Christian Ghibaudo (France) – Henri Negresco et son fameux hôtel
Pourquoi à Nice au lieu de Paris ? Pourquoi en France alors que Bucarest était appelé le petit Paris ?
România Internațional, 13.10.2017, 14:27
En 1893, lorsqu’il avait 15 ans, le fils d’un aubergiste aux origines juives de Bucarest, Henri Alexandru Negrescu, décide de quitter la maison familiale. Il devient l’apprenti du pâtissier et de l’homme d’affaires Grigore Capşa, qui avait ses états à Paris et avait même présenté ses productions à l’impératrice Eugénie. Il avait cette confiserie de qualité, considérée la plus renommée de Roumanie, mais aussi d’Europe Centrale, à l’époque, au centre de Bucarest. Fournisseur de la Cour princière et de la Maison royale de Roumanie à ce moment-là, puis de Serbie et ensuite de Bulgarie, titulaire de nombreux prix à l’étranger, dont la Grande médaille d’or de l’Exposition universelle de 1889 de Paris, elle est aujourd’hui encore un restaurant-confiserie historique haut de gamme. Deux années plus tard, fort de cette expérience, Henri Negrescu va à Paris tenter sa chance en espérant accomplir ses grands rêves. Dix ans plus tard, il posait sa valise à Monte Carlo et commençait à travailler dans les restaurants et les hôtels les plus huppés de la Principauté. Il impressionne les milliardaires américains et les aristocrates russes, ce qui lui crée des opportunités de carrière.
Membre actif de la communauté juive de Bucarest et franc-maçon, on le retrouve maître d’hôtel, puis directeur de deux restaurants et ensuite des restaurants du Casino de Nice et de celui d’Enghien-les-Bains ; c’était en 1905. Il s’établit sur la Côte d’Azur. A cette époque, la riviera française attirait une clientèle triée sur le volet, en provenance d’Europe et d’Amérique : des princes, des rois et des milliardaires connus.
En tant que directeur des restaurants les plus exclusivistes de toute la Côte d’Azur, Henri Negrescu entre en contact avec les élites du début du XXe siècle. Avec son ami, l’architecte en vogue Edouard-Jean Niermans, qui avait déjà conçu le Moulin Rouge et les Folies Bergère, il se propose de construire un palais unique en Europe pour accueillir sa riche clientèle fidèle. Il rencontre aussi l’homme d’affaires Alexandre Darracq, fondateur de la société Alfa Romeo, qui voyait grand. Niermans et Negresco avaient fait une série de voyages à Paris, Londres, Berlin, Bruxelles pour visiter et retenir des détails importants des hôtels Ritz, Savoy, Claridge’s, L’Automobile Club, Waldorf, Cecil et Métropole. Grâce au financement de Darracq, Henri Negrescu jette les fondements de l’hôtel que vous connaissez. Seul le terrain avait coûté 1,2 millions de francs ! Il se naturalise Français et devient Negresco. Gustave Eiffel est engagé pour construire un immense dôme en verre, un des plus beaux d’Europe.
C’est ainsi que le luxueux hôtel Negresco ouvre ses portes sur la Promenade des Anglais en janvier 1913, comme un des seuls palais construits par une personne sans titre nobiliaire. Il disposait de 113 chambres, deux restaurants, neuf salons, des bars et des salles de remise en forme. La position sur la Baie des Anges, l’architecture, les facilités extraordinaires de l’établissement, la plupart en première absolue, la qualité des services en faisaient un palace « des mille et une nuits ». Il convient de mentionner les dernières innovations techniques : stérilisation des eaux par rayons ultraviolets, réseau de tuyaux par lesquels les télégrammes arrivaient directement dans les chambres, par exemple. Les chambres étaient uniques, le mobilier – très raffiné. Dans le Salon royal brillait un candélabre Baccarat de 17.000 cristaux qui avait été commandé par le tzar Nicolas II mais qui n’était plus arrivé en Russie.
En peu de temps, le palais de Negresco devient le lieu de rencontre de la crème de la société française et européenne. Il est fréquenté par des rois, des banquiers et des artistes. Une année seulement après son ouverture, il était considéré comme l’établissement le plus somptueux de toute la riviera française et un des plus recherchés sinon le plus luxueux du monde. Et après une saison, le bénéfice était fabuleux.
En 1914, le Roumain met l’hôtel à disposition comme hôpital de guerre et paie même de sa propre poche pour entretenir une centaine de blessés. A la fin de la guerre, Negresco est ruiné. Il meurt à 52 ans, à Paris. Les créanciers avaient saisi et vendu son hôtel. Qui fonctionne avec des hauts et des bas jusqu’en 1957, lorsqu’il est racheté par la famille Augier. Paul Augier et sa fille Jeanne mettent 8 ans à le rénover et à le décorer avec du mobilier de luxe pour lui rendre sa splendeur d’autrefois. Le nom a été conservé, une galerie pour les artistes a été créée, qui couvre toutes les grandes périodes de l’histoire de France, ce qui fait de l’hôtel une ambassade de la culture française. Deux restaurants ont également été créés, dont un a reçu la deuxième étoile Michelin. Actuellement, il dispose de 94 chambres et de 31 suites avec vue sur mer ou sur le dôme. L’hôtel-musée dispose de 6000 objets d’art, dont 1600 peintures originales. Voilà ce que je pouvais te dire, Christian, et merci de ta question qui m’a permis d’en apprendre davantage sur l’élégant Monsieur Negresco, passionné de luxe et créateur d’un monde spectaculaire.