L’intelligence artificielle nous vole-t-elle nos boulots? Si oui, comment réagir?
Plus d'un tiers des traducteurs ont perdu des contrats à cause de l'IA, et des entreprises entières licencient des rédacteurs de contenu, ne conservant que le strict minimum nécessaire pour que le travail de l'IA « sonne plus humain ».
Iulia Hau, 30.04.2025, 13:15
Des métiers déjà touchés
Beaucoup craignent aujourd’hui que l’intelligence artificielle n’envoie une partie importante d’entre nous au chômage. Alors que les prévisions les plus optimistes affirment que l’IA ne remplacera que les tâches répétitives, celles qui ne requièrent pas de créativité ou d’innovation de la part du travailleur, les employés des médias et des industries créatives constatent déjà que les choses sont plus sombres que cela. Plus d’un tiers des traducteurs ont perdu des contrats à cause de l’IA, et des entreprises entières licencient des rédacteurs de contenu, ne conservant que le strict minimum nécessaire pour que le travail de l’IA « sonne plus humain ». Par ailleurs, 46 % des personnes interrogées dans le cadre d’une enquête américaine craignent que l’IA ne remplace les journalistes et les auteurs de livres.
Luiza Banyai, experte en RH depuis plus de 20 ans et conseillère en transformation organisationnelle, estime qu’aujourd’hui l’amélioration de soi et le développement professionnel continu sont plus importants que jamais. Pour elle, cette responsabilité incombe à la fois à l’employeur et à l’employé.
Former et se former
« L’avènement de l’IA devrait générer un besoin d’apprentissage. La responsabilité de l’apprentissage incombe à chacun d’entre nous – c’est-à-dire que mon patron ne peut pas être responsable de la façon dont je me développe, mais il doit s’assurer que j’ai les outils et les connaissances nécessaires pour être en mesure de faire le travail pour lequel j’ai été embauché ou bien pour pouvoir évoluer dans l’entreprise. Car c’est un avantage pour moi et pour l’entreprise si j’évolue au sein de la compagnie. Le plus difficile est de s’adapter à la culture d’entreprise, pas de le faire progresser en termes de compétences. Une fois culturellement adapté à une entreprise, que je sais comment les choses s’y passent, que je comprends l’entreprise, et alors le plus facile c’est d’investir dans ma propre croissance pour que je puisse évoluer vers d’autres postes. Et là, c’est le travail du manager. Mon travail consiste à prendre la responsabilité de ma propre croissance ».
De l’avis de Luiza Banyai, la peur a des effets négatifs sur ceux qui sont directement touchés par l’IA parce que leur travail n’est plus nécessaire. L’experte suggère donc une attitude différente.
« C’est toujours le même processus. Je retourne dans la même boucle : je dois comprendre ce que je veux, ce que j’aime faire, ce que je peux faire et qui peut être rémunéré. Qu’est-ce qui n’est plus rémunéré ? Que puis-je faire de plus ou de diffèrent qui soit pertinent pour mon entreprise? Et alors on commence à acquérir d’autres compétences, c’est tout. Tout est en train de changer. Le métier de streamer existait-il il y a quelques années ? Y avait-il Uber ? Y avait-il la possibilité de faire des traductions à l’échelle mondiale ? Bientôt, il va y avoir des métiers d’éthique de l’IA, par exemple, des détecteurs de fake news, qui vont être très importants dans l’entreprise ».
Investir dans les employés
Selon l’experte, ces dernières années, en Roumanie, il n’y a pas eu d’investissements suffisants et efficaces dans le développement des compétences nécessaires en ressources humaines pour que les services RH puissent contribuer au mieux au développement des organisations et des employés. Elle estime également que les cadres intermédiaires n’ont pas été formés de sorte à savoir comment développer le potentiel humain des équipes qu’ils dirigent d’une manière durable et saine. Les personnes qui occupent ces postes ne disposent plus des outils nécessaires ou appropriés pour aider les autres à se développer, à rester motivés et à s’engager. Luiza Banyai explique :
« Cela s’est produit lors de la dernière crise majeure, en 2008-2009. Bien sûr, après, nous avons connu des crises, la pandémie et ainsi de suite… et maintenant, tout ce que nous vivons avec l’IA. Mais ce qui s’est passé alors, c’est que les entreprises ont dû s’en sortir très rapidement, pour survivre. Elles ont donc eu besoin de personnes strictement orientées vers l’obtention de résultats. Ces personnes ont grandi, elles ont obtenu des résultats. Mais elles n’ont livré que des résultats à court terme pour le business. En ce qui concerne l’aspect humain, pour développer le management, il faut investir de manière organique et stratégique dans le développement. Il faut apprendre au manager à utiliser le marteau et l’enclume. Les entreprises doivent d’abord former les managers et ensuite leur donner les moyens de mettre en place ce qu’ils ont appris, mais il n’y a plus eu de temps pour le faire. Pour ne pas perdre leurs employés, les entreprises les ont promus, leur ont donné des fonctions. Cependant, à long terme, cette méthode ne garantit que le fait d’avoir un employé sous contrat, elle ne facilite pas son développement, ni son engagement. Et cela se voit dans les comportements au sein de l’entreprise, on le voit dans la pression, on le voit dans le fait qu’il n’y a plus de chef d’orchestre, car le rôle du manager est aussi de diriger. Il est comme un chef d’orchestre, c’est dire à quel point il peut être fin et positif dans l’impact qu’il a… »
Et ce n’est pas tout. Une enquête récente montre que 50 % des employés roumains estiment que les programmes actuels de perfectionnement dans les entreprises ne leur permettent pas de développer des compétences non techniques (comme celles de de communication par exemple) adaptées aux scénarios de la vie réelle. Dans les grandes entreprises, ce chiffre s’élève à 56 %.
Pour Luiza Banyai, le rôle qu’une entreprise peut jouer dans la vie de ses employés est honorable car elle a l’opportunité de fournir aux gens des compétences utiles, non seulement pour le travail, mais dans tous les domaines de leur vie. Apprendre à communiquer efficacement, à participer à la prise de décisions ou à donner et recevoir un retour d’information – autant de qualités qui contribuent à une vie meilleure et à une société meilleure dans son ensemble. Ainsi, les organisations qui adoptent l’apprentissage continu auront-elles des employés prêts à répondre à l’évolution des temps. Pour elles, la technologie sera un allié plutôt qu’un souci.