Opinions et attitudes religieuses
Bien que 67% des Roumains estiment que « l’on doit décourager l’homosexualité », seuls 27% jugent nécessaire le référendum sur la définition du mariage comme l’union entre un homme et une femme. Ces sont les résultats d’un récent sondage sur les attitudes religieuses des Roumains, réalisé par la fondation Friedrich Ebert Roumanie, par l’intermédiaire du projet « La surveillance sociale », à une période où la coalition au pouvoir à Bucarest annonçait son intention d’organiser un référendum, afin de donner cours à la pétition par laquelle 3 millions de personnes exigeaient la modification de la Constitution roumaine. Les signataires de la pétition souhaitent qu’une précision y soit introduite, à savoir que la famille est fondée par le mariage librement consenti entre un homme et une femme, et pas entre les époux, tout court, comme stipulé actuellement dans la loi fondamentale.
Christine Leșcu, 25.07.2018, 13:15
La demande a été formulée par un rassemblement associatif intitulé « La Coalition pour la Famille ». Celle-ci réunit plusieurs ONGs qui militent pour la famille traditionnelle hétérosexuelle, reposant selon eux, entre autres, sur des principes chrétiens. La plupart des Roumains s’estiment religieux, fait confirmé d’ailleurs par de nombreuses études sociologiques. Le sondage réalisé par « La surveillance sociale » met néanmoins en évidence certaines non-concordances ou failles dans cette option – apparemment ferme – des Roumains pour une vie religieuse.
Victoria Stoiciu, représentante de la fondation Friedrich Ebert : « Lors du dernier recensement de la population, 99,6% des Roumains déclaraient leur appartenance à une religion. Pourtant, 44% seulement d’entre eux affirment prier quotidiennement et 21% vont à l’église chaque semaine. On constate tout de suite une non-concordance. La quasi-totalité des Roumains se déclarent religieux, mais ceux qui pratiquent leur religion semblent beaucoup moins nombreux. »
L’anthropologue Vintilă Mihăilescu juge correctes les données publiées par « La surveillance sociale », qui fait d’ailleurs une synthèse de plusieurs recherches crédibles menées par des institutions sociologiques prestigieuses, y ajoutant des chiffres fournis par le recensement de la population de 2011. En matière de religion, donc, la quasi-totalité des Roumains se déclarent croyants, pourtant la moitié seulement prient quotidiennement et un quart d’entre eux vont à l’église une fois par semaine. Pourtant, si l’on veut analyser cette contradiction, on doit quand même nuancer son jugement.
Vintilă Mihăilescu : « Cette contradiction n’est pas du genre : vous dites une chose et vous en faites une autre. Il faut comprendre que les pratiques orthodoxes sont éventuellement moins institutionnalisées par rapport à celles d’autres cultes. La relation directe avec Dieu, chez soi, par la prière, est, elle aussi, une façon de pratiquer la religion. Cette contradiction, mise en évidence par les chiffres, ne s’explique pas nécessairement par l’hypocrisie des gens, comme on l’a souvent affirmé. Cela ne veut pas dire : « Je me déclare croyant, mais je n’ai pas de temps pour ces bêtises-là ». Souvent, des communautés religieuses ont leurs propres coutumes, souvent préchrétiennes, voire magiques. Ces pratiques, pas du tout canoniques, sont acceptées par certains prêtres, car c’est pour eux une façon de prendre soin de leurs ouailles. »
D’ailleurs, la statistique publiée par « La surveillance sociale » confirme le fait que les coutumes religieuses de certaines communautés sont un élément de cohésion plutôt qu’une expression de la foi de leurs membres.
Victoria Stoiciu : « Ce qui peut sembler paradoxal aussi, c’est que 99,6% des personnes interrogées déclarent leur appartenance à une religion, pourtant 95% seulement affirment croire en Dieu. La différence de 5% n’est pas énorme, mais on ne saurait l’ignorer. Elle s’explique par l’appartenance à une tradition et à une communauté culturelle. Par exemple, le fait d’être né de parents chrétiens orthodoxes, d’avoir été baptisé, de s’être marié à l’église, marque l’appartenance à une religion, mais cela ne signifie pas nécessairement que la personne en question croit en Dieu. Appartenir à cette communauté plutôt culturelle ne veut pas dire que la personne se sent obligée de respecter les pratiques religieuses courantes de celle-ci : aller à l’église, prier etc. Les principaux rituels, soit les rites de passage – baptême, mariage, enterrement – sont respectés ».
Les données montrent un faible soutien (27% seulement des répondants) au référendum visant à redéfinir la famille comme étant fondée exclusivement sur l’union de deux personnes de sexe différent, alors que 67% des Roumains estiment que la société doit décourager l’homosexualité. L’on y a vu une autre non-concordance entre les principes et la pratique.
De l’avis de Vintilă Mihăilescu, ces données indiquent pourtant aussi une certaine tolérance : « Pour un croyant, un chrétien ou un homme de l’église, estimer que l’on doit décourager l’homosexualité est tout à fait normal. Il ne s’agit pas de savoir si cette attitude est bonne ou mauvaise, j’affirme seulement que cette attitude correspond à ce que certains comprennent par « être un bon chrétien ». Un tout autre élément fait pourtant la surprise, à savoir que deux tiers des Roumains semblent dire : ce phénomène ne doit pas être encouragé, mais cela ne signifie pas persécution, cela ne signifie pas qu’il faut modifier la Constitution ou les lois. En d’autres termes, l’homosexualité ne doit pas être encouragée, mais elle ne doit pas non plus être sanctionnée. Et cela suppose une plus grande sagesse que je ne m’y attendais. »
Pourtant, un autre aspect se fait jour également, qui est peut-être encore plus révélateur de l’état d’esprit de la société en ce moment : pour 79% des Roumains, la foi est liée à la moralité ; ils estiment qu’il faut croire en Dieu pour être moral et adopter des valeurs correctes.
Vintilă Mihăilescu : « C’est symptomatique, car dans l’esprit des gens, ce lien devient de plus en plus fort, alors que la société devient de plus en plus imprévisible, étant perçue comme immorale et régie par des normes peu rigoureuses. L’église demeure, la seule chance et le seul fondement face à un risque majeur d’immoralité. On assiste donc à un retour à la religion, l’église étant la seule institution qui puisse garantir la moralité. Et cela ne veut pas dire seulement que la société est très liée à l’église. Cela prouve que les gens doutent du caractère moral de la société. Nous percevons notre société comme profondément immorale ou à fort risque d’immoralité, et dans ce cas, l’église demeure notre seul refuge. » (Trad. : Dominique)