Les masques dans la tradition des fêtes d’hiver en Roumanie
Le masque est un des objets les plus utilisés dans le cadre des rituels de fin d'année.
Monica Chiorpec, 16.12.2023, 13:28
Les us et
rituels pratiqués dans les villages
roumains au mois de décembre sont étroitement liés aux fêtes de l’hiver et se
superposent aux moments importants du calendrier religieux orthodoxe, en tant
que traces de la période préchrétienne. Les groupes de jeunes hommes qui
chantent des chansons traditionnelles à l’occasion de Noël et de la Nouvelle
année – c’est probablement la manifestation la plus spectaculaire, avec des significations
à part. Inclus par l’UNESCO au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité,
cette tradition spécifique à la région du Maramures (et pas seulement) illustre
l’importance de la conservation de l’intégralité du rituel, depuis la formule
de la danse, aux costumes et objets utilisés et jusqu’au déroulement par rôles
du rituel, qui implique toute la communauté.
Le masque est un
des objets les plus utilisés dans le cadre de ces rituels de fin d’année.
D’ailleurs, c’est la seule période de l’année où les masques apparaissent dans
les traditions roumaines. Parcourons donc l’histoire de
ces traditions et découvrons la signification du masque en tant qu’objet rituel
et pièce vestimentaire à destination précise. Le cérémonial
dans lequel il est utilisé est complexe. Il est organisé par un groupe
spécifiquement constitué, qui transmet à travers des textes chantés (appelés
chants de Noël) ou criés, et parfois à travers des pièces de théâtre, des
accessoires, des danses, des actes et gestes rituels, des formules magiques, la
nouvelle de la mort et de la renaissance de la divinité adorée. Les
« acteurs » transmettent à ceux qui les accueillent des vœux de
santé, qu’ils aient desrécoltes riches dans l’année à venir, etd’autres vœux pour
la nouvelle année, en particulier pour le mariage des filles.
Quelques textes
décrivent la mort violente de la divinité au visage de cerf, de taureau, de
lion, ou de cochon.Il s’agit d’éléments communs avec les chants funéraires païens.
Un groupe de vierges représente l’entourage au sein duquel la divinité, souvent
remplacée par un masque (chèvre, dinde, cerf, ou bouleau), naît, se régale et
meurt pour marquer la fin et le début de l’année ou de la saison. Alors, le groupe
d’« acteurs » peut être organisé selon le sexe (femme ou homme), l’âge
(enfants, garçons, filles, personnes mariées) ou selon la thématique de leur
jeu. Le groupe peut réunir de 2-3 acteurs ou chanteursjusqu’à plusieurs
dizaines de personnes.
« Au
début, les masques étaient uniquement des outils rituels de protection magique.
Ils étaient utilisés dans le processus de travail primitif, tandis que plus
tard, ils sont devenus des outils complexes de représentations mythiques et
ludiques. Lorsque les masques primitifs perdent leur caractère rituel dominant,
et dans le contexte de l’apparition des éléments nouveaux, qui modifient leur
structure et leur caractère, les masques populaires apparaissent. Les premières
mentions de ces masques populaires dans la région carpato-danubienne-pontique
remontent au 4e siècle, à l’époque des empereurs Dioclétien (note de
la rédaction 244-312) et Maximien (note de la rédaction ca. 250-310). Les
sources font référence à la célébration des Saturnales.A partir de la seconde
moitié du 19esiècle, les jeux ruraux avec les masques commencent à
être décrits par les spécialistes. » L’ethnologue Natalia Lazăr.
Un martyrologue
anonyme de la région de Mésie Inférieure comprend des détails extrêmement
précieux concernant l’élection et le sort du roi des Saturnales. Trente jours
avant la célébration des Saturnales, les soldats romains de Durostorum (en Mésie
Inférieure, soit la ville Silistra du nord-est de la Bulgarie contemporaine)
tiraient au sort pour choisir un jeune homme qu’ils habillaient ensuite de
vêtements royaux, symbolisant le dieu Saturne. Le jeune roi traversait la
foule, ayant une totale liberté de faire tout ce qui lui plaisait. Mais la
joie était de courte durée, car un mois plus tard, à l’arrivée de la fête de
Saturne, sa gorge était coupée sur l’autel du dieu. C’était à l’époque…
Plus tard, dans
les villages du département de Maramureş, les masques représentent des animaux,
des visages humains ou des êtres démoniaques.Ils sont fabriqués en laine de
mouton grise, cornes naturelles et soie. Ils sont liés à la coutume des chants
de Noël.
Pendant cette période des fêtes d’hiver,
on va chanter des chants de Noël avec des masques. C’est une coutume
préchrétienne qui s’est superposée à la coutume chrétienne. Cette pratique se
retrouve dans la plupart des régions du pays, y compris dans le département de
Maramureș, qui a quatre zones ethnographiques. Cette coutume se déroule à
partir du jour appelé « Ignat », soit le 20 décembre, jusqu’à Noël ou
jusqu’au Nouvel An. Les jeunes se sont déguisés en chèvres, ours ou autres
incarnations d’animaux totémiques. Le jour de l’« Ignat » est la
preuve vivante de la résistance des fêtes païennes dans le calendrier
folklorique roumain. Cette coutume a été préservée jusqu’à nos jours, mais l’accent
est mis sur l’aspect spectaculaire et sur la gastronomie(ndlr par le fait que le cochon est sacrifié selon
un rituel stricte et sa viande est utilisée pour les plats de Noël). Parallèlement,
les groupes de chanteurs masqués se constituent selon certains critères
socioculturels et présupposent l’existence d’un leader, des membres du groupe,
des accessoires et, bien sûr, de l’animateur. » Natalia Lazar, ethnologue.
D’ailleurs, les
jeunes de la région de Maramures jouent aussi du théâtre. La pièce appelée « Viflaim »
(mot en ancien roumain qui veut dire Bethlehem) est une coutume chrétienne, qui
comporte de nombreux éléments laïques ou bien païens. Le thème de la pièce est
la naissance de Jésus Christ. Les personnages principaux sont, donc, Marie, la
mère de Jésus, Joseph, son fiancé, et Hérode (soit le roi Hérode le Ier le Grand, 74 av : J. Chr. – 4 av. Chr.
– la date de sa mort pas surprenante, car la date de la naissance de Jésus
Christ n’a pas été correctement calculée). D’autres personnages sont le
messager, l’aubergiste, l’ange, deux bergers, les trois rois de l’Orient, deux
soldats, la mort, le diable, le vieil homme et le gardien. Ceux qui l’incarnent
font la satire de l’arrogance, du mensonge, de l’hypocrisie, de l’indifférence
et de l’inhumanité des riches envers les pauvres
.
Voilà à
quel point des traditions roumaines liées aux fêtes d’hiver sont riches en
symboles !