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Jean-Marie Monplot (France) – le mouvement hippie en Roumanie

Les cheveux longs des gars posaient, à l'époque, un énorme problème (Florin Silviu Ursulescu)

Jean-Marie Monplot (France) – le mouvement hippie en Roumanie
Jean-Marie Monplot (France) – le mouvement hippie en Roumanie

, 02.01.2015, 21:36

Bien que j’aie beaucoup écouté la musique de Janis Joplin, Jimi Hendrix Emerson, Lake & Palmer ou encore Joan Baez, pour n’en donner que quelques exemples, j’ai préféré invité à mes côtés un expert de ce phénomène. Il s’agit de M. Florin Silviu Ursulescu, peut-être le journaliste roumain le plus passionné de rock, véritable encyclopédie quand il s’agit de parler de ce genre musical et du courant hippie. Sans plus tarder, je lui cède le micro, car il aura plein de choses à vous raconter.



Florin Silviu Ursulescu : « Le mouvement hippie est un courant apparu sur la côte ouest des Etats-Unis, à San Francisco, et sa véritable période de gloire s’étend sur six années seulement, de 1965-1971. C’est un courant qui se propose de dénoncer le conformisme sur tous les plans, qu’il s’agisse de sexualité, de drogues, de du corps tenue ou de vêtements, un mouvement apparu après l’explosion démographique des années ’40-’50 connu sous le nom de babyboom.



Quand on parle de ce phénomène, il faut préciser dès le début qu’il n’a pas vraiment existé en Roumanie. Et cela, en raison d’une dictature cruelle, plus terrible que celles instaurées en Hongrie, Pologne ou Tchécoslovaquie qui ont pourtant permis la création de certains groupes hippies. Chez nous, cela ne fut pas possible. Bien sûr, il y avait aussi de jeunes Roumains non conformistes, mais sans qu’ils puissent vraiment créer de véritables communautés hippies capables de se déplacer librement à travers le pays. Or, n’oublions pas que sous les communistes roumains, il fallait se munir d’un permis pour habiter dans une autre ville que celle natale. Une fois installé dans un immeuble, on avait une quinzaine de jours à sa disposition pour déclarer son adresse de domicile à la police. Comme vous voyez, impossible de jouer les nomades et les esprits libres à l’époque du communisme en Roumanie !



Fidèle au principe du non-conformisme, le mouvement hippie rejetait totalement l’idée de se faire embaucher et d’avoir un emploi stable. En Roumanie, n’oublions pas que le chômage n’existait pas. Tout citoyen était contraint par la loi d’avoir un domicile et un emploi, ce qui faisait que les professions libérales n’existaient pas. Donc, pas de véritables communautés hippies chez nous. Par contre, on a eu des groupuscules qu’on pourrait lier aux valeurs hippies, notamment à la musique. Et je mentionnerais en tout premier lieu les gars de Phoenix, absolument impressionnants à l’époque avec leurs longues chevelures et leurs manteaux de fourrure, qui se déplaçaient à travers la Roumanie pour des concerts en plein air, une première à l’époque. »



Le journaliste Florin Silviu Ursulescu passe en revue les protagonistes du mouvement hippie en Roumanie : « Après Phoenix, il y avait un groupuscule créé autour du musicien Mircea Florian qui réunissait plusieurs figures intéressantes de l’époque, telles Gabriel Caciula, grand spécialiste de la culture japonaise vivant actuellement aux Pays-Bas et qui visite souvent la Roumanie pour y organiser des conférences sur l’art du thé. Ou encore Sorin Chifiriuc, musicien et compositeur important, qui depuis deux ans s’est retiré dans un monastère et s’apprête à entrer dans les ordres. Il y avait aussi Mihai Diaconescu, réalisateur de film et auteur de plusieurs volumes de poésies, qui a malheureusement quitté ce monde.



A parler des adeptes du mouvement hippie, on ne peut pas oublier le rôle qui revenait au club des Etudiants en architecture, appelé Le Club A, lieu de rencontre privilégié des jeunes libres d’esprit de Bucarest qui s’y rendaient pour écouter poèmes et chansons interdits par les communistes. C’était une ambiance culturelle et musicale qui nous donnait en quelque sorte l’illusion d’appartenir au phénomène hippie tel qu’il existait en Occident.



