Les survivantes de la violence domestique
Si les marques que les coups ont laissé dans la chair des
victimes symbolisent assez bien la violence domestique et de genre, d’autres
traces, plus insidieuses, car moins visibles, définissent les effets psychiques
de ce même fléau. Car, en effet, la violence psychologique fait moins souvent
les gros titres des journaux, alors qu’elle fait pourtant l’objet d’actes normatifs
spécifiques, et qu’elle constitue la cause principale de l’incapacité des
victimes à demander de l’aide et à sortir d’une relation abusive. Et c’est bien
cette violence psychologique qu’est abordée par la pièce « Restart »,
« Nouveau départ » en traduction française, écrite et mise en scène par
Ozana Nicolau, et jouée sur les planches du Centre éducatif Replika de Bucarest.
Inspiré par les témoignages des victimes qui sont parvenues à se départir d’une
relation abusive, le spectacle « Restart » constitue le fruit d’une
collaboration entre plusieurs associations, telles Aleg, « Je choisis »,
en français, de Sibiu, et Anaïs, de Bucarest. Mais la dramaturge Ozana Nicolau n’a
pas hésité à puiser aussi dans ses souvenirs d’enfance, s’inspirant des
histoires d’abus et de violence conjugale dont elle avait entendu parler ou qu’elle
avait côtoyé à l’époque, ne cessant jamais de s’interroger sur la situation d’impunité
manifeste de l’agresseur. Et si aujourd’hui la législation roumaine permet la
délivrance plutôt rapide d’un ordre de protection provisoire aux victimes de
violence domestique, et que la police se montre réactive face à ce genre de
situations, l’abus émotionnel semble passer encore et toujours sous le radar. Or
la pièce « Restart » entend justement mettre sous les feux des
projecteurs ce type insidieux et méconnu de violence domestique. La dramaturge
Ozana Nicolau détaille :
Christine Leșcu, 09.08.2023, 11:03
Si les marques que les coups ont laissé dans la chair des
victimes symbolisent assez bien la violence domestique et de genre, d’autres
traces, plus insidieuses, car moins visibles, définissent les effets psychiques
de ce même fléau. Car, en effet, la violence psychologique fait moins souvent
les gros titres des journaux, alors qu’elle fait pourtant l’objet d’actes normatifs
spécifiques, et qu’elle constitue la cause principale de l’incapacité des
victimes à demander de l’aide et à sortir d’une relation abusive. Et c’est bien
cette violence psychologique qu’est abordée par la pièce « Restart »,
« Nouveau départ » en traduction française, écrite et mise en scène par
Ozana Nicolau, et jouée sur les planches du Centre éducatif Replika de Bucarest.
Inspiré par les témoignages des victimes qui sont parvenues à se départir d’une
relation abusive, le spectacle « Restart » constitue le fruit d’une
collaboration entre plusieurs associations, telles Aleg, « Je choisis »,
en français, de Sibiu, et Anaïs, de Bucarest. Mais la dramaturge Ozana Nicolau n’a
pas hésité à puiser aussi dans ses souvenirs d’enfance, s’inspirant des
histoires d’abus et de violence conjugale dont elle avait entendu parler ou qu’elle
avait côtoyé à l’époque, ne cessant jamais de s’interroger sur la situation d’impunité
manifeste de l’agresseur. Et si aujourd’hui la législation roumaine permet la
délivrance plutôt rapide d’un ordre de protection provisoire aux victimes de
violence domestique, et que la police se montre réactive face à ce genre de
situations, l’abus émotionnel semble passer encore et toujours sous le radar. Or
la pièce « Restart » entend justement mettre sous les feux des
projecteurs ce type insidieux et méconnu de violence domestique. La dramaturge
Ozana Nicolau détaille :
« Vous savez, la violence physique, on la voie, elle
est flagrante, manifeste, et punie par la loi. Mais si elle arrive à s’installer
au sein du couple, c’est qu’elle se fonde sur un mécanisme violent bien moins
connu, et que la loi ignore trop souvent. Et là je parle de la violence
émotionnelle, un type de violence qu’il est difficile à cerner et à mettre sur
les bancs des accusés. C’est de cette idée de départ que nous avons voulu
comprendre ce qui se passe dans la tête d’une femme victime qui, alors même qu’elle
souffre, se sente toujours coupable. Car elle se fait manipuler, pour qu’elle
se sente coupable justement, pour qu’elle se sente seule, isolée, sans défense,
incapable de pouvoir rompre et partir. Une femme
prise au piège. Et il fallait démonter ce mécanisme psychologique qui rende la
victime impuissante. Car c’est toujours en soi qu’il faut pouvoir trouver les
ressources qui nous aident de rompre, de quitter, de se reconstruire. »
Les deux seuls personnages de
la pièce sont joués par les actrices Mihaela Rădescu et Nicoleta Lefter. La
dernière nous explique ce qui l’a poussé à endosser ce rôle de victime avant de
devenir une survivante de la violence de genre. Nicoleta Lefter :
« Le rôle m’a semblé dès le départ très pertinent.
