Gilles Gautier (France): les Roumains et la nostalgie du communisme
La nostalgie du communisme est-elle encore d'actualité en Roumanie? Les villes sont dirigées par les mêmes partis parlementaires ou aussi par les communistes?
România Internațional, 31.08.2018, 13:43
Selon une enquête publiée en janvier dernier, la nostalgie du communisme est même très importante en Roumanie, bien qu’à la baisse, pourtant. 40% des sondés considèrent que la période communiste a été la meilleure de l’histoire de la Roumanie moderne. Toutefois, le pourcentage des nostalgiques est en légère baisse par rapport aux années antérieures, quand il se situait autour de 50%. Les sondés avaient répondu à la question de savoir quelle a été, selon eux, la meilleure période, et lorsque la population a le mieux vécu. En deuxième position, la période après décembre 1989 a été considérée la meilleure par 25% des sujets questionnés. Le sondage a été réalisé par l’Institut CURS (le Centre de sociologie urbaine et régionale) du 3 au 10 janvier 2018, sur un échantillon d’un millier de personnes, avec une marge d’erreur de plus ou moins 3%.
Les grandes villes roumaines sont dirigées par les mêmes partis parlementaires ; non, il n’y a pas de parti communiste dont les membres dirigent des villes. En général, les villes de Moldavie (est) et du sud du pays ont voté à gauche, notamment pour le Parti social-démocrate, principal parti au pouvoir. En grandes lignes, la Transylvanie et l’ouest du pays ont voté à droite, principalement pour le Parti national libéral, mais non seulement. Bucarest, qui d’habitude vote à droite, a voté la gauche cette fois-ci. Il reste quelques mairies du pays appartenant à un parti historique, le Parti national paysan chrétien et démocrate. Les autres partis parlementaires et qui ont aussi remporté des mairies de villes sont l’Alliance des libéraux et des démocrates, également au pouvoir, l’Union démocrate magyare de Roumanie, qui collabore avec le pouvoir, et dans l’opposition de droite, l’Union Sauver la Roumanie et le Parti du mouvement populaire. Chaque minorité ethnique de Roumanie a un représentant au parlement, et les représentants de ces minorités dirigent aussi des villes. Le président de la Roumanie a été maire de la ville de Sibiu et appartenait au Forum démocratique allemand de Roumanie. Bien sûr, il y a aussi des villes dirigées par des indépendants.
Mais revenons à la nostalgie du communisme. Pour voir quel culte est voué à l’ancien dictateur Nicolae Ceauşescu, il suffit d’aller au cimetière Ghencea de Bucarest, où lui et Elena Ceauşescu sont enterrés. C’est notamment le jour de son anniversaire que vous pouvez voir une foule se presser près du tombeau. Cette année, il aurait eu 100 ans. Ceauşescu, installé à la tête du Parti communiste en 1965 et devenu premier président du pays en 1974, a mis en place une des dictatures les plus dures de toute l’Europe de l’Est — et ce sont les historiens qui l’affirment. Les nostalgiques le considèrent « le plus grand Roumain de tous les temps ». Cela a de quoi étonner, mais parmi les premières motivations, c’est que tout le monde avait un emploi, et un appartement. Certains oublient les difficultés de ces temps-là. Les nostalgiques louent les communistes qui ont beaucoup construit : immeubles, voies ferrées etc. Le mot « dictateur » indigne les personnes qui viennent déposer des fleurs sur sa tombe. « Les hommes politiques d’aujourd’hui sont-ils capables de faire autant de choses que Ceauşescu ? Pas du tout, répond la même personne, ils ne font que voler », opine-t-elle.
Le sociologue Vasile Dâncu a déclaré que de nombreux Roumains pensent que Ceauşescu est le symbole d’un passé glorieux, d’une Roumanie dont la mémoire a éliminé le froid et la faim. La nostalgie reste pourtant vive, une trentaine d’années après la chute du communisme. Selon l’historien Armand Goşu, l’héritage de l’ancien dictateur est omniprésent. Il note que la plupart des villes ont été défigurées par sa politique de systématisation, et que la géographie économique du pays est en partie le résultat de ses décisions illogiques. L’industrialisation forcée des années ’70 a entraîné l’exode de millions de paysans vers les villes, pour travailler dans des usines. « Cela a provoqué une véritable révolution, dans laquelle les rôles au sein de la société ont été inversés », estime Armand Goşu. Entre 1975 et 1989, Ceauşescu a remboursé l’intégralité de la dette extérieure de la Roumanie, une trentaine de milliards de dollars, ce qui a appauvri toute la nation. Comment ? Tous les biens étaient exportés : la production agricole, les machines, le pétrole, les vêtements, et l’Etat économisait sur tout. Le pain était rationné. Les paysans en étaient arrivés à venir en acheter en ville. Il n’y avait pas d’eau chaude. Tout était contrôlé par le régime. Les nostalgiques idéalisent l’histoire. La Pr Mihaela Miroiu de l’Ecole nationale d’études politiques et administratives fait état de « la réactivation de certaines formes dangereuses de nostalgie collective, qui idéalisent certaines périodes de l’histoire d’une nation. Pour ce qui est de l’époque communiste, il y a des gens qui regrettent tout d’abord le statut professionnel qu’ils avaient alors. Dès qu’ils ont perdu leur emploi, leur identité s’est écroulée. Une autre partie du regret vient de notre tendance de traiter l’enfance, l’adolescence et la jeunesse de manière idyllique », explique-t-elle pour le magazine Avantages. Voilà une réponse possible à ta question, Gilles.