Borja Mozo Martin
Son parcours professionnel l’amène vivre d’abord en France, où il enseigne pendant 10 années la langue et la littérature française dans plusieurs universités, avant de découvrir les lettres et la littérature roumaines et de commencer sa collaboration avec l’institut Cervantes de Bucarest. Il se lance dès lors à faire connaître la littérature roumaine contemporaine en Espagne, traduisant les romans Intérieur Zéro de Lavinia Braniște, L’on entendait la stridulation des grillons de Corina Sabău, L’impossible l’art de la fugue de Dumitru Țepeneag ainsi que le Dictionnaire onomastique de Mircea Horia Simionescu.
Hildegard Ignătescu, 31.07.2024, 12:25
Borja Mozo Martin, né à Madrid, vit et travaille en Roumanie depuis 2016. Devenu philologue après des études universitaires et postuniversitaires suivies à l’université Complutense de Madrid, il devient rédacteur et traducteur littéraire, spécialisé en littératures française et espagnole. Son parcours professionnel l’amène vivre d’abord en France, où il enseigne pendant 10 années la langue et la littérature française dans plusieurs universités, avant de découvrir les lettres et la littérature roumaines et de commencer sa collaboration avec l’institut Cervantes de Bucarest. Il se lance dès lors à faire connaître la littérature roumaine contemporaine en Espagne, traduisant les romans Intérieur Zéro de Lavinia Braniște, L’on entendait la stridulation des grillons de Corina Sabău, L’impossible l’art de la fugue de Dumitru Țepeneag ainsi que le Dictionnaire onomastique de Mircea Horia Simionescu. A l’heure de notre interview, il planchait sur la traduction en espagnol d’un roman de Dan Lungu, La petite fille qui jouit au Dieu. Mais comment s’est-il passionné des lettres roumaines ?
« Cette littérature roumaine contemporaine m’intriguait. Et pour y avoir accès, je me suis d’abord penché sur la langue roumaine. Cette découverte de la langue d’abord, de la littérature ensuite fut passionnante. Les classiques de la littérature roumaine étaient déjà accessibles en espagnol, grâce à des traductions réalisées entre les années 70 et 90, jusqu’en 2000 en Espagne.
Vous savez, les traducteurs des œuvres littéraires effectuent un travail remarquable. Alors qu’ils sont peu nombreux, ils parviennent non seulement à faire traduire l’œuvre en tant que telle, mais ils deviennent ses principaux promoteurs et, plus largement, de la littérature d’un pays dans leur pays d’origine. Quant à moi, j’ai été attiré depuis mes plus jeunes années par la littérature française, par la culture française. Et c’est par ce biais que j’ai découvert le monde de l’exile roumain parisien et sa place paradoxale dans la culture française des années 70 et 80.
Je me suis dès lors intéressé de plus près à ces personnalités parisiennes d’origine roumaine, à leur place dans la culture française, à la trace qu’ils y ont laissée. Je parle évidemment de Monica Lovinescu, de Dumitru Țepeneag, de Mircea Eliade, des autres personnalités culturelles d’origine roumaine qui ont marqué d’une manière ou d’une autre la culture française de l’époque. C’est de là qu’a démarré mon intérêt pour les lettres roumaines, pour les écrivains roumains. J’ai voulu apprendre davantage sur ces gens, sur leurs parcours, sur la manière dont ils sont parvenus à conserver à la fois leur identité culturelle roumaine et à influer la culture française, comment ils sont parvenus à constituer une vraie communauté, à conserver et à faire entendre leurs voix en exile. »
Borja Mozo Martin choisit donc de s’établir pour de bon en Roumanie en 2016. Mais quelles furent les raisons de cette décision somme toute tellement importante dans la vie d’un homme ?
