Jacques Augustin (France) – Les Roumains sont-ils propriétaires de leur logement ?
La Roumanie compte le taux le plus important d’Europe de personnes qui sont propriétaires du logement qu’ils habitent et un des plus importants au monde, d’ailleurs.
Alex Diaconescu, 24.05.2024, 20:25
Le plus grand nombre de propriétaires d’Europe et du monde
La Roumanie compte le taux le plus important d’Europe de personnes qui sont propriétaires du logement qu’ils habitent et un des plus importants au monde, d’ailleurs.
Selon les chiffres de l’Eurostat, en 2022, 94,8% des habitants du pays vivaient dans un appart ou maison dont ils étaient les propriétaires. La Roumanie était suivie par la Slovaquie, avec 93%, la Croatie, avec 91% et la Hongrie avec 90%. A comparer avec la moyenne européenne de 69% de propriétaires et de 31% des Européens qui louent un logement. En Roumanie le taux de ces derniers est de 5,2% seulement, alors qu’en Allemagne plus de la moitié de la population vit dans une maison ou un appartement loué.
Une conséquence du communisme
A première vue, on dirait que les Roumains sont tous des personnes aisées, puisqu’ils se permettent de s’acheter un logement. Eh bien, loin de là.D’ailleurs, cette situation est en partie une conséquence du … communisme.
Au cours de 50 ans de communisme, le régime a opéré une industrialisation intense du pays, juste après la collectivisation de l’agriculture. Cela a engendré une ample migration depuis le milieu rural vers celui urbain. Par conséquent, les dirigeants se sont vus obligés de construire de nombreux immeubles à appartements afin de pouvoir loger tous les nouveaux citadins.
C’est ainsi qu’ont vu le jour à travers le pays de quartiers entiers constitués de barres d’HLMs, appelé les « quartiers dortoirs ». Leurs locataires avaient la possibilité d’acheter l’appartement qui leur était réparti initialement en fonction de plusieurs critères, dont l’état civil et le nombre d’enfants. Après la Révolution anticommuniste de décembre 1989, dans le contexte d’une inflation galopante, les Roumains ont pu s’acheter assez facilement les appartements qu’ils occupaient, bénéficiant de mensualités étaient fixes, aux termes de contrats d’origine. Je me souviens par exemple que mes parents ont payé les dernières mensualités d’un seul salaire. Ajoutons aussi que ces 20 dernières années, plusieurs millions de Roumains, des jeunes notamment, ont quitté le pays pour s’établir en Europe occidentale.
Des logements souvent surpeuplés
Autre précision importante : il n’est pas rare de voir trois générations habiter sous le même toit. En effet, de nombreux Roumains ne quittent pas la maison familiale, même après avoir fondé leur propre famille. Pour certains, c’est plus pratique de bénéficier de l’aide des parents avec les tâches ménagères et la garde des enfants et de se concentrer sur le travail. D’autres ne se permettent point de louer, ni d’acheter un appartement. Dans certains cas, une fois à la retraite, les grands-parents déménagent à la campagne et cèdent leur appart en ville aux enfants.
Et c’est ainsi que l’on arrive à une autre statistique fournie par l’Eurostat : les conditions dans lesquelles habitent les Roumains. En 2022, 40,5% des Roumains habitaient des demeures agglomérées, soit le deuxième taux le plus élevé d’Europe après la Lettonie, alors que la moyenne européenne est de 16,8%. A remarquer aussi que la dimension de l’espace habitable, mesurée selon le nombre moyen de pièces par personne, est un autre paramètre dont la valeur est assez basse en Roumanie.
Un Roumain habite en moyenne 1,1 pièce par personne, le niveau le plus bas d’Europe, identique à celui de Pologne et de Slovaquie, alors que la moyenne européenne en est de 1,6 pièces par personne. Au Luxembourg, en Belgique, en Irlande et aux Pays-Bas ce taux est de plus de deux pièces par personne.
Pourquoi cet état de choses en Roumanie ?
Sans doute puisque le confort des travailleurs qu’il fallait loger dans les nouveaux immeubles n’était pas une des principales préoccupations du régime communiste. Les appartements étaient petits et les critères de répartition étaient très stricts. Rien qu’un exemple : une famille avec un enfant avait le droit à un appart à deux pièces – chambre à coucher et salle de séjour. Pourtant au début elle ne pouvait espérer qu’à obtenir un studio.
C’est pourquoi certains Roumains s’adonnaient à toute sorte de subterfuges dont de fausses attestations médicales, comme quoi un des deux époux souffrait d’une maladie respiratoire par exemple. C’est ainsi, par exemple, qu’une famille a pu décrocher en 1988 une répartition pour un appartement à trois pièces au lieu de deux. C’était une pratique assez répandue, car à l’époque communiste, la corruption était omniprésente.
Dans ce contexte, où l’on est tous propriétaires il est tout à fait normal que les nouvelles générations choisissent de s’acheter un appartement ou une maison plutôt que de louer. D’abord, parce que l’immobilier est toujours vu comme un investissement sûr. Après l’inflation galopante des années ’90 et la chute de schémas pyramidaux, des fonds d’investissements et la faillite de certains fonds à l’époque, les Roumains sont persuadés qu’une propriété immobilière sera toujours le moyen le plus sûr de consolider et de léguer son patrimoine.
Des crédits moins chers qu’un loyer
Et pas en dernier lieu, à l’heure actuelle, rembourser un crédit hypothécaire peut s’avérer moins cher que de payer un loyer pour le même type d’immeuble. Explication : la mensualité moyenne pour les crédits hypothécaires de Roumanie est de 400 euros environ, soit égale au loyer moyen pour un deux pièces. Le prix moyen d’un logement tourne autour des 1 800 euros par mètre carré à Bucarest, un des plus élevés du pays mais pas si élevé qu’à Cluj, dans le centre-ouest, où le prix moyen est de quelque 2 800 euros. Du coup, les Roumains disent souvent qu’ils préfèrent investir dans leur propre appart que de payer un loyer, estimant qu’ils perdent ainsi leur argent.