Les salariés roumains et les heures supplémentaires
En Roumanie, la durée hebdomadaire du travail est plus longue que la moyenne européenne. Selon l’enquête européenne d’Eurofound sur les conditions de travail (EWCS), datée de 2016, quelque 35% des employés roumains travaillaient plus de 40 heures par semaine, contre une moyenne européenne de 23%. Malgré cela, l’idée d’effectuer des heures sup ne déplaît pas à certains Roumains, car ils y voient soit la source d’un supplément salarial qui vient compléter des revenus assez conséquents, de toute façon, soit la garantie d’un train de vie décent que leur maigre salaire ne saurait leur offrir. Dans les deux cas de figure, le travail et l’effort supplémentaires peuvent engendrer des ennuis de santé, voire même des tragédies personnelles.
Christine Leșcu, 07.03.2018, 13:18
Dragoş Iliescu, enseignant à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation à l’Université de Bucarest, nous décrit les effets de l’épuisement professionnel : Les heures supplémentaires constituent un facteur de stress émotionnel, psychologique. Comme tout agent stresseur qui agit sur le long terme, il risque de causer des troubles irréversibles, dont ceux mentaux, comme c’est le cas du syndrome du burn-out, qui déclenche la dépression. Certains autres problèmes relèvent de la santé physique, tels que l’hypertension artérielle et l’infarctus du myocarde.
Aux termes de la loi roumaine, les heures supplémentaires peuvent être effectuées sur demande de l’employeur ou avec son assentiment, dans la limite d’un contingent fixé à 20 heures. Les contreparties consistent en un repos compensateur, calculé en heures ou journées de libre, formule soumise actuellement au débat, ou bien en une rémunération majorée, variante déjà adoptée par bien des compagnies de Roumanie. Parmi elles, la société Daewoo Mangalia Heavy Industries, qui gère le chantier naval de Mangalia. Selon les données fournies par le syndicat, en 2016, les ouvriers de ce chantier ont effectué près d’un million d’heures supplémentaires.
Marin Florian, retraité, ancien leader syndical, se souvient qu’ils travaillaient à longueur de journée et même de semaine. En fait, tous ceux qui le voulaient et qui se sentaient capables d’un tel effort, le faisaient, précise-t-il, en ajoutant : Il y avait, bien sûr, des ouvriers qui ne voulaient pas faire d’heures supplémentaires, mais ils étaient très peu nombreux, car tout le monde savait qu’elles étaient payées deux fois plus. Ceci étant, on arrivait à 140 heures en dehors des 170 heures fixes de travail par mois. Les patrons préféraient les heures supplémentaires aux majorations salariales, précise Marin Florian.: On était arrivé à demander aux salariés de renoncer à leurs vacances pour se rendre au travail. On leur offrait de l’argent pour compenser. Suite à notre saisine, l’Inspection du Travail a fait un contrôle, mais le Code du Travail est trop permissif, il ne prévoit qu’une amende de 3000 lei (environ 640 euros) – ce qui n’est pas grand-chose pour une compagnie dont le chiffre d’affaires dépasse les deux milliards de lei.
Sans doute, passer de longues heures au travail, n’est pas sans conséquence sur la vie des employés. Marin Florian explique : 58% des salariés de notre compagnie étaient touchés de certains troubles de la colonne vertébrale, de la vue, de l’ouïe, du cœur, etc. J’avoue que dans certaines familles il y a eu même des divorces parce que les épouses n’ont pas pu continuer leur mariage aux côtés d’un mari qui passe tout son temps sur le chantier, même s’il gagne bien. Et ce n’est pas tout. Par exemple, à la maternelle, lorsque l’on a demandé à des enfants de 4 ans d’expliquer le mot « famille », ils n’ont dessiné que la mère. En leur demandant où était le père, ils ont répondu que celui-ci ne faisait que travailler et qu’il ne venait presque jamais à la maison.
Les effets nocifs du travail prolongé sont évidents, les études le confirment. Parmi elles – une récente enquête coordonnée par Dragos Iliescu et réalisée en partenariat avec le Bloc National Syndical et la Fondation Friedrich Ebert Roumanie. Dragoş Iliescu nous présente les conclusions de sa recherche: L’épuisement – c’est le principal risque que court un employé qui fait trop d’heures sup. L’épuisement est la principale caractéristique du syndrome du « burn – out ». Pour quelqu’un qui travaille trop, ce risque est à 127% plus élevé que dans le cas d’un salarié qui ne fait pas d’heures supplémentaires. De même, le risque de ne pas avoir une vie de famille satisfaisante est à 109% plus élevé. Par conséquent, les heures supplémentaires causent un déséquilibre majeur entre la vie personnelle et la vie professionnelle. On constate également un nombre croissant de familles séparées, de divorces, de cas de violence domestique dans les rangs des employés qui travaillent longtemps. Et puis il y a aussi une croissance de 96% des comportements liés à la dépendance : abus de cigarettes, d’alcool ou d’autres substances.
Par conséquent, les experts recommandent que les heures supplémentaires ne soient plus payées, mais compensées par des heures ou des journées de libre. Dragoş Iliescu : Les effets négatifs du travail supplémentaire, au niveau individuel et organisationnel, ne peuvent pas être compensés par le salaire ou par des bonus financiers. On peut compenser par des heures libres ou par des journées libres. Avoir des périodes où l’on a la possibilité de retrouver la normalité, cela peut aider à compenser les conséquences du travail prolongé. Le corps humain est suffisamment flexible pour retrouver la normalité de cette manière.
Notons pour terminer que le Parlement roumain est en train de débattre d’une initiative législative fondée sur l’étude mentionnée, qui prévoit entre autres d’infliger des amendes substantielles aux compagnies où les heures supplémentaires sont effectuées de manière illégale. (Trad. Mariana Tudose, Valentina Beleavschi)