Les jeunes et la politique
Christine Leșcu, 27.09.2023, 13:16
Razvan Petri est diplomé du King’s
college de Londres où il a étudié les sciences politiques. Actuellement en
master de Politiques publiques à l’University College, toujours à Londres, il
est préoccupé par l’engagement civique et politique des jeunes de son pays
natal, la Roumanie. Aux sources de son inquiétude, le manque d’intérêt
manifeste d’une bonne partie de sa génération pour ces questions. Comment
expliquer ce désintérêt ? Razvan Petri nous apporte des réponses :
« Je crois qu’il existe en
effet un certain désintérêt mais je ne pense pas que ce soit la faute de cette génération
de jeunes ou de personnes qui de fait ne s’impliquent pas dans la vie civique
et politique. Il existe un manque de confiance important envers les
responsables politiques, les institutions publiques et de manière générale
envers les institutions étatiques et européennes. Mais ce manque de confiance
provient surtout du comportement de ceux qui nous gouvernent et prennent les décisions
pour nous plutôt que d’une caractéristique spécifique de la génération
d’aujourd’hui. Cette génération est aussi intéressée ou désintéressée que
toutes les autres, mais la classe politique actuelle, les leaders d’opinion et
les institutions ne savent tout simplement pas communiquer avec les jeunes et
c’est pour ça qu’il est très difficile pour ces derniers de s’engager en
politique ou d’être attirés par des politiciens ».
Pour susciter
l’intérêt des jeunes, Razvan Petri et son ami Vlad Adamescu, ont fondé la
plateforme Politică la Minut (Une minute de politique),
dont le but est de rendre la politique plus accessible en apportant des
informations et des décryptages sur des sujets d’actualité. Ce projet, mené en
ligne et sur les réseaux sociaux, entend combler le déficit d’éducation
civique, matière enseignée seulement au primaire et au collège mais absente du
lycée. Razvan Petri nous en dit plus :
« Nous sélectionnons toutes les informations dont nous pensons qu’ils ont
besoin et nous les présentons à travers des slides postés sur les réseaux
sociaux et présentés de manière attractive, simple et facile à comprendre. En
fait nous traduisons simplement les actualités politiques d’un langage
officiel, législatif en un langage quotidien, la langue de tout le monde, ce
qui devrait déjà être fait en principe, en amont, par les personnes qui tentent
de communiquer. (…) Je crois que si nous avions commencé plus tôt, à l’école ou
au lycée, à expliquer aux enfants ce qu’ils doivent savoir sur le système
politique et l’importance de la démocratie, nous aurions une génération plus
engagée et mieux informée. On peut même aller plus loin : si ces jeunes
avaient fait de l’éducation civique et avaient appris que par exemple le
président ne peut pas à lui tout seul construire des autoroutes, que le premier
ministre est désigné par le Parlement et que les élections législatives sont au
moins tout aussi importantes si ce n’est plus que les élections
présidentielles, ils sauraient mieux comment fonctionne le système politique et
ne feraient pas l’erreur d’incriminer quelqu’un sur un sujet sur lequel il n’a
pas la main ».
Les jeunes ne sont pourtant pas tous désintéressés par les questions
politiques et civiques. Mais ceux qui désirent s’engager le font le plus
souvent sur des enjeux proches d’eux, selon Razvan Petri.
« Je
dirais qu’ils s’intéressent surtout à ce qui se passe au niveau local, dans
leurs communautés et leurs villes parce qu’une grande partie d’entre eux
souhaite que leur ville ou leur village devienne un lieu meilleur. Et donc les
domaines d’action sont plutôt locaux, liés aux rues, aux parcs, aux aires de
jeux ou même aux écoles. Et ils sont très intéressés par les droits des élèves,
par la manière dont s’organise la dynamique entre les professeurs et les élèves
et le respect des droits des jeunes. Beaucoup de jeunes ont demandé si ça avait
du sens de s’engager au sein des conseils d’élèves et comment faire pour
représenter au mieux les intérêts des élèves ».
Pourtant depuis quelques années, une tendance inquiétante
apparaît parmi les plus jeunes. La vaste étude réalisée en 2019 par la
Fondation Friedrich Ebert montre que même si la majorité des jeunes roumains
considèrent que la démocratie est le seul mode de gouvernement acceptable, 23%
de jeunes ont déclaré que sous certaines conditions ils considéreraient la
dictature comme une option envisageable. Récemment, une autre étude
internationale, n’incluant pas la Roumanie, a conclu que cette préférence
envers la dictature était partagée par une partie significative de la jeune génération
à l’échelle mondiale. « Le Baromètre des sociétés ouvertes : la démocratie
est-elle efficace ? », réalisé de mai à juillet 2023 dans 30 pays, avance
que seuls 57% des jeunes entre 18 et 36 ans croient que la démocratie est
préférable à toute autre forme de gouvernement, alors que 42% des jeunes
s’expriment en faveur d’un régime militaire.
Concernant la Roumanie, Razvan Petri pense qu’il faut
interpréter cette préférence exprimée par un quart des jeunes pour l’autocratie
au regard du contexte national. Il explique :
« La
confiance envers les institutions démocratiques est très faible et la
démocratie apparaît aujourd’hui un peu dépassée, il semble qu’elle évolue
difficilement et qu’on ne voit pas bien les résultats. Ce qu’il est important
de noter c’est que ce sondage s’intéressait aussi à l’absence de renouveau dans
la classe politique, le fait que ce sont toujours les mêmes qui occupent les
mêmes fonctions. Il semble que quoi qu’on fasse, ce sont les mêmes qui
demeurent au pouvoir. Par ailleurs, beaucoup de gens pensent que les résultats
seront les mêmes, qui que ce soit au pouvoir. On sent le besoin d’un chef
puissant qui ne respecterait pas ces règles démocratiques qui ralentissent la
prise de décision, quelqu’un qui taperait du poing sur la table et résoudrait
les problèmes des gens. C’est de là que vient ce succès des mouvements
politiques qui proposent un système alternatif ou une réforme extrême du
système politique contemporain, qui selon beaucoup amènerait des résultats plus
rapidement mais pas forcément de manière plus légitime ou démocratique. C’est
aussi partiellement la faute du système des partis en Roumanie, et du fait
qu’ils se comportent comme des cartels, dans le sens où les partis trouvent une
validation en s’octroyant beaucoup de fonds publics, et par le fait que les
petits partis ne peuvent pas intégrer le système politique à cause de barrières
électorales et bureaucratiques énormes, comme celle des 200 000 signatures
ou du seuil électoral de 5%. C’est pourquoi ce sont toujours les mêmes partis qui
gouvernent, rien n’a l’air de bouger, il n’y a pas de réformes réelles et on en
arrive à cette appétence pour autre chose, pour quelque chose de neuf, rapide,
efficace ».
Ainsi, pour Razvan Petri, ce n’est pas une inclinaison
réelle envers une idéologie extrémiste ou autocratique qui motiverait la
préférence d’une partie des jeunes pour la « main de fer » mais bien
la déception générée par l’inefficacité du système politique actuel. L’année 2024,
marquée par d’importantes échéances électorales, avec des élections
présidentielle, parlementaire, locales et européennes, sera l’occasion de faire
le point sur le niveau d’abstention et la poussée du parti d’extrême droite Aur
qui connaît un succès croissant depuis sa fondation en 2019. (Trad. Clémence
Lheureux)