« J’avais manifesté d’abord l’intérêt de tout lecteur à l’égard de la littérature roumaine contemporaine. Une littérature qui parvient à faire connaitre l’univers spirituel de la Roumanie d’aujourd’hui. Et puis, je me suis rendu compte qu’en dépit de la proximité linguistique et culturelle avec la France et l’Espagne, la Roumanie demeurait quasiment inconnue en Occident. Et j’ai trouvé là un peu ma raison d’être. Il nous faut connaitre ce qui se passe ici, en lisant, en écoutant la radio, car je suis aussi un auditeur passionné des émissions radio. Alors, ce projet un peu fou de m’établir pour de bon en Roumanie a pris corps peu à peu dans ma tête. J’ai pris ensuite part à un programme d’échanges universitaires organisé en partenariat par le ministère des Affaires étrangères de Madrid et le ministère de l’Education nationale de Bucarest. C’est grâce à ce programme que des universitaires espagnols ont pu venir enseigner dans des universités roumaines. J’y suis venu en 2016 et j’ai enseigné pendant trois années à Bucarest. En 2016 je ne suis pas venu avec l’idée de continuer ma vie ici. Mais en découvrant de près cette Roumanie à laquelle je rêvais depuis des années, j’y ai été fascinée. Et puis, mon processus d’intégration dans la société roumaine a été plutôt aisé et bien agréable. »
Mais quels aspects de la Roumanie d’aujourd’hui ont tant fasciné le traducteur Borja Mozo Martin ?
« Je ne pense pas que je sois un cas singulier vous savez. Sur beaucoup d’étrangers qui viennent d’Europe de l’Ouest, la Roumanie exerce une sorte de fascination. Vous savez, ma génération, ceux qui sont nés dans les années 80 ont bien évidemment entendu parler du communisme, du bloc de l’Est, mais ils ignorent pour beaucoup les mutations qui ont eu lieu après la chute du mur de Berlin. Nous nous sommes tous un peu formés à cette image construite pendant notre enfance sur ce monde qui se trouvait de l’autre côté du mur, un monde méconnu, fascinant, proche et éloigné à la fois, un monde qui n’existe plus aujourd’hui, mais dont les traces sont encore perceptibles.
Il demeure en effet, non seulement en Roumanie, mais dans toute l’Europe centrale et de l’Est une réalité différente, fascinante, qui reste à découvrir, et qui constitue le début d’un dialogue extrêmement fécond entre deux cultures, deux mondes, mais aussi un dialogue avec soi-même, car il s’agit aussi d’une opportunité de se questionner sur soi, sur ses réalités, sur ce qu’est l’Europe. La découverte des réalités roumaines fut pour moi une sorte de voyage non seulement dans l’espace et le temps, mais également un voyage vers mon identité d’Européen. »
Mais pourquoi avoir choisi de demeurer en Roumanie à la fin de cette période de trois ans d’échanges universitaires ?
« Je vous le disais, je me suis senti dès le départ très à l’aise, un peu chez moi. Je connaissais déjà la proximité culturelle qui existe entre nos deux pays, entre l’Espagne et la Roumanie. Je connaissais des Roumains qui vivaient en France et en Espagne, je connaissais la Roumanie, certes de loin. Mais dès le départ, je me suis senti très à l’aise, très proche de la société roumaine, davantage encore que lors de mon arrivée en France ou dans d’autres pays francophones que j’ai visités. Cela a été un processus naturel, allant de soi. »
Pour finir, nous avons questionné notre interlocuteur sur ce qu’il voudrait voir s’améliorer dans la Roumanie d’aujourd’hui.
« Ce que je trouve un peu étrange c’est le sentiment que j’ai parfois en Roumanie que les gens valorisent trop peu la solidarité, le vivre ensemble, que l’on assiste à un regain de l’individualisme, ce qui est contreproductif. Pour moi, originaire d’Europe occidentale, où l’intérêt collectif est mis en valeur et défendu, il m’est difficile de m’y faire. Et j’aimerais que l’on puisse assister à un changement de paradigme en Roumanie aussi, et que les Roumains puissent apprécier et choyer davantage le bien commun et l’intérêt collectif. »
(Trad Ionut Jugureanu)