Liberté et pluralisme des médias
Début mai est célébrée chaque année la Journée mondiale de la liberté de la presse. A cette occasion on analyse d’habitude la manière dont le droit à la libre expression et les droits des journalistes sont respectés dans le monde. Parmi les études de ce genre figure le Moniteur du pluralisme des médias, développé par la Commission européenne et le Parlement européen. Ce rapport est censé identifier les risques possibles pour le pluralisme des médias dans 19 Etats étudiés. 4 grands domaines ont été visés : la protection fondamentale, le marché médiatique, l’indépendance politique et l’inclusion sociale.
Christine Leșcu, 18.05.2016, 15:02
Début mai est célébrée chaque année la Journée mondiale de la liberté de la presse. A cette occasion on analyse d’habitude la manière dont le droit à la libre expression et les droits des journalistes sont respectés dans le monde. Parmi les études de ce genre figure le Moniteur du pluralisme des médias, développé par la Commission européenne et le Parlement européen. Ce rapport est censé identifier les risques possibles pour le pluralisme des médias dans 19 Etats étudiés. 4 grands domaines ont été visés : la protection fondamentale, le marché médiatique, l’indépendance politique et l’inclusion sociale.
Les indicateurs pris en compte pour mesurer la « protection fondamentale » ont été : la liberté d’expression, le respect du droit à l’information d’intérêt public, les normes du journalisme et l’indépendance vis-à-vis des autorités nationales. Pour déterminer l’indépendance politique, on a pris en compte le degré de politisation du contrôle des médias et des réseaux de distribution, ainsi que l’indépendance du financement accordé aux médias publics. Conclusion générale du rapport : le seul domaine où les risques sont considérés comme faibles est celui de la protection fondamentale ; pour les autres domaines, les risques enregistrés au niveau européen sont moyens.
Dans ce tableau d’ensemble, la Roumanie présente un risque moyen pour tous les 4 principaux domaines. En outre, les indicateurs de la protection fondamentale situent la Roumanie sur une position à part. Adina Marincea, chercheuse au Median Research Center, institution qui a élaboré le rapport pour la Roumanie, explique : « La Roumanie est le seul pays des 19 étudiés qui présente un risque moyen pour la protection fondamentale des médias et le respect des normes du métier. La situation économique précaire -de la presse écrite notamment – compte parmi les problèmes les plus urgents que nous avons identifiés et auxquels sont confrontés les journalistes de Roumanie. Elle se traduit par des irrégularités et des retards dans le paiement des salaires, des coupes salariales, l’incertitude liée à l’emploi, des contrats à court terme, qui n’assurent qu’une faible protection face au chômage et à la retraite et qui rendent le licenciement des journalistes plus facile. »
Cette situation économique précaire est bien souvent étroitement liée aux intérêts du patronat, qui ne coïncident pas avec les buts de cette profession – souligne le journaliste Petrişor Obae, coordinateur du site www.paginademedia.ro. : « Le problème des médias roumains est à retrouver à deux niveaux: celui de la zone macro et celui la zone micro. La zone macro est celle du patronat, qui a découvert, à un moment donné, quel « jouet » peuvent être les médias et a utilisé ce « jouet » à des fins personnelles. Et c’est de là que provient la pression économique. Le niveau micro est celui de la pratique du métier. Il y a des journalistes qui ne savent pas bien écrire et se documenter, qui ne connaissent pas les lois fondamentales de la profession. Les problèmes sociaux sont importants, car ils représentent le levier dont se sert le patronat. Lorsque les besoins fondamentaux du journaliste ne sont pas comblés, lorsqu’un journaliste se demande : « Est-ce que j’aurai quoi manger demain ? », évidemment les normes fondamentales du métier sont laissées de côté et la déontologie professionnelle devient obsolète. »
Un autre problème mis en exergue par le rapport sur le pluralisme des médias en Europe concerne d’ailleurs le respect des normes professionnelles, notamment par les médias privés, qui couvrent la plus grande partie du secteur médiatique. Adina Marincea explique : « Bien souvent, les normes ou les règles du métier manquent ou ne sont pas appliquées ou elles sont élaborées presque exclusivement par les organisations médiatiques et non pas par les journalistes ou les associations professionnelles. Tous ces facteurs entraînent des ingérences dans le contenu éditorial. On a enregistré nombre d’accusations concernant le financement illégal des médias par différents acteurs économiques ou politiques ou même des cas de censure appliquée aux médias.
En parlant d’ingérence et de censure, on atteint un autre domaine, à savoir celui de l’indépendance politique. Le rapport « FreeEx », élaboré par l’ONG « ActiveWatch » signale la politisation excessive d’une partie des médias – notamment privés – pour protéger certains intérêts, y compris économiques, du patronat. Le rapport présente des cas de pressions exercées par les patrons pour que des articles qui compromettaient l’image de certains dignitaires ou mettaient en exergue leurs abus ne soient pas publiés. Il donne aussi des exemples de journalistes qui, pour avoir osé le faire, ont été « punis » par la suspension de leurs contrats de collaboration. On mentionne également les cas des maires qui utilisaient la presse de leur ville comme moyen de chantage contre leurs adversaires politiques.
Selon Răzvan Martin, représentant de l’ONG Active Watch, la dépendance politique et économique s’explique aussi par la situation financière précaire des médias – situation qui, pour certaines compagnies médiatiques, ne s’est pas améliorée depuis la sortie de la crise. : « Etant très vulnérables du point de vue économique, leur position devient fragile face à certains hommes politiques ou sources de financement. Je suis en même temps persuadé qu’une meilleure situation économique ne rendrait pas certains médias ou publications moins perméables à certaines influences. Je crains que leur raison d’être ne soit justement celle de faire de tels jeux politiques et non d’informer le public ou d’obtenir un profit économique honnête. Je me rapporte aux médias les plus visibles : télévisions d’actualités, mainstream, celles qui font l’agenda public.
Pourtant, je ne voudrais pas généraliser, car il y a encore un très grand nombre de journalistes honnêtes et de médias absolument honorables – surtout des plateformes média – qui offrent un journalisme de qualité. »Bien que très dissemblables du point de vue de leur situation économique et éditoriale, les deux médias publics roumains – la Télévision et la Radio – se sont vu, eux aussi, confronter à des problèmes depuis un an – indique le rapport FreeEx sur la liberté de la presse en Roumanie.
Răzvan Martin : « La Radio publique va bon train, elle a une bonne situation économique, pourtant, elle aussi, elle a eu des problèmes suite au déclenchement d’une campagne dirigée contre un projet d’amendement à la loi de fonctionnement des services publics. Il existe une sommation émise du Conseil national de l’audiovisuel (CNA), qui attire l’attention de la Radio pour avoir utilisé de manière abusive du temps d’antenne pour critiquer ce projet de loi. La Télévision publique est au bord de la faillite, elle a accumulé d’immenses dettes et le milieu politique ne manifeste aucune volonté de remédier à cette situation. » ( Trad. : Dominique)