La conservation des coléoptères saproxyliques des Carpates
România Internațional, 30.12.2022, 00:32
Les Carpates constituent un des plus importants
centres de biodiversité en Europe, grâce notamment aux grandes superficies
boisées qu’ils abritent, mais également à la présence des forêts vierges,
riches en arbres centenaires. Malheureusement, la manière dont la silviculture
a été pratiquée par le passé en Roumanie n’a pas toujours eu à cœur de préserver
le trésor que représente la biodiversité. Trop souvent, des arbres séculiers ont
été sacrifiés sans raison, résultant des parcelles forestières homogènes,
dépourvues de biodiversité. Aussi, certaines zones forestières se sont
retrouvées dépourvues de vieux arbres ou du bois mort, habitat essentiel pour
bon nombre d’espèces de coléoptères saproxyliques qui
sont reprises pourtant sur la liste des espèces protégées par la Directive
Habitats, comme le mentionne à bon escient sur sa page internet l’association LIFE
ROsalia. Certes, ces espèces étaient considérées par le passé des espèces
nuisibles, et récolter le bois mort était considéré comme le moyen privilégié
pour s’en débarrasser. Parfois même des insecticides étaient diffusés, ce qui a
eu pour effet de réduire gravement la capacité de résilience de la forêt. De
nos jours, les mentalités et les pratiques sont pourtant en train de changer.
Silviu Chiriac, le manager du projet intitulé «La conservation des coléoptères saproxyliques des Carpates» :
« Nous sommes en
train de nous concentrer sur 5 espèces de coléoptères, à savoir Lucanus cervus,la rosalie des Alpes ou rosalie alpine, Le Capricorne
du chêne (Cerambyx cerdo), la Morimus funereus et, enfin, une espèce plus rare,
le pique-prune ou le scarabée pique-prune (Osmoderma eremita). Toutes ces
espèces dépendent du bois, du bois mort notamment. Car ce qu’elles font c’est aider
le bois à se décomposer, elles accélèrent la décomposition du bois, pour le
remettre plus rapidement dans le circuit de la forêt. Ces espèces contribuent à
la bonne décomposition du bois et à la production de l’humus forestier. En l’absence
de ces organismes saproxyliques, le bois mort survivrait en l’état bien plus
longtemps avant de se transformer en humus forestier. Et cela empêcherait la
forêt de se régénérer naturellement. »
Un monde
étrange et merveilleux se cache discrètement sous la coupole des forêts
séculaires. Les êtres qui la composent ont tous un rôle bien déterminé dans le
mécanisme bien huilé de la vie. Les coléoptères ne sont pas en reste. En leur
absence les écosystèmes souffriraient des changements dramatiques. Leur protection
relève de notre devoir.
Silviu Chiriac :
« Lorsque nous
avons conçu notre projet et que nous avons sollicité le soutien du programme
Life de la Commission européenne, nous sommes partis du constat que nos forêts
sont pour la plupart dépourvues de ces vieux arbres, qui sont habituellement
truffés de creux, à moitié morts, et dont le bois est en train de pourrir. Or,
nous savons bien que les coléoptères ont besoin de ce type de bois, de ces creux,
et nous nous sommes alors proposés de créer ce type d’habitat dans des arbres
qui n’étaient pas aussi vieux, d’accélérer en quelque sorte l’action naturelle
du temps sur les arbres, en créant des microcavités, que les coléoptères
puissent utiliser pour pondre, et le transformer progressivement en cet habitat
dont ils ont besoin. Nous avons aussi créé des pseudos creux, en confectionnant
une sorte des boîtes en bois de hêtre ou de chêne, recouvertes à l’intérieur de
mousse, de feuilles mortes, de la sciure, que nous avons accrochées aux arbres
à une hauteur d’environ 4 mètres, pour pas que les ours s’en prennent à elles.
Et nous espérons que d’ici quelques années, ces boîtes deviennent un habitat
fort prisé par les coléoptères. »
Mais le projet développé dans les monts
Vrancea comprend aussi une composante de recherche scientifique. Silviu Chiriac :
« Il faut
étudier le mode de vie des coléoptères, parce que nos connaissances, les connaissances
scientifiques actuelles présentent des lacunes. L’on voudrait comprendre leur
autonomie par exemple, la distance qu’ils peuvent parcourir entre les arbres où
existent déjà des colonies. Alors, nous avons fait l’acquisition d’émetteurs
radios, qui ne pèsent que 0,15 grammes, les avons montés sur leur dos, et avons
pu ainsi les suivre, durant tout l’été, pour comprendre leurs déplacements,
leurs habitudes, les micro-habitats dont ils ont besoin. Nous allons recueillir
ce genre de données sur une période de 4 années. À la suite de ces
observations, nous comptons à ce que, en 2025, l’on puisse rédiger un plan
national d’action pour la préservation de ces espèces sur tout le territoire de
la Roumanie. D’ici là, nous allons comprendre quelles sont les approches qui
fonctionnent le mieux, pour pouvoir les répliquer ailleurs, sur les autres
sites Natura 2000, et au sein des aires protégées ».
Le projet
bénéficie des compétences réunies issues du Centre de recherche de l’université
de Bucarest, de Romsilva, la régie nationale des forêts, de l’administration du
parc naturel Putna – Vrancea, enfin de l’association pour la préservation de la
diversité biologique. (Trad. Ionut Jugureanu).