Nouari Naghmouchi (Algérie) – Les relations roumano-russes (1ere partie)
Alexandr Beleavski, le correspondant de Radio Roumanie à Moscou, explique lévolution des rapports roumano-russe depuis la fin de la deuxième guerre mondiale et jusquà présent.
România Internațional, 30.01.2015, 14:52
Le 23 août 1944, le jeune roi Michel I convoque au Palais royal le maréchal Ion Antonescu, qui dirigeait de facto l’Etat, pour l’exonérer de la signature de l’armistice avec l’Union soviétique.
La Roumanie entre en guerre le 22 juin 1941 contre l’URSS aux côtés de l’Allemagne nazie. Elle déploie sur le front de l’Est plus de troupes que ne le font les alliées des forces allemandes. La principale raison qui a poussé la Roumanie à faire la guerre était son désir de récupérer la Bessarabie et la Bucovine du Nord, deux territoires annexés une année auparavant par le dictateur soviétique Joseph Staline. Fin juillet, l’armée roumaine avance jusqu’au Dniestr, la frontière orientale du pays jusqu’en 1940. Or, sur l’insistance d’Hitler et fidèle à ses propres ambitions politiques et personnelles, Antonescu décide de traverser la rivière et de continuer la bataille. Une décision qui n’a guère enthousiasmé les responsables de Bucarest.
Lors d’une interview que le roi Michel m’a accordée en 2010, l’ancien souverain racontait que malgré son opposition, il n’avait pu rien faire contre Antonescu qui, à l’époque, concentrait entre ses mains tout le pouvoir politique et militaire.
Après une série de victoires enregistrées au cours de sa première année de guerre, l’armée roumaine se voit décimer et perd 100.000 soldats, tandis que des centaines de milliers d’autres sont blessés ou tombent prisonniers. C’est en fait durant la bataille de Stalingrad que l’armée roumaine souffre ses pertes les plus terribles.
A l’été 1944, l’armée soviétique avance jusqu’aux frontières roumaines. Pour sortir le pays de la guerre et éviter d’en faire un théâtre d’opérations, les partis démocrates mettent en place une coalition pour s’opposer au régime militaire d’Antonescu. Pour négocier un armistice avec les Soviétiques, la coalition des partis historiques décide d’inviter dans ses rangs les communistes, bien que leur minuscule parti, interdit peu de temps après sa création, n’ait joué aucun rôle sur la scène politique roumaine. Mais, c’était au roi Michel de jouer le rôle clé dans cette affaire. Lorsque, le 23 août 1944, le général Antonescu arrive au palais royal, le souverain lui demande de signer l’armistice. Le maréchal refuse et le roi ordonne son arrestation. Le soir même, dans un message diffusé à la radio, le roi Michel annonce la rupture du pacte avec l’Allemagne et engage le pays aux côtés des Nations Unies, afin de libérer le Nord de la Transylvanie, un territoire que la Roumanie avait cédé à la Hongrie, en 1940, sous la pression d’Hitler.
Après que Antonescu est écarté du pouvoir, le roi forme un gouvernement de coalition — avec le PNL et le PNT, qui, pour la première fois dans l’histoire du pays, acceptent de coopter un communiste : Lucretiu Patrascanu, un intellectuel respectable, présent aux négociations pour la création de la coalition anti-Antonescu. Le 30 août 1944, les forces soviétiques débarquent à Bucarest. Deux semaines plus tard, la Roumanie signe un armistice aux termes duquel le pays cède à nouveau à l’Union soviétique la Bessarabie et la Bucovine du Nord, tout en acceptant de verser de lourdes réparations de guerre. En échange, le Traité de paix de 1947 oblige l’URSS à rétrocéder à la Roumanie le Nord de la Transylvanie libéré en automne 1944 par les troupes roumaines et soviétiques. L’armée roumaine a pour sa part continué sa campagne militaire vers l’Ouest, en contribuant à la libération de la Hongrie, de la Slovaquie et de l’Autriche. Autant de combats qui ont coûté la vie à 120 milles soldats roumains, un nombre supérieur de victimes que celui enregistré par les Etats-Unis sur tous les fronts de la deuxième guerre mondiale. En signe de reconnaissance, l’URSS a conféré au roi Michel de Roumanie l’Ordre de la Victoire aux diamants, le plus prestigieux de ses ordres militaires.
Bien que ses efforts militaires dans la campagne contre Hitler la place en cinquième position parmi les alliés, la Roumanie ne s’est jamais vu attribuer le statut de pays co-belligérant, étant considéré comme un pays vaincu. La raison en fut le partage des sphères d’influences entre l’URSS et l’Occident après la guerre. La Roumanie tomba dans celle d’influence russe.
