Solutions roumaines pour la numérisation de l’éducation
Christine Leșcu, 11.11.2020, 13:59
L’éducation compte parmi les domaines
les plus complexes appelés à relever les défis que pose la pandémie de
coronavirus. Dans beaucoup d’écoles, de lycées et d’universités de Roumanie,
les cours sont dispensés exclusivement en ligne, y compris à Bucarest, la
capitale, où le taux d’incidence des cas d’infection est de 3,91 pour mille
habitants. L’enseignement à distance est un véritable défi surtout dans nombre
de zones rurales ou défavorisées, où bien des élèves et des enseignants manquent
d’équipements numériques de base et où la connexion à Internet est difficile.
En plus, contraints de s’adapter aux conditions actuelles, les enseignants se
posent de plus en plus souvent des questions telles que « quoi, comment,
combien enseigner ? », ou encore « comment tester et évaluer ? ».
Certains entrepreneurs spécialisés dans l’éducation proposent déjà des
solutions numériques et pas seulement pour que cette adaptation aille de mieux
en mieux. Tout devrait commencer par la réponse à la question « quoi
adapter exactement ? », estime Dragoș Iliescu, professeur des
universités et expert en psychopédagogie : « Personne ne sait
exactement ce qu’il faut adapter. Une chose est sûre : on ne peut pas adapter
des contenus, dans le sens où l’on ne peut ni supprimer ni ajouter du contenu.
Or, je crains que ce soit justement ce à quoi tendent certains décideurs du système
: « C’est une année difficile. Pourquoi ne pas ôter du cursus tel ou tel contenu
? » Pourtant, enlever ou ajouter du contenu n’est pas une solution pendant
cette période. S’il n’est pas conseillé de modifier le cursus, il est possible
d’adapter le contenu des cours. Il n’y a presque rien qui ne puisse être
enseigné à distance, par le biais de la numérisation. Pour presque n’importe
quelle leçon dans n’importe quelle discipline, on peut imaginer une nouvelle
façon d’enseigner. Par conséquent, puisqu’on peut enseigner le contenu, on
pourra certainement procéder à l’évaluation des acquis aussi, grâce à la
technologie. Le problème, c’est qu’il n’y a pas assez de flexibilité chez tous
les acteurs, pas seulement les enseignants, pour faire ce saut et adapter le
contenu à l’enseignement en ligne ou bien qu’il n’existe pas assez de
ressources. Certaines de ces adaptations sont assez difficiles à réaliser ou
raisonnablement difficiles au-delà des compétences des enseignants. »
A première vue, l’évaluation en ligne semble plus facile à réaliser que
l’enseignement. Pourtant, les choses ne sont pas si simples que cela, précise
Dragoș Iliescu : « Là aussi, les choses sont moins simples qu’elles ne
le paraissent, car alors que le numérique résout certains problèmes, d’autres
surgissent. Par exemple, vous concevez un test auquel puisse avoir accès tout
enfant, de n’importe quel coin du pays. Le problème qui apparaît alors, c’est
la sécurité. Combien de fois pourrait-on utiliser un test que n’importe quel
enfant peut copier par une capture d’écran pour ensuite le distribuer à ses collègues
? Heureusement qu’il existe des technologies pour y remédier, car ce n’est pas
la première fois que l’on est confronté à ce problème. D’autres pays y ont
trouvé des solutions bien avant nous. Mais pour résoudre ce problème, il faut plus
de ressources et des investissements plus importants. L’option selon laquelle
c’est une année difficile, il vaut mieux réduire autant que possible la
matière à enseigner et supprimer les tests d’évaluation semestrielle est
absurde. Il n’est pas normal d’éliminer maintenant ces tests-là, qui font
partie du feedback formatif. Bref, dans ces conditions malheureuses et hors du
commun, la solution n’est pas de supprimer quelque chose dont on a besoin, mais
de trouver des alternatives permettant de poursuivre cette activité. »
La plate-forme BRIO.RO, lancée par
Dragoș Iliescu, est un exemple que l’évaluation peut aller de l’avant. Elle
propose des tests qui combinent évaluation et apprentissage de manière à ce
que, au final, en plus des points obtenus par l’apprenant, l’on parvienne
également à évaluer plus en détail son niveau de compétence dans un domaine.
Dragoș Iliescu : « En fait, passer un test, c’est apprendre. Le test,
c’est peut-être la meilleure méthode d’apprentissage profond. Il est lui-même
est une activité d’apprentissage, car il structure l’information à un niveau
supérieur, encourage la métacognition. Bref, c’est la meilleure chose que l’on
puisse faire en vue de la sédimentation des informations et de leur
interconnexion au cours des différentes activités pratiques. De plus, il offre
un retour sur le processus d’apprentissage : il indique ce que l’on sait ou
quelles sont nos lacunes et sur quoi il faudrait insister. Les tests guident
donc notre apprentissage, le surveillent et nous permettent de planifier de
nouvelles activités d’apprentissage. »
Établi depuis plusieurs
années au Royaume-Uni, Paul Balogh a développé diverses ressources pédagogiques
numériques allant des manuels électroniques aux plates-formes d’enseignement
numérique telles que Hypersay. Il collabore avec des institutions universitaires
et académiques prestigieuses du Royaume-Uni, ainsi qu’avec des enseignants de
Roumanie. Comment il a interagi avec ces derniers ? Voici la réponse de Paul
Balogh: « La Roumanie n’a pas eu la meilleure réaction, dans le sens où
le ministère de tutelle a très peu aidé les enseignants, voire pas du tout.
Toutefois, au niveau individuel, beaucoup d’enseignants se sont très bien
débrouillés. Ils ont réussi à résoudre les problèmes par eux-mêmes, en
autodidactes. Ils ont appris tout seuls à utiliser des plateformes en ligne
pour les conférences et l’apprentissage. Je trouve cela merveilleux et je suis
étonné que l’on n’en parle pas davantage dans l’espace public. Dans d’autres
pays, les ministères ont eu une approche plus cohérente et ont agi de concert
avec les établissements scolaires. Ils ont longtemps réfléchi aux différentes
solutions possibles et les ont appliquées. C’est donc le soutien du ministère
qui fait la différence. »
De manière individuelle, chaque enseignant a fait preuve d’une plus
grande adaptabilité que de nombreuses institutions publiques, explique Paul
Balogh, qui conclut : « Nos relations avec les enseignants roumains
demeurent plutôt individuelles. Certains professeurs qui enseignent à
différentes écoles – privées et publiques – souhaitent utiliser notre
plateforme, mais le soutien, notamment financier, est quasiment inexistant
quand il s’agit d’acheter de tels logiciels. Il n’est pas rare que les
enseignants se voient contraints de payer ces logiciels de leur propre poche,
ce qui n’est pas normal. Au niveau institutionnel, que ce soit à celui du
ministère, des universités ou des écoles, nous n’avons aucune collaboration de
ce type en Roumanie. Il n’y a que quelques professeurs enthousiastes qui
utilisent chaque jour notre plateforme pour mieux enseigner en ligne. »
La pandémie et les restrictions qui en
découlent pour l’enseignement classique offrent aux enseignants l’occasion de
se montrer libres et créatifs, en s’appuyant sur la technologie numérique pour
transmettre les différents savoirs. (Trad. Mariana Tudose)