Le bois mort
On a longtemps cru que le « bois mort » présent dans les forêts nuisait aux écosystèmes, raison pour laquelle il en était systématiquement retiré. Les spécialistes pensent maintenant que c’était une erreur, et une recherche étudiant le phénomène est en cours à la frontière roumano-ukrainienne. Intitulé « Promouvoir le bois mort pour accroître la résilience des forêts dans la zone transfrontalière Roumanie-Ukraine », le projet est mis en œuvre par le Fonds mondial pour la nature Roumanie, en collaboration avec l’Université Ștefan cel Mare de Suceava (ville située dans le nord de la Roumanie), mais aussi avec l’Institut de recherche en Sylviculture PS Pasternak-UkKRIMF et l’association Ecosphera – les deux derniers organismes originaires d’Ukraine. Les conclusions à ce jour sont que le bois mort, qu’il s’agisse d’arbres morts encore sur pied ou au sol (chablis), représente un élément essentiel pour la vie de la forêt, et joue un rôle clé dans la préservation de cette dernière, pour le maintien de sa vitalité, de sa capacité de régénération, enfin pour accroître sa résilience devant les changements climatiques.
Eugen Cojocariu, 26.03.2021, 08:34
On a longtemps cru que le « bois mort » présent dans les forêts nuisait aux écosystèmes, raison pour laquelle il en était systématiquement retiré. Les spécialistes pensent maintenant que c’était une erreur, et une recherche étudiant le phénomène est en cours à la frontière roumano-ukrainienne. Intitulé « Promouvoir le bois mort pour accroître la résilience des forêts dans la zone transfrontalière Roumanie-Ukraine », le projet est mis en œuvre par le Fonds mondial pour la nature Roumanie, en collaboration avec l’Université Ștefan cel Mare de Suceava (ville située dans le nord de la Roumanie), mais aussi avec l’Institut de recherche en Sylviculture PS Pasternak-UkKRIMF et l’association Ecosphera – les deux derniers organismes originaires d’Ukraine. Les conclusions à ce jour sont que le bois mort, qu’il s’agisse d’arbres morts encore sur pied ou au sol (chablis), représente un élément essentiel pour la vie de la forêt, et joue un rôle clé dans la préservation de cette dernière, pour le maintien de sa vitalité, de sa capacité de régénération, enfin pour accroître sa résilience devant les changements climatiques.
Par ailleurs, la présence du bois mort sert les intérêts des communautés locales, en préservant des écosystèmes essentiels. Radu Melu, expert du Fonds mondial pour la nature Roumanie, explique :« Le bois mort est essentiel au secteur forestier, tout d’abord parce que sa présence favorise la productivité de la forêt. Ce bois mort nous offre toute une gamme de nutriments, de la matière organique issue de ce bois, et qui constitue une excellente base de croissance pour les jeunes pousses et pour les nouvelles générations. Dans la forêt, la richesse du sol provient du bois. Si nous extrayons toujours tout le bois de la forêt, et ne laissons rien se décomposer sur place, à terme nous pourrions avoir des problèmes. Et, si vous me permettez un parallèle avec l’agriculture, pensez que dans l’agriculture, lorsque vous continuez à récolter et à récolter sur le même sol, à un moment donné vous constatez qu’il a été appauvri, et qu’il faudrait compenser cela avec des engrais : soit avec des engrais naturels, soit avec des engrais chimiques. Nous avons donc besoin qu’une partie du bois demeure et se décompose dans le sol même de la forêt, tout comme les feuilles, les branches et d’autres composants organiques. Le bois mort fournit par ailleurs de la nourriture et un micro-habitat à des milliers d’espèces particulières. Il existe toute une série d’espèces qui ne pourraient pas survivre dans la forêt en l’absence du bois mort, et leur disparition éventuelle aurait des effets sur la capacité de résilience de la forêt dans son ensemble. L’on a aussi remarqué des zones avec un excès d’humidité et d’autres qui sont trop sèches. Et là, le bois aide à maintenir un très bon équilibre. Le bois mort, le bois semi-pourri y maintient le taux d’humidité dans des valeurs raisonnables. C’est exactement ce dont les jeunes pousses ont besoin. Il y a aussi des plantes qui poussent sur du bois mort, et qui ne poussent que de la sorte. De plus, il fournit de la nourriture et un cadre de vie à différentes espèces forestières, qui vivent dans ses creux, qui vivent dans les arbres. Elles ont besoin de ce bois mort pour se développer, voire pour exister tout simplement. Le bois mort constitue également l’habitat d’hibernation d’élection pour nombre d’espèces. Voyez-vous, nous avons tout intérêt à préserver le statut et le maintien de ce type de bois au sein de la forêt. Il y est à sa place ».
La gestion du bois mort est un concept de conservation relativement nouveau pour la Roumanie et l’Ukraine. Promu depuis les années 2000, il est le plus souvent ignoré par la pratique, dans la gestion de la forêt. En effet, durant des décennies, les autorités compétentes des deux pays considéraient le bois mort comme l’« ennemi de la forêt », s’employant à l’éliminer systématiquement. Cela avait finalement conduit à l’extinction de certaines espèces rares, présentes autrefois dans les écosystèmes forestiers, entraînant de la sorte une vulnérabilité générale de la forêt, en lien avec la diminution de sa capacité de régénération naturelle et de l’apport de nutriments dans le sol ainsi que de sa résistance face au changement climatique. Et une forêt mal en point ne sera jamais une forêt productive. Cătălin Roibu, expert de l’Université Ștefan cel Mare de Suceava, étaye ces propos : « Le bois mort n’est pas un concept abstrait ou farfelu, mais quelque chose de très concret. « Bois mort – forêt vivante », n’est pas juste un slogan, mais la conclusion des spécialistes au niveau européen et mondial. Parce que le bois mort constitue le garde-manger et l’abri de nombreuses espèces. Certaines même, reprises sur la liste rouge, sont des espèces menacées au niveau européen. En même temps, c’est le bois mort qui régule et garde sous contrôle tous les paramètres qui assurent la santé de la forêt. Pour ce qui est de notre projet, nous avons constitué un réseau de superficies d’échantillonnage. 20 superficies circulaires, placées au hasard, dans la forêt. A proprement parler, l’ordinateur nous a désigné ces 20 cercles de test dans la forêt naturelle, et puis il avait choisi, toujours au hasard, 20 autres superficies de test dans la forêt aménagée, là où une gestion forestière est de mise. Le même mécanisme pour localiser les surfaces qui feront l’objet des études, le même protocole, a encore été appliqué en Ukraine. »
Démolir le mythe du bois mort nocif, et qui devrait être retiré des forêts, cela peut être entrepris grâce à la coopération et à la recherche transfrontalières, mises en place entre la Roumanie et l’Ukraine. Le changement de cap dans la gestion du bois mort et, par voie de conséquence, de la forêt, constitue un élément essentiel pour la préservation d’écosystèmes forestiers sains, et pour la préservation de la durabilité des services écosystémiques qu’ils fournissent, affirment de concert les développeurs du projet, financé par ailleurs par l’Union européenne. (Trad. Ionut Jugureanu)