« A vendre » – « Hunger for trade »
Luana Pleşea, 11.06.2014, 13:01
« En Roumanie, l’accaparement des terres agricoles n’est pas illégal. C’est quelque chose de très légal même. Le problème c’est qu’il est immoral. La façon dont ces gens sont arrivés à vendre leurs terres, faute de moyens nécessaires pour les travailler, est immorale. Que peut-on faire si on ne peut pas les travailler ? Certes, on les vend à un prix désavantageux. Un hectare en Roumanie coûte de 2000 à 4000 euros, tandis qu’au Royaume-Uni, il vaut 20.000 livres sterling. De quelle justesse parle-t-on, donc ? »
C’est ce que déclarait la metteuse en scène, Gianina Carbunariu après la première de son spectacle le plus récent, « A vendre », mis en scène au Théâtre Odeon, à Bucarest. La thématique de l’accaparement des terres rejoint d’autres sujets sensibles mis sur le tapis par un projet international « Hunger for Trade » – faim à vendre -, un véritable réseau d’artistes et de créateurs qui se penche sur les problèmes et les perspectives du marché alimentaire global. Initié par le SchauSpielHaus Hambourg, le projet réunit, hormis la Roumanie, 7 théâtres et équipes d’artistes de Belgique, Brésil, Burkina Faso, Royaume-Uni, Inde, Afrique du sud et Suisse. Avec quel objectif ?
La metteur en scène, Gianina Carbunariu nous en dit davantage: « L’idée du projet est de formuler une réponse internationale à un problème global : la nourriture. Mettre en place une base documentaire à l’échelle planétaire en a été le principal enjeu. Chaque auteur s’est documenté dans son pays pour envoyer par la suite dans une corbeille commune une dizaine d’interviews traduites en anglais. On a pratiquement eu à notre disposition 90 entretiens, dont on a pu s’inspirer. Car des choses qui se passent ailleurs peuvent répondre à des questions que l’on se pose ici. Par ailleurs, une autre règle de ce travail documentaire a porté sur la possibilité de solliciter des interview auprès des partenaires étrangers. Moi, j’ai demandé à mes collègues d’Allemagne et du Royaume-Uni de faire des interviews avec des représentants de compagnies qui souhaitent investir dans le secteur agricole de Roumanie. Et la première scène de mon spectacle, celle sur les investisseurs étrangers, repose en grande partie sur leurs propos. Pour ma part, j’ai mené des entretiens pour mes collègues brésiliens, sud-africains, ou encore un matériel vidéo pour ceux de Suisses. Ou encore, les artistes brésiliens ont été intéressés par les situations où les gens ont perdu leurs terres, tandis que ceux d’Afrique du sud ont voulu savoir davantage sur les restitutions de 1990 des terrains nationalisés, vu qu’ils ont été confrontés à un processus similaire ».
Le sujet du spectacle « A vendre » a été choisi de concert avec l’équipe allemande ayant travaillé sur le projet « Hunger for Trade », le rachat des terres étant un sujet largement débattu en Allemagne aussi. Gianina Cărbunariu, metteur en scène, raconte comment elle a travaillé sur cette problématique sociale: « J’ai essayé de comprendre au niveau scientifique ce que l’accaparement des terres signifiait, en parlant avec des personnes qui connaissaient bien le sujet. Dans un premier temps, les équipes se sont réunies à Hambourg, en décembre, et c’est à ce moment-là que nous avons été invités à débattre avec des personnes expérimentées: membres d’ONGs, professeurs d’économie, chercheurs. Nous avons disséqué la question principale, à savoir garantir les denrées alimentaires, sans oublier tous les autres sujets connexes. Ensuite, je suis rentrée en Roumanie et j’ai commencé la documentation. A part les villages que j’ai visités, où j’ai discuté avec les habitants, j’ai rencontré des anthropologues et j’ai parlé aux activistes de l’Association EcoRuralis. Ca fait longtemps déjà qu’EcoRuralis travaille sur les terres accaparées et elle a déjà publié un rapport en ce sens. J’ai aussi parlé avec des journalistes qui ont fait des recherches sur la gestion des terrains. J’ai essayé d’aborder le dossier depuis plusieurs angles. Mais la voix des personnes qui ne se fait pas entendre — c’est elle qui m’a le plus intéressée, c’est là que j’ai voulu arriver ».
Selon l’intention déclarée de Gianina Cărbunariu, le spectacle « A vendre » s’adresse notamment au public urbain, trop peu familier du sujet des terres agricoles accaparées. C’est pourquoi, la pièce sera jouée notamment dans les villes, avant d’arriver dans les villages. Pour davantage d’informations, nous vous invitons à visiter le site du projet « Hunger for trade », pour parcourir, en anglais, les interviews réalisées par l’équipe…(trad. : Alexandra Pop, Valentina Beleavski)