Maguy Roy (France) – Le dialecte aroumain
RRI diffuse des émssions en roumain et en dialecte aroumain. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce dialecte ?
Alex Diaconescu, 09.12.2022, 20:35
Selon certains chercheurs, l’aroumain, le mégléno-roumain et l’istroroumain constituent, aux côtés du dacoroumain, les quatre dialectes de la langue roumaine. En effet, en Roumanie et en République de Moldova, nous parlons le « daco-roumain », les Daces étant les ancêtres des Roumains tout comme les Gaulois sont les ancêtres des Français. Pour simplifier, alors que le daco-roumain s’est constitué et est utilisé au nord du Danube, les autres dialectes se sont constitués et sont encore parlés dans des régions isolées des Balkans, en raison du passage des différents peuples migrateurs, notamment les slaves. Ces derniers ont préféré s’installer dans les plaines alors que la population latinisée s’est retranchée dans les montagnes. C’est pourquoi l’aroumain est parlé dans les régions montagneuses du nord de la Grèce, mais cette population a migré aussi vers le centre continental du pays suivant le massif du Pinde, et a fondé des villages même dans les îles Ioniennes, en Céphalonie.
Ces communautés sont aussi présentes dans le sud de l’Albanie et de la Macédoine du nord, ainsi que dans le sud-ouest de la Bulgarie et selon les estimations, on dénombre au total quelque 250 000 locuteurs d’aroumain. Le mégléno-roumain, ou le méglénite, compte moins de 3 000 locuteurs recensés dans une région de montagne entre la Grèce et la Macédoine du Nord. Enfin en 2001, l’istro-roumain était parlé par moins d’un millier de personnes dans huit villages seulement de la péninsule d’Istrie, en Croatie. Selon la théorie la plus répandue actuellement, les Aroumains, tout comme les autres locuteurs de langues romanes de l’est, descendraient directement des Thraces latinisés. Certes, il existe une série d’autres théories issues de chaque pays où vivent ces populations, des discours variés qui se sont propagés durant différentes périodes historiques. En réalité, actuellement le nombre de locuteurs de ces trois langues est de plus en plus réduit puisqu’ils sont en voie d’intégration, dans tous les pays où ils sont présents, y compris en Roumanie. Mais comment et quand est arrivée cette population du sud du Danube en Roumanie, soit au nord du fleuve ? Sachez d’abord que les Aroumains étaient principalement éleveurs de moutons et bergers et pratiquaient la transhumance, c’est-à-dire qu’ils sillonnaient avec leurs troupeaux tous les massifs des Balkans. Au Moyen-Âge, ils sont arrivés dans les principautés roumaines. D’autres s’y sont établis dès le Moyen-Âge, lorsqu’ils ont vu leurs villes des Balkans détruites par les Ottomans.
Puis la Roumanie moderne a ouvert, dans la seconde moitié du 19e siècle, une centaine d’écoles en langue roumaine en Grèce, en Macédoine et en Albanie afin d’éduquer les Aroumains en langue roumaine. Des écoles, collèges et lycées à enseignement roumain en Grèce ont été financées par la Roumanie jusqu’après la Seconde Guerre Mondiale. Pourquoi cet intérêt de Bucarest pour ces populations ? Et bien le jeune Etat-nation roumain cherchait à éveiller une conscience nationale roumaine parmi les Aroumains. Pour ceux-ci, la langue roumaine était la langue la plus proche de leur langue maternelle qui pouvait être utilisée à l’école, puisque l’aroumain littéraire unitaire n’existait pas à l’époque. Qui plus est, leur identité était contestée dans des Etats tels la Grèce, qui les considéraient comme des grecs latinisés, position que cet Etat maintient encore de nos jours. C’est pourquoi ce rapprochement entre les Aroumains et le petit mais ambitieux Royaume de Roumanie s’est poursuivi et renforcé après la Première guerre mondiale et la création de la Grande Roumanie – un véritable poids-lourd de l’Europe de l’est à l’époque.
Nombre d’Aroumains avaient décidé de s’installer en Roumanie, attirés par les opportunités que celle-ci leur offrait. Parmi elle, celle de pouvoir s’installer dans la région du Quadrilatère, soit le sud de la Dobroudja, que la Roumanie avait obtenu à la fin de la deuxième guerre balkanique. Afin de modifier la composante ethnique de cette région et de la « roumaniser », les autorités de Bucarest ont encouragé les Aroumains des Balkans à s’y établir. Ceux qui l’ont fait l’ont quittée en 1940 lorsque la Roumanie a été contrainte de rétrocéder ce territoire à la Bulgarie sous la pression d’Hitler. Par conséquent, à l’heure actuelle, une certaine partie des habitants des régions de Tulcea et de Constanta, – soit entre 10 et 15% – parle l’aroumain alors que la ville portuaire de Constanta sur les rives de la mer Noire est un centre actif de la culture aroumaine renaissante d’après 1990. Tout au long de l’histoire de la Roumanie, nombre de personnalités politiques, culturelles et sportives ont été des Aroumains ou bien ont eu des origines aroumaines. Pour ne donner que deux exemples très actuels dans le domaine sportif : la joueuse de tennis Simona Halep et le footballeur Gheorghe Hagi sont Aroumains.
Les Aroumains sont-ils une minorité nationale en Roumanie ? Et bien non, puisque du point de vue légal, ils font et ont effectivement toujours fait partie de la nation roumaine dans le sens ethnique du terme. C’est précisément pour cela que les autorités de Bucarest soutiennent la culture et l’identité aroumaine par différents moyens, dont la radio publique et Radio Roumanie Internationale. Dans les Balkans, la Macédoine du nord et l’Albanie reconnaissent les Aroumains comme minorité nationale et l’aroumain est enseigné dans quelques écoles étant utilisé durant les services religieux et dans les émissions de télévision et de radio. Evidemment, l’histoire et le rôle qu’ont joué ces peuples dans l’histoire des Balkans ne peuvent pas être racontées en quelques minutes seulement, mais j’espère avoir réussi à résumer en quelque sorte ce que signifie « dialecte aroumain », une langue très similaire à la langue roumaine qui a certes reculé dans différentes régions, mais qui subsiste toujours. Et nous espérons bien que les émissions de Radio Roumanie International contribuent elles aussi à la préservation de cette langue qui ne fait qu’enrichir le patrimoine culturel européen.