frappés d’une sentence d’internement administratif et ceux condamnés en justice, ces derniers sont majoritaires, même si la taille de la première catégorie n’est elle non plus négligeable. Les condamnés en justice étaient considérés comme des ennemis qu’il fallait éliminer. Mais il y avait aussi des architectes qui, après avoir purgé la peine de prison décidée en justice, ont dû aussi subir l’internement administratif, cette privation de liberté allant de 12 à 60 mois. A noter aussi les cas d’architectes arrêtés, enquêtés et puis libérés. Les enquêtes, très dures, s’étalaient parfois sur deux ans, ce qui équivalait en réalité à une sorte d’arrêt. »
Mais de quoi ces professionnels étaient – ils tenus pour coupables ? «A regarder les encadrements juridiques des condamnés on constate que la plupart étaient jugés pour appartenance à des organisations subversives. C’est sous ce chapeau que les communistes entassaient toute sorte d’accusations, depuis la publication de tracts de solidarité avec les événements qui se passaient dans la Hongrie voisine en 1956 jusqu’à l’appartenance à différentes organisations paramilitaires qui souhaitaient le changement de régime. Il y a pas mal de cas de favorisation de l’infracteur ou d’omission de dénonciation. Dans nombre de cas, les condamnés pour omission de dénonciation, avaient fait partie, en réalité, de différentes organisations de résistance, les membres de la police politique n’ayant pas réussi durant les enquêtes à apprendre la vérité. Une autre catégorie visait les tentatives de passage frauduleux de la frontière ».
De même, il y a eu des architectes condamnés pour leur qualité de membre des anciens partis politiques et pour s’être affiliés au régime du général Antonescu. S’y ajoute ceux, tels Emanoil Mihailescu, à qui on a imputé les préoccupations spirituelles et l’appartenance au groupe orthodoxe, « Rugul aprins » « Le brasier allumé ». Détenu politique, du temps de ses études d’architecture, entre 1958 et 1963, Emanoil Mihailescu en garde de vifs souvenirs : « Les prisons n’étaient pas des espaces de loisirs ou de repos. Il n’ay qu’un fou qui pourrait le croire. Je vous invite à visiter les prisons de Jilava, voir les lits superposés à trois niveaux, la nourriture misérable… la terreur était permanente ; le fait de porter des lunettes m’a rendu suspect dès le début, étant considéré comme une sorte d’ennemi de la classe prolétaire. « Eh toi, là bas! » c’est ainsi qu’ils nous adressaient la parole, avec grossièreté et méchanceté. J’étais consterné de voir la brutalité qu’ils mettaient à frapper des gens inconnus ou avec qui il n’avaient jamais eu de maille à partir ».
Malgré les conditions sauvages et inhumaines des prisons communistes, Emanoil Mihailescu avoue que la détention a également été une période de vécus spirituels intenses et d’amitiés intellectuelles, un sentiment partagé aussi par les autres survivants de la terreur de cette époque-là. (trad.: Alexandra Pop, Mariana Tudose)