L’agrandissement des plages : effet de mode ou bénéfices réels ?
La côte roumaine à la mer Noire, dont les plages souffraient depuis des décennies les effets de l'érosion a vu la tendance se renverser ces dix dernières années.
Eugen Coroianu, 29.09.2023, 12:40
La côte roumaine à la mer Noire, dont les plages
souffraient depuis des décennies les effets de l’érosion a vu la tendance se
renverser ces dix dernières années. En effet, les quelques 800 millions d’euros
dépensés dans l’opération n’ont pas été jetés à la mer. Des milliers de tonnes
de sable dragué au large ont servi à élargir de manière conséquente des plages
mises à mal par l’érosion, des plages censées dorénavant compter jusqu’à 100
mètres de large. Le projet de réhabilitation a par ailleurs pris en
considération la protection de la biodiversité et de l’habitat marin, le projet
prévoyant la réhabilitation de l’habitat affecté sur près de 800.000 mètres
carrés, une superficie qui sera recouverte à terme par la zostère marine ou,
plus prosaïquement, par l’herbe de mer. Les travaux de génie civil ont également
visé la consolidation des falaises et la gestion des alluvions. Mais planter l’herbe
de mer, seule plante au monde qui est pollinisée sous l’eau et qui demeure essentielle
pour la survie de de la biodiversité marine, cela fait certainement rêver.
Le
chercheur Florin Zăinescu nous renseigne sur les tenants et les aboutissants de
son projet :
« Plus d’un tiers de plages affectées par l’érosion
se trouvent en Roumanie. Le facteur climatique en est pour quelque chose. Mais
si l’on regarde de plus près la dynamique des sédiments, nous allons nous
rendre compte que les activités humaines pèsent davantage dans ce processus d’érosion.
La construction des ports, le terminal de Midia Năvodari, le port de Constanța
ont beaucoup influé sur la dynamique des sédiments. Sur la côte roumaine de la
mer Noire, les vagues arrivent du nord-est, et font déplacer les sédiments du
nord au sud. C’est ainsi que cela se passe. Or, construire une grande digue,
qui avance loin dans la mer, empêchera le déplacement naturel des sédiments et les
plages seront privées de leur apport. Les sédiments pour les plages, c’est
comme la nourriture pour l’homme. Une nourriture dont elles seront dorénavant
privées. Par ailleurs, faire bétonner les falaises c’est priver aussitôt les
plages d’une autre source importante de sédiments. Les plages se voient ainsi
priver de leurs deux principales sources d’alimentation. Et cela ne tarde pas d’avoir
des conséquences, que nous tentons de compenser grâce à nos interventions
actuelles ».
A la fin du projet, les spécialistes tablent à la
fois sur un renforcement de la sécurité des côtes et sur l’amélioration des
conditions offertes aux touristes, avec tout ce que cela implique en termes de
retombées économiques positives pour le secteur touristique, et plus largement pour
la région. Florin Zăinescu :
« Une plage plus large, qui contient davantage
de sédiments, constitue une zone tampon censée déjà nous protéger face à l’action
de la mer. Il n’y a qu’ensuite qu’arrive l’avantage le plus évident, celui de
créer un espace de loisir qui nous permette d’accueillir davantage de
touristes, qui puissent jouir de cette plage supplémentaire pour organiser des activités
par exemple. N’importe qui privilégie d’avoir une plage large, où l’on se sente
à l’aise, plutôt qu’une plage bondée. Néanmoins, ces travaux présentent
certains inconvénients. Pour agrandir les plages de la station Eforie, l’on a érigé
des digues. Même lorsqu’on monte sur la falaise et qu’on regarde vers le sud, plutôt
que de voir l’étendue de la mer, la vue est gâchée par ces digues. En même
temps, se promener le long des digues est plutôt plaisant. Mais depuis la côte,
la vue est gâchée. Un autre désavantage est la qualité inférieure du sable
rapporté : plus grossier, avec des coquillages. Et cela
change la morphologie de la plage. Avant, la pente était douce à l’entrée de l’eau.
Maintenant, l’eau monte rapidement, ce qui pourrait accroître le risque pour
les baigneurs, car cet état de fait favorise l’apparition des courants. Enfin,
dernier grief : ces chantiers ont un impact en termes écologiques. La
biodiversité, le milieu naturel sont impactés aussi bien là d’où l’on extrait
le sable, que près de la plage où on l’avait relogé. L’équilibre naturel est
rompu ».
Le volet écologique du projet de réhabilitation des
plages comprend toutefois, mise à part la plantation de l’herbe de mer, le
maintien et le développement de l’habitat de deux espèces de mollusques : la
Donacilla Cornea et la Donax Trunculus. C’est dans ce sens qu’un premier projet
pilote censé vérifier la possibilité de muter et d’acclimater ces espèces dans
un nouvel habitat s’est déjà déroulé, les résultats étant plus que prometteurs.
« Vous savez, nous avons certaines plages qui, à cause de l’intervention
humaine qui les avait coupés de leurs sources régénératrices naturelles,
nécessitent des perfusions régulières pour les maintenir en vie. On en est là.
Et l’on continue à traiter les symptômes, mais sans agir sur les causes. En
agissant ainsi, nous prenons le pari d’assumer des coûts plutôt conséquents et
de nous voir confronter aux effets indésirables provoqués par notre
intervention. Cela augmente aussi notre vulnérabilité face aux effets du réchauffement
climatique. Tout n’est pas rose dans ce genre de projets », conclut son
intervention le chercheur Florin Zăinescu.
(Trad. Ionut Jugureanu)