Et à propos de ça, je vous signale qu’en Roumanie, les cheveux longs des gars posaient un énorme problème. Les forces de l’ordre ne les acceptaient pas et on risquait de se voir emmener à la section de police pour se faire couper les cheveux. Voilà pourquoi, nous, les hippies aux cheveux longs, on a trouvé une solution inédite : on essayait d’obtenir soit une attestation auprès du Centre national de la cinématographie par laquelle on affirmait faire de la figuration dans des films historiques, soit un certificat de musicien, vu que les musiciens étaient considérés comme extravagants et donc, le régime les acceptait tels quels. Les vêtements ne posaient pas trop de problèmes, la police n’était pas trop dure de ce point de vue : on pouvait donc porter nos chemises imprimées et nos pantalons évasés. »



Comment le phénomène hippie s’est-il tout de même développé en Roumanie ? Notre invité Florin Silviu Ursulescu, journaliste et spécialiste de la musique rock, explique : « Je voudrais mentionner quelques figures emblématiques du mouvement hippie de Roumanie. Et je commencerais par une figure féminine, Lidia Creanga, la batteuse du groupe féminin Catena. Elle ne voulait pas se faire embaucher, elle portait des jupes fleuries et un nœud tricolore dans ses cheveux. Une autre personnalité était Andrei Oisteanu, actuellement directeur de l’Institut d’histoire de la religion de Roumanie.



En Roumanie, après la chute du communisme en 1989, on a vu naître à Bucarest un phénomène resté dans l’histoire sous le nom de « la Place de l’Université » et qui était une sorte de réaction au conformisme imposé par les communistes des dizaines d’années durant. Les personnes rassemblées Place de l’Université en réaction à la descente des mineurs sur la capitale et à la politique menée par le président de l’époque, Ion Iliescu, ont eu l’occasion d’écouter sur une scène improvisée des chanteurs dont la musique n’avait jamais été diffusée à la télé ou à la radio : Cristi Paturca, Horia Stoicanu ou encore Nicu Vladimir, un véritable hippie tout comme un autre, Dorin Liviu Zaharia, un poète extraordinaire disparu prématurément. Celui-ci s’intéressait à l’étude des religions et civilisations indiennes et orientales, il a signé la musique de plusieurs chefs-d’œuvre de la cinématographie roumaine et il a notamment composé deux chansons devenues par la suite de véritables hits du groupe Pasarea Colibri, dont le célèbre ‘Vinovatii fara vina’, ‘Coupables sans raison’. »



Quelles conséquences le mouvement hippie a-t-il eu, en Roumanie et aillurs ? Florin Silviu Ursulescu: « Le mouvement hippie a eu des retombées importantes au niveau mondial. Par exemple : les hippies ont encouragé un rapprochement avec des valeurs orientales, de la philosophie de l’Orient. Ensuite, n’oublions pas que ce sont les Hippies qui ont milité pour un retour à la nature ; l’alimentation végétarienne, bio, c’est aux Hippies qu’on la doit. Très important, les Hippies sont les précurseurs de la mondialisation actuelle. Les multiples voyages et mouvements de groupes hippie ont montré que le voyage était quelque chose daccessible à tout le monde. Le voyage de masse va se développer. Adeptes du mysticisme, on a pu observer au fil des années une prolifération des sectes orientales et extrême-orientales. La génération hippie a changé la musique, lart en général, étant à l’origine dune véritable révolution culturelle.



Toutes ces transformations sont aujourdhui totalement intégrées dans les sociétés occidentales. C’est au phénomène hippie que l’Occident doit son non conformisme et sa liberté de penser. Pourtant, la Roumanie, elle, est restée bloquée dans ses traditions ce qui fait que même aujourd’hui, une tenue plus extravagante est susceptible d’entraîner une vague de critiques de la part des personnes plus âgées. Pour conclure, je dirais que le mouvement hippie militait avant tout pour la liberté de l’individu et du coup, les idées hippies sont pour la plupart toujours d’actualité. »

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