Je connaissais Ozana, et je voulais pouvoir
collaborer avec elle sur ce projet spécifique. Et puis le personnage en tant
que tel est très complexe. Il lui fallait une voix qui lui corresponde. Il s’agit
d’un thème peu abordé dans les théâtres publics. Et les histoires de vie que cette
pièce raconte sont passablement émouvantes. Et puis, après avoir lu leurs
témoignages, je les ai rencontrées, certaines de ces femmes, parce que’elles
sont venues voir e spectacle. Savoir que ces choses sont réelles, que l’on
raconte la vie des gens qui sont parmi nous, est une chose assez émouvante. On
se rend compte que c’est important ce qu’on fait. En racontant leur vécu, l’on se
sente investi d’une certaine responsabilité, et on ressente aussi l’énergie que
les spectateurs nous renvoient en retour. »
Il est certain que le
spectacle a le don de susciter l’empathie des spectateurs, émus des
tribulations des victimes. Et Nicoleta Lefter n’a pas été épargnée, car c’est l’émotion
qui accompagne d’un bout à l’autre sa performance. Ecoutons-la :
« J’ai été d’emblée émue par leurs témoignages. Par
exemple, de cette femme qui raconte qu’après avoir quitté son mari, ce dernier
l’aura harcelée pendant des années de procédure judiciaire en procédure
judiciaire. Elle s’était vue happée dans ce tourbillon de plaintes déposées à
son encontre. Mais aussi tous ceux qui l’avait aidée. Ses parents, ses amis, et
même des policiers. C’est que la séparation n’est pas toujours la fin du
calvaire. Et puis, le pire, c’est quand il y a des enfants. Parce que ces
derniers ne savent pas passer outre la déchirure de la séparation de leurs parents.
Ils ne disposent pas des moyens nécessaires pour ce faire. Et il y a des
enfants qui seront traumatisés à vie, qui porteront en eux, dans leur vie d’adulte,
les séquelles laissées par cette violence psychologique qu’ils ont vécue.
Aussi, si ces choses ne sont pas traitées correctement, ces futurs adultes
risquent d’étoffer le rang des victimes, ou celui des bourreaux ».
« Restart » n’est
pas un coup d’essai pour Ozana Nicolau. Il y a quelques années, elle avait déjà
monté « Foreplay », une pièce qu’elle avait écrite et fait jouer au
même Centre éducatif Replika. Faire du théâtre militant, ancré dans le social,
n’est sans doute pas anodin. Mais quel est l’impact ressenti par le public, mis
devant ces questions sociétales ? Ozana Nicolau :
« Je suis confiante.
L’on soulève des questions. Mais, vous savez, une salle de théâtre compte
quelques dizaines, ou quelques centaines de spectateurs. Malgré tout, les gens
sortent de là, ils en parlent, ces thèmes de société se frayent un chemin dans
l’esprit des gens. J’avais récemment reçu le retour d’une maman, venue avec son
fils de 14 ans. Elle en était ravie. Son fils ne voulait pas y allait au
départ, il connaissait le théâtre de marionnettes. Et à la fin de la représentation
de Restart, il dit à sa maman : « mais si c’est cela le théâtre, j’en
veux encore ». Et j’avais trouvé cela merveilleux, car ce n’est pas un
sujet facile pour son âge. Mais je crois que les gens ont envie d’être interpellés,
d’être secoués lorsqu’ils viennent voir une pièce de théâtre. D’être confrontés
aux questions de société, ce dont ils rencontrent dans leur quotidien. Le
théâtre n’est pas un livre de recettes pour mieux vivre, mais il peut poser les
bonnes questions, montrer certains points de vue, encourager, donner de l’espoir.
Car l’on voit les autres qui sont confrontés aux mêmes dilemmes, et l’on se
sente moins seul. »
Un autre message émouvant nous
est parvenu de la part d’un autre jeune spectateur, un pré-adolescent, qui,
après avoir assisté à la représentation de la pièce Restart, a remercié sa mère
de l’y avoir amené, pour comprendre ce qu’il ne voudrait pas devenir : un
mari et un père abuseur.