Vol intellectuel en prison et à l’université – peut-on l’endiguer?
« Nous avons à faire avec un plagiat subtil, utilisant des méthodes masquées de copier ou de reraconter le travail dorigine. Il ne sagit pas dun copier/coller classique, mais dun auteur professionnel, caché, qui a réalisé des paraphrases inacceptables, comme on les appelle dans le jargon spécialisé. Cest une situation insolite ». Le professeur Marian Popescu, président de la Commission déthique de lUniversité de Bucarest ne cache pas sa stupeur. Comme pour les faux billets, de plus en plus similaires à loriginal, ce cas de plagiat avec dimportantes implications légales na pu être tiré au clair quau bout de plusieurs mois.
Andrei Popov, 29.01.2016, 14:23
« Nous avons à faire avec un plagiat subtil, utilisant des méthodes masquées de copier ou de reraconter le travail dorigine. Il ne sagit pas dun copier/coller classique, mais dun auteur professionnel, caché, qui a réalisé des paraphrases inacceptables, comme on les appelle dans le jargon spécialisé. Cest une situation insolite ». Le professeur Marian Popescu, président de la Commission déthique de lUniversité de Bucarest ne cache pas sa stupeur. Comme pour les faux billets, de plus en plus similaires à loriginal, ce cas de plagiat avec dimportantes implications légales na pu être tiré au clair quau bout de plusieurs mois.
Condamné pour corruption, George Copos, ancien vice-premier ministre et homme daffaires très prospère, a réussi à réduire sa peine de prison grâce à plusieurs livres quil aurait écrits, pratiquement en un clin dœil, derrière les barreaux. Une issue de secours autorisée par la loi, à condition quil sagisse de travaux scientifiques. Cest ainsi que George Copos aurait élaboré un ouvrage dhistoire très pointu, portant sur les alliances matrimoniales des princes roumains et des autres pays de lEurope du sud-est, entre le 14e et 16e siècles.
Non seulement le sujet est identique à celui traité par un diplômé de master de la Faculté dhistoire de lUniversité de Bucarest, le coordinateur des deux travaux est une seule et même personne, mais, au moment des faits, le détenu George Copos était dans limpossibilité deffectuer ce genre de recherches, précise le professeur Marian Popescu : « Il y a des indices clairs que M. George Copos naurait pas pu réaliser ce travail et donc il ne saurait être reconnu comme auteur. Il na pas dantécédents dans lactivité scientifique et, en prison, il na pas eu les conditions détude requises ou encore laccès aux documents darchive cités dans le volume. Il nous semble également éloquent que sa documentation sarrête à 2005, lannée de la soutenance de la dissertation de lauteur ayant fait un travail similaire. (625) Un auteur caché ayant réécrit un ouvrage est une situation à laquelle nous navons pas eu à faire jusquà présent. Les universités nont pas toujours les ressources pour identifier et examiner ce type de plagiat insidieux ».
Les conclusions de la Commission déthique de lUniversité de Bucarest seront notifiées à la Direction roumaine des pénitenciers de même quau ministère de la Justice. Ce cas est loin dêtre singulier. Ces trois dernières années, près de 200 détenus roumains ont écrit et publié en temps record plus de quatre cents ouvrages dit scientifiques alors quils se trouvaient en prison. A tout cela sajoutent les suspicions voire les accusations prouvées de plagiat formulées à lencontre de plusieurs hauts responsables politiques roumains, dont lex-premier ministre Victor Ponta.
Or, la recrudescence du plagiat ternit limage de lEducation nationale. Elle lui impose aussi de revoir durgence ses moyens coercitifs et ses fondements éthiques, à tous les niveaux. Tout dabord, celui des cadres universitaires – à sensibiliser au sujet des préjudices quils portent, en facilitant le plagiat, à leurs propres carrières et à leurs établissements. Ensuite, il y a lautre défi majeur – les élèves et les étudiants, selon le président de lUniversité de Bucarest, le professeur Mircea Dumitru: « Cest la face cachée dun iceberg énorme. Nous constatons ainsi quel est létat réel de lenseignement roumain. Les jeunes qui arrivent dans les universités ont été éduqués à copier. Ils sont tranquilles avec ce genre de méthode et lacceptent sans réticences ».
Le problème cest que les démarches de lUniversité de Bucarest en faveur du renforcement de la culture éthique de lEducation restent à ce jour singulières dans le paysage académique roumain, précise encore le professeur Marian Popescu, président de la Commission spécialisée de cette institution. Il est vrai quen dehors du consortium constitué par les grandes universités du pays, les établissements situés dans les villes moyennes ou petites ont préféré faire profil bas lorsquils avaient été pointés du doigt pour des irrégularités de ce genre.
Face au volume grandissant de travaux dits scientifiques réalisés dans les prisons roumaines, la ministre de la justice, Raluca Pruna, promet déliminer les diminutions des peines auxquelles ces ouvrages donnent droit. « Il est discriminatoire, dans ce cas, que le travail intellectuel soit mieux récompensé que le travail physique », précise Raluca Pruna. Effectivement, pour un livre écrit et publié, un détenu bénéficie dune réduction de 30 jours de sa peine, alors que 4 jours de travail physique ne donnent droit quà un seul jour de liberté supplémentaire.
Dans le même temps, le milieu universitaire tente de changer le cadre législatif régissant les doctorats en Roumanie. Pour mieux endiguer les abus, un décret gouvernemental déchoira, dès le mois de février, le ministère de lEducation de ses compétences dattribuer ou de lever le titre de docteur, pour les conférer aux universités. Son application nest pourtant pas rétroactive – une suite de la controverse est donc à attendre.