Or, à partir de l’automne 1944, Staline profite de la présence en Roumanie des troupes soviétiques et commence une promotion agressive des communistes roumains au pouvoir. Il a notamment profité du sort de la Transylvanie qu’il a acceptée de placer sous l’ombrelle de l’administration roumaine seulement après l’installation en mars 1945 d’un gouvernement pro-communiste ayant à sa tête Petru Groza. Il a fallu deux visites à Bucarest d’Andrei Vyshinski, l’émissaire de Staline, sur fonds de protestations organisées par les communistes pour que le roi et les partis démocratiques finissent par céder. En juin 1946, sous la pression des forces soviétiques, le gouvernement de Petru Groza organise le procès du maréchal Antonescu et de ses principaux collaborateurs, tous accusés de crimes de guerre, condamnés à mort et exécutés. A la différence de leurs confrères d’autres pays, les communistes roumains n’avaient joué aucun rôle dans la résistance antifasciste et ils ne bénéficièrent d’aucun soutien de la part de la population. En plus, interdit deux décennies durant, le petit parti communiste qui en 1944 ne recensait qu’un millier de membres, était divisé en deux groupes rivaux: les autochtones et les moscovites. Le premier regroupait la plupart des communistes roumains libérés des prisons nationales. Le deuxième était formé des communistes roumains ayant émigré en Russie et qui ont regagné la Roumanie après l’occupation soviétique.
Or, malgré le soutien accordé à ceux-ci, les forces soviétiques ne pouvaient pas ignorer l’antipathie que la plupart des Roumains ressentaient vis-à-vis de ces personnages qualifiés de « traîtres » pour avoir soutenu la perte de la Bessarabie. Staline opte finalement, pour une solution de compromis : il met à la tête du parti communiste le leader des communistes locaux, Gheorghe Gheorghiu Dej, et donne les fonctions clés aux Moscovites ayant à leur tête Ana Pauker et Vasile Luca. Grâce à une campagne de propagande et de recrutement menée avec le soutien soviétique, le PC roumain a augmenté ses effectifs, en regroupant des centaines de milliers de personnes sans pour autant gagner davantage la sympathie de l’électorat. Bien que les élections de 1946 aient été remporté par les partis démocrates, les communistes, appuyés par l’Armée rouge, falsifient les résultats à leur profit. Quelques mois plus tard, en février 1947, la Roumanie signe le Traité de paix de Paris par lequel elle se voit contrainte à céder à l’URSS la Bessarabie et le Nord de la Bucovine, en récupérant, en échange, le Nord de la Transylvanie. En plus, la Roumanie s’est vu obliger d’accepter la présence sur son territoire de l’armée rouge pour 90 jours. Pourtant, les forces soviétiques y allaient restées jusqu’en 1958.
La situation politique en Roumanie commence à se détériorer sévèrement sur fond de la guerre froide éclatée en 1947. Pour renforcer ses positions stratégiques en Europe de l’Est, Staline ordonne aux partis communistes contrôlés par Moscou de s’emparer du pouvoir avec le soutien soviétique.
Installés à la tête de l’armée et des principales institutions publiques, les communistes roumains ont déclenché une véritable campagne de terreur contre les partis démocratiques et contre tout opposant réel ou présumé. Des milliers de personnes ont été exécutées, emprisonnées ou envoyées dans des camps de travaux forcés. En juillet 1947, le PNT, le parti historique le plus populaire de Roumanie, a été déclaré illégal et ses membres se sont vu infliger de lourdes peines. Les libéraux, eux, ont décidé de leur auto-dissolution, tandis que les sociaux-démocrates et d’autres partis de gauche se sont vu contraints à rejoindre les communistes au sein du Parti des Travailleurs roumains. Les leaders des partis démocratiques qui ont refusé de collaborer avec les communistes ont été arrêtés et jetés en prison où la plupart ont trouvé la mort.
Le prochain pas fait par les communistes roumain : écarter le roi Michel, toléré jusqu’alors pour des raisons de stratégie. Le 30 décembre 1947, à la demande de Petru Groza et de Gheorghe Gheorghiu Dej, le roi signe son abdication et part en exil, en Suisse. Le jour même, la Roumanie proclame la République populaire et quelques mois plus tard, en avril 1948, elle adopte sa première constitution républicaine. Avec des institutions suprêmes de l’Etat dont le rôle n’était que symbolique, la Roumanie concentre tout le pouvoir politique entre les mains des communistes subordonnés à Moscou.
A partir de ce moment là, l’histoire de la Roumanie entre, pendant 4 décennies, dans une période totalitaire durant laquelle les rapports roumano- soviétiques se confondent avec ceux entre les deux partis communistes. Mais, en 1948, personne n’entrevoyait encore le parcours sinueux des relations roumano-russes. (Auteur: Alexandr Beleavski, trad. Ioana Stancescu)