Qu’est-ce que l’analphabétisme fonctionnel?
Le problème est tellement grave et répandu, que les dirigeants de l’UE ont décidé de réduire de 20% à 15% le taux d’analphabétisme culturel d’ici 2020. En Roumanie, le taux est pourtant déjà beaucoup plus élevé, atteignant 42% parmi les élèves de 15 ans – selon l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). Ce taux a été établi en 2015, suite à des calculs minutieux qui prenaient en compte les résultats obtenus par les élèves roumains aux enquêtes d’évaluation des élèves (PISA, TIMSS, PIRLS etc). Selon le Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA) de l’année dernière, censé évaluer le niveau des connaissances aussi bien linguistiques que scientifiques, le taux d’analphabétisme fonctionnel chez les élèves roumains serait de 38% seulement. Qu’est-ce que ces chiffres signifient, concrètement? A quoi ressemble un analphabète fonctionnel?
Christine Leșcu, 21.12.2016, 14:17
Cristian Hatu, membre fondateur du Centre d’évaluation et d’analyse éducationnelle, explique: «Ils sont incapables de penser de manière structurée et de faire une analyse très simple. Par exemple, en mathématiques, ils maîtrisent l’addition et la multiplication, mais s’ils sont confrontés à une situation concrète, ils ne savent pas quelles opérations arithmétiques élémentaires utiliser. Si on leur demande par exemple d’aller acheter une moquette pour une pièce, il ne savent pas en calculer la superficie. Ils ne savent pas non plus interpréter un schéma très simple. »
De leur côté, les élèves constatent cette situation et cherchent des explications. Voici l’avis de Vlad Ştefan, lycéen de Braşov, président du Conseil national des élèves : « Malheureusement, le système éducatif de Roumanie est ancré dans le passé et n’a pas réussi, lui, à se réformer. D’autres systèmes éducatifs d’Europe l’ont fait et ont tâché de développer chez les enfants certaines compétences d’analyse, d’étude, d’observation personnelle. Malheureusement, en Roumanie l’école se contente de cocher l’information et de la reproduire, sans que l’élève la comprenne en profondeur et sans choisir ce dont il a besoin, car certains éléments du curriculum scolaire actuel sont inutiles et ne font que l’alourdir.L’analphabétisme fonctionnel découle donc de la façon d’enseigner et du contenu du curriculum scolaire. On le rencontre aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. Cristian Hatu. SON : « L’analphabétisme culturel n’est pas uniquement l’apanage des zones défavorisées. Il n’y a pas de rapport significatif entre les performances d’un élève et le statut socio-économique de la zone où il vit. Pour les mathématiques, ce rapport est de 17%-19%. »
Pour que la situation change, on a besoin d’un nouveau paradigme éducatif, favorisant l’apprentissage fondé sur la compréhension. Qu’est-ce que cela veut dire ? Cristian Hatu : « Cela veut dire que le professeur doit utiliser les instruments pédagogiques de manière à ce que les élèves comprennent le mieux possible le thème abordé – qu’il s’agisse d’une question de physique, d’une formule mathématique ou d’un texte littéraire. Il doit essayer de leur montrer quel est le lien entre le thème respectif et son existence quotidienne. Chez nous, il y a évidemment des professeurs qui le font. Ils se rendent compte que c’est là l’enjeu de l’éducation et ils font des efforts personnels dans cette direction. Certains ont fait des stages, mais la plupart ne peuvent pas mettre au point tous seuls ce genre d’instruments. Des formations doivent être organisées pour les aider à enseigner de cette façon. Ce savoir faire, ils ne peuvent pas l’acquérir tout seuls, ou très rarement.
Tout dépend donc des responsables du domaine éducatif. Ce changement, ce sont surtout les personnes touchées par l’analphabétisme fonctionnel qui l’exigent. Car, si ce genre d’analphabétisme peut être déjà constaté à l’école, il devient encore plus évident sur le marché de l’emploi. Les changements qui ont marqué le marché de l’emploi depuis quelques dizaines d’années, imposent aux personnes actives une capacité à s’adapter que, pour l’instant, l’école roumaine ne cultive pas. Nous repassons le micro à Cristian Hatu, membre fondateur du Centre d’évaluation et d’analyse éducationnelle: « Depuis un certain temps, les gens ont commencé à changer leur spécialisation professionnelle 3 ou 4 fois pendant leur vie active, selon une étude de la Banque Mondiale publiée il y a quelques années. Or, la question se pose : que fait l’école, quelles habiletés développe-t-elle chez les élèves, pour que plus tard, dans leur vie adulte, ils puissent opter pour une autre spécialisation que leur spécialisation initiale ? Même si l’on réussit à garder longtemps son emploi, on doit être capable de s’adapter fréquemment aux nouvelles conditions, aux changements technologiques ou à ceux découlant de la stratégie de la société pour laquelle on travaille. De plus en plus souvent, l’employé doit aborder de manière rationnelle des situations auxquelles il n’a jamais été confronté avant. L’école doit notamment former sa pensée critique, des habiletés lui permettant de résoudre certains problèmes, sa créativité… »
Par conséquent, dans une économie dynamique, les personnes actives professionnellement doivent s’adapter en cours de route. Et pour ce faire, elles ont besoin de certaines habiletés que seule l’école peut les aider à développer et les analphabètes fonctionnels sont justement les moins préparés de ce point de vue.
(Aut.: Christine Leşcu; Trad. : Dominique)