Le spectacle vivant comme moteur de changement social
Plus de 400 professionnels du spectacle venus des quatre coins du monde se sont donné rendez-vous à Bucarest, à l’occasion d’une réunion semestrielle du Réseau international des arts du spectacle contemporain – IETM. Ce réseau transnational est composé d’un demi-millier d’organisations spécialisées en spectacle vivant, auxquels s’ajoutent des artistes individuels actifs dans des secteurs aussi divers que possible — théâtre, danse, cirque, multimédia etc. Accueillie par le Théâtre national de Bucarest et le Centre national de la danse contemporaine, la réunion bucarestoise a été coordonnée par Victor Mayot, chargé de projet dans le cadre de l’IETM.
Luana Pleşea, 11.08.2017, 15:31
Pour les quatre jours de débats, il avait souhaité cibler l’attention des participants sur le facteur humain, celui sans lequel le spectacle vivant ne peut pas exister. Victor Mayot : « Le statut de l’artiste et ses conditions de travail ont été au cœur de notre rencontre de Bucarest. Nous avons parlé d’égalité des genres et de race dans le spectacle contemporain ou encore des critères de qualité d’une création afin que celle-ci apporte de la reconnaissance à un artiste. Celui-ci est aussi confronté à toutes les difficultés de l’emploi actuel, à la précarité, donc nous avons évoqué ses conditions de travail concrètes, la retraite, le congé parental et la sécurité sociale dans le secteur des arts performatifs. Parce que, selon moi, ce genre de réunion doit renforcer la solidarité entre les artistes de cette branche ».
La Roumanie avait déjà accueilli une première réunion du Réseau international des arts du spectacle contemporain, en 1996. Une vingtaine d’années plus tard, les acteurs du domaine ont pu aussi faire le point sur les changements intervenus dans le pays et sur la conjoncture dans laquelle travaillent les artistes roumains, affirme Victor Mayot, coordinateur de l’événement : « Je pense que la principale difficulté pour les artistes roumains est précisément cette séparation très nette entre établissements artistiques d’Etat et établissements indépendants. Ils sont dans des camps différents, parfois opposés. Certains ont été surpris par le fait que la réunion ait été accueillie par le Théâtre national, tandis que la plupart des participants roumains étaient issus du milieu indépendant. Pour beaucoup, c’étaient pour la première fois qu’ils pouvaient s’exprimer à l’intérieur de ce théâtre, quoique pas sur scène, mais en coulisses.
Effectivement, les artistes indépendants doivent lutter avec les difficultés pour acquérir de la reconnaissance publique, car l’Etat ne les soutient aucunement. D’autre part, les théâtres publics ont des difficultés à s’ouvrir vers de nouvelles formes d’expression, il y a certains qui tâtonnent, mais ce n’est pas facile à cause des pressions qu’exerce le politique sur les institutions publiques en général. Voilà pourquoi, cette situation n’est pas spécifique à la Roumanie, mais plutôt globale actuellement ».
Alors, dans ces conditions, quel rôle doivent toujours jouer les arts du spectacle contemporain, comment évolue la relation de l’artiste avec son public ? Victor Mayot, chargé de projet dans le cadre de l’IETM explique : « Nous croyons dur comme fer que le spectacle contemporain et ses arts sont le moteur du changement parce qu’à la différence d’autres moyens d’expression artistique, ils rassemblent les gens dans un seul et même espace, pour regarder, pour écouter la réflexion politique d’une personne. A la différence d’autres formes d’art, le spectacle contemporain réunit des gens et les incite à parler de ce qu’ils voient, les provoque à réfléchir sur leur condition, sur l’environnement dans lequel ils vivent.
En outre, ce qui est important pour l’artiste, de son côté, est de comprendre son public. Il doit savoir qui est dans la salle et pourquoi ces spectateurs sont là. De plus, il faut savoir renouveler son public, attirer de nouvelles gens. Parce que le spectacle contemporain est souvent perçu comme un art élitiste, s’adressant à un public avec un certain niveau d’études. Ce n’est pas moins vrai que les théâtres sont plus réceptifs quand il s’agit de créations élitistes.
Dans ces circonstances, ce que nous essayons nous, le Réseau international des arts du spectacle contemporain — et heureusement nous ne sommes pas les seules à le faire — c’est de sensibiliser les artistes et les théâtres à l’ouverture vers d’autres publics et d’autres manières d’expression. Et là, il ne s’agit pas d’un débat sur la qualité de l’acte artistique — sur la supériorité d’untel sur quelqu’un d’autre. Les artistes viennent, tous, de cultures différentes et nous devons renoncer à l’élitisme qui sous-tend parfois nos activités pour accepter que d’autres produits artistiques que les nôtres peuvent être tout aussi bons, bien que différents, car ils surgissent de contextes culturels inédits », affirme Victor Mayot.
Et à ce chargé de projet du Réseau international des arts du spectacle contemporain de conclure sur un paradoxe — en cet âge de la communication exacerbée, c’est précisément la communication interhumaine, l’échange d’expérience qui manque. Les gens ont parfois peur d’être jugés par les autres — or, justement, les rencontres de l’IETM existent pour balayer au moins une partie des murs qui séparent les artistes. (trad.: Andrei Popov)