Les mentors de l’enseignement roumain
Résultats exceptionnels pour de nombreux élèves aux compétitions nationales d’une part et un taux alarmant d’analphabétisme fonctionnel dans les rangs des adolescents: l’enseignement roumain est toujours dominé par les contrastes. Si bien que souvent les critiques et les mécontentements éclipsent les succès. C’est justement pour mettre les projecteurs sur les bons aspects de l’éducation nationale que la Fondation pour la Communauté et MOL Roumanie accordent depuis 7 ans déjà le « Prix Mentor ». Cette année, 10 enseignants et entraîneurs sportifs de Roumanie ont été récompensés, sélectionnés parmi les 250 propositions reçues l’année dernière.
Christine Leșcu, 24.05.2017, 13:24
Pour certains, cette récompense de l’activité déroulée au bénéfice des jeunes n’est pas la première. C’est le cas de Petre Arnăutu, entraîneur de tennis de table au Club Sportif Scolaire de Slatina (sud) et coordinateur depuis 2 décennies des sélections nationales de cadets et juniors. Parmi les réussites de ses élèves mentionnons la 3e place obtenue par la joueuse de tennis de table Adina Diaconu à l’épreuve de simple et la première place obtenue par la même Adina Diaconu aux côtés d’Andreea Dragoman à l’épreuve de double du Championnat du monde des juniors, organisé au Cap, en Afrique du Sud, en 2016. Cette année, en février, la même paire a décroché la médaille de bronze à Sotchi, en Russie, au Championnat européen de tennis de table. Pour un entraîneur sportif, en plus du dévouement pour sa profession, une autre condition du succès est la capacité de dépister le talent d’un enfant, affirme Petre Arnăutu.
Petre Arnăutu : « Pour faire de la performance, il faut, avant tout, savoir sélectionner les sportifs qui ont des qualités réelles, spécifiques et générales, nécessaires à la pratique du sport au plus haut niveau. Il est très important d’avoir la matière première adéquate pour atteindre la grande performance. Mais il est tout aussi essentiel que le jeune sportif ait le désir et la volonté de pratiquer le sport à un très haut niveau. Car, n’oublions pas, la performance implique 95% de travail, alors que les autres qualités n’y comptent que pour 5%. »
Passons maintenant à une discipline qui ne jouit pas de la célébrité du sport, mais qui est tout aussi importante pour le choix d’une carrière et pour la formation de la personnalité : la philosophie. C’est justement ce caractère formatif qui a poussé Elvira Groza à faire de la philosophie sa profession, qu’elle enseigne au Lycée Aurel Lazar d’Oradea (nord-ouest). Récompensée elle aussi du Prix Mentor 2017, Elvira Groza est non seulement la coordinatrice de la revue de son lycée, mais aussi la formatrice de nombreux élèves médaillés d’argent et de bronze aux concours internationaux de philosophie. Son succès repose sur son approche non-conformiste de cette discipline. Pour cette enseignante, la philosophie est un instrument qui permet aux jeunes de se découvrir eux-mêmes et le monde qui les entoure autrement que par le biais des conventions sociales.
Elvira Groza explique : « Je pense que, de nos jours, nous devons approcher la philosophie en sortant des limites des manuels scolaires, qui s’arrêtent quelque part au milieu du 20e siècle et ne sont que des collections de citations en fin de compte. Dans le contexte actuel, la philosophie relève plutôt de l’éthique, de la politique et de la communication structurée autour d’autres sciences. Pourtant, moi, j’essaie d’inciter les élèves au dialogue. La classe de philosophie est la chance d’avoir une relation face à face, de montrer à une personne comment elle peut assumer sa personnalité et arriver à mieux se comprendre elle – même.»
Cela fait 23 ans déjà qu’Elvira Groza enseigne la philosophie. Malgré des moments de déception et de fatigue inévitables, elle ne peut pas se voir pratiquer un autre métier : « Les élèves sont de moins en moins ouverts. Ils apprennent à maîtriser uniquement les modèles requis à l’examen de Baccalauréat, des modèles conçus pour un niveau moyen. Il est très difficile de les faire sortir de cette pensée pragmatique du type cause – effet. Il y a des jours où je ne réussis pas à leur provoquer une réaction. Ou des jours où on ne réussit pas à avoir un dialogue. Mais le lendemain j’oublie tous ces petits ennuis temporaires et je recommence à zéro. »
Donnons la parole à une autre enseignante récompensée du Prix Mentor et amoureuse de sa profession : Elena Teoteoi, prof de chimie à Târgu Jiu. A son tour, elle a formé nombre d’élèves récompensés d’or, d’argent et de bronze aux concours internationaux de chimie.
Comment a-t-elle réussi à éveiller la passion pour la chimie chez les jeunes ? Tout d’abord en mettant l’accent sur son côté pratique. Elena Teoteoi : «Je me sers de la théorie pour faire l’introduction ou pour préparer les élèves à comprendre tous les aspects d’une substance ou d’un phénomène. Je leur raconte l’histoire de la découverte de telle ou telle substance ou de tel ou tel phénomène, ainsi que leur importance. Mais ce qui compte pour un élève c’est de voir et de sentir concrètement de quoi il s’agit. Par conséquent, l’expérimentation est la partie la plus importante de mon activité. L’enseignement ne se limite pas à la théorie. Il y a des disciplines où l’aspect théorique est dominant et d’autres où il faut mettre l’accent sur l’interdisciplinarité. Par exemple, on ne peut pas enseigner, ni apprendre la chimie sans avoir des notions de biologie, physique, géographie ou histoire. La chimie est étroitement liée à toutes les autres disciplines, à notre vie quotidienne, à tout ce qui nous entoure. Y compris nous, les gens, nous sommes le résultat d’une série de processus chimiques. »
« Il est impossible de s’ennuyer, en enseignant la chimie. Elle est en transformation perpétuelle, tout comme notre vie », affirme Elena Teoteoi. Pas question de s’ennuyer en classe non plus, pour elle le métier de prof est un défi permanent.
Elena Teoteoi.: « Les journées ou les classes ne se déroulent presque jamais comment on l’avait imaginé. Il y a tout le temps une réaction nouvelle de la part des élèves et même des professeurs. Nous changeons en fonction de l’évolution des élèves. Nos méthodes changent en fonction des élèves. On évolue constamment, car il y a, à chaque pas, quelque chose qui nous attire et qui nous détermine à évoluer. »
« Il n’y a pas de monotonie dans l’enseignement », conclut Elena Teoteoi. C’est en luttant contre la monotonie que les professeurs deviennent des mentors et c’est grâce à eux que l’éducation progresse. (Trad. Valentina Beleavski)