Qu’a-t-on appris de la guerre en Ukraine ?
Les efforts immenses déployés par les Roumains et le reste de lEurope ont révélé au grand jour la capacité fondamentale des hommes à se mettre à la place dautrui, à agir dans lurgence pour le sortir dune impasse. Lempathie est une qualité propre à lhomme, et traduit une ouverture profonde et totale à lautre. Si cette guerre doit avoir un bon côté, cest bien celui-ci : lempathie réelle et complète. Il serait peut-être temps alors de méditer un peu sur cette qualité qui nous distingue des autres mammifères. Nous avons échangé avec Elena Maria Dumitrescu, psychothérapeute spécialisée en thérapie cognitive comportementale, autour de cet immense élan de solidarité envers lUkraine. Nous lui avons demandé comment cela sexpliquait sur le plan psychologique. Voilà sa réponse :
Luiza Moldovan, 13.04.2022, 12:09
« Nous faisons tous partie dun tout que lon appelle la vie, lunivers, lénergie, la création ou encore le divin. Jassocierais la gentillesse à la compassion, au fait de se soucier des autres, davoir envie de les aider. Cette caractéristique sobserve aussi bien au niveau individuel que collectif. Il en existe un très bon exemple dans la nature. La fourmi de feu, qui vit dans des fourmilières au bord des rivières. Lorsque leau monte, elle sait quelle na aucune chance de sen sortir seule. Les fourmis de la colonie vont alors saccrocher les unes aux autres pour former comme un radeau immense. Elles conservent cette position pour se maintenir à la surface de leau jusquà ce que le niveau redescende. Cest comme ça quelles se sauvent les unes les autres, sauvent la fourmilière et surtout lespèce. La religion et Darwin nous ont montré que chaque espèce était équipée pour survivre. Nous aussi nous avons de quoi offrir au monde. La nature ne se soucie pas de savoir si nous allons ou non survivre. Cest à nous de nous en préoccuper et de nous raccrocher à la vie. »
Lamitié est lexpression la plus forte et la plus pure de notre humanité. Les Roumains ont suscité ladmiration du monde entier en accueillant ainsi à bras ouverts leurs voisins ukrainiens qui fuient la guerre. Lamitié pourrait-elle sauver lespèce humaine ? Elena Maria Dumitrescu nous répond :
« Nous sommes amis avec les Ukrainiens. Et lamitié est le moyen de communication le plus pur entre les hommes, aussi bien sur le plan énergétique que psychologique et spirituel. Nous sommes en pleine période du Carême. Et la Bible nous fournit quelques exemples pour illustrer ce propos. Lorsque Jésus fait référence à ses Apôtres et aux femmes dévotes quil appelle ses amis. Dans de nombreux contextes on retrouve cette idée dune amitié puissante, qui guérit les maux physiques, mais aussi mentaux. Du point de vue psychologique, les relations damitié sont essentielles pour notre bien-être. Je tiens à souligner ici que lempathie, la capacité à se mettre à la place dautrui, nexige pas de connaitre forcément lautre personne. Lempathie, la compassion et la bonté donnent du sens à notre existence. Nous avons besoin de cette solidarité, en tant quindividus, mais aussi en tant quespèce. Nous devons dépasser lautosuffisance, la superficialité et la paresse qui selon moi sont nos plus grands ennemis. Nous devons comprendre que nous avons chacun un rôle à jouer. »
Existe-t-il des limites à lempathie ? La psychologue Elena Maria Dumitrescu nous explique quelles en sont les limites, les dangers et le juste milieu à trouver :
« La vie se charge de notre équilibre énergétique, spirituel et de léquilibre du système auquel nous appartenons. Lempathie est une position déquilibre dans la sphère du relationnel. Il arrive fréquemment que notre besoin daider soit supérieur au besoin daide de lautre. Car nous sommes notre propre point de référence. Ce besoin daider peut être motivé par plusieurs choses : surmonter certains aspects de notre vie, atténuer notre culpabilité, répondre à notre besoin de perfectionnismes ou encore aux normes sociales etc. Il arrive parfois que nous franchissions une limite dans lempathie. Nous nous identifions à lautre et lon se place dans la posture du sauveur. Ce faisant, on accentue la posture de victime de lautre. Nous sommes alors plus attentifs à nos propres besoins quà ceux de lautre personne. Bien souvent, cela implique une consommation inutile de nos ressources biologiques, physiologiques et énergétiques. Et il arrive que cela nuise plus quautre chose à notre relation à lautre, car il y a un décalage avec la réalité de la situation. Tout ce qui va au-delà de cet équilibre pour aller vers les extrêmes nest pas bénéfique. Il faut savoir doser, car trop donner peut nuire, mais ne pas donner assez ne suffit pas non plus », a conclu la psychothérapeute Elena Maria Dumitrescu.
(Trad.: Charlotte Fromenteaud)