Les groupes d’initiative civique et l’espace vert de la capitale Bucarest
Le Groupe d'initiative civique IOR-Titan s'est constitué afin de lutter contre la destruction du parc IOR de la Capitale et la dégradation de l'air qui en résulte.
Christine Leșcu, 03.01.2024, 13:10
Situé dans la partie est du centre de Bucarest, le parc Alexandru Ioan Cuza
s’étend sur 85 hectares. Entourant un lac, il s’agit de l’un des espaces verts les
plus étendus de la capitale roumaine. Construit pendant la période communiste,
il a gardé son surnom de parc IOR, emprunté à l’entreprise de matériel optique alors
installée aux alentours. Il reste aujourd’hui encore un espace couru des
habitants de Bucarest qui souhaitent s’aérer. Malheureusement depuis quelques
années l’air du parc IOR n’est plus aussi sain qu’auparavant. En effet, en
2005, 12 hectares du parc ont été rétrocédés suite à un procès controversé. Quelques
temps après cette privatisation, les habitants du quartier ont découvert que
l’espace vert était régulièrement vandalisé. Par exemple, 21 incendies se sont
produits sur cette parcelle depuis qu’elle a été rétrocédée. Le Groupe d’initiative
civique IOR-Titan s’est constitué afin de lutter contre la destruction du parc
et la dégradation de l’air qui en résulte. Alex Icodin, membre de ce groupe de
citoyens exprime sa colère face à la confiscation de cet espace public.
Nous,
nous sommes nés dans un quartier vert, avec un beau parc plein de végétation,
des allées et des aires de jeu. Et maintenant nous voyons le parc disparaître chaque
année un peu plus. Il est empoisonné, incendié, rétrocédé à certaines personnes
selon des procédures fallacieuses, et nous réussirons à le prouver tôt ou tard.
Nous ne bénéficions plus de la verdure du parc IOR, de ce lieu où nous avons
passé notre enfance. Les arbres ont été détruits et empoisonnés de manière
systématique, ils sèchent sur place et ont commencé à tomber. Le temps qui
passe et les intempéries n’ont pas suffi. Ils y ont mis le feu. Il y a eu de
nombreux incendies dans le parc et c’est toujours nous qui alertons les
pompiers et les remercions pour leur intervention. Vous vous rendez compte de
ce que ça signifie un parc qui brule sur des centaines de mètres entre les
immeubles ? Tout ceci est fait pour transformer le parc en une friche
désertique sans intérêt pour les citoyens, un désert qu’ils espèrent par des
malversations transformer en un terrain constructible, un désert qui agit comme
un souvenir douloureux de cet espace vert qui nous rendait heureux et dont on
aimerait que nos enfants et petits enfants puissent profiter.
Suite aux manifestations et aux saisines initiées par le groupe
d’initiative civique IOR-Titan, les autorités ont commencé à prendre quelques
mesures timides, sans grand succès pour le moment. Le procès par lequel la
Mairie du secteur 3 de Bucarest où se trouve le parc, a essayé de récupérer la
propriété de la parcelle a été perdu. Que font les riverains pendant ce
temps ? Ils continuent à lutter sans faiblir, comme nous l’explique Alex
Icodin.
Nous
essayons d’agir afin que ces 12 hectares du parc IOR reviennent aux citoyens du
secteur 3. C’est compliqué parce qu’il y a déjà eu des procès que la mairie a
perdu, parce que les intérêts en jeu ici sont énormes. Rendez-vous compte, il
s’agit de 12 hectares au cœur de Bucarest que certaines personnes veulent faire
construire ou y installer des manèges ou je ne sais quoi encore. De notre côté,
nous avons réussi à mobiliser les citoyens et au printemps dernier nous avons
réuni 1500 personnes pour une manifestation dans le parc, nous avons réussi à
ce que les gens sentent que cet espace leur appartient, qu’il leur a été enlevé
de manière illégale et qu’ils doivent revendiquer leurs droits sur le parc.
Cet automne, après des années de lutte, le groupe d’initiative civique a
finalement remporter une victoire symbolique : la mairie centrale de
Bucarest a décrété une amende record de 35 millions d’euros pour destruction
d’espace vert. Une somme certes impressionnante mais qui devra s’en
acquitter ? La propriétaire légale du terrain rétrocédé et vandalisé est
une retraitée octogénaire. Le groupe IOR-Titan considère qu’elle n’est qu’un paravent
visant à protéger les hommes d’affaire ayant jeté leur dévolu sur ce terrain.
Cristian Neagoe du groupe IOR analyse pour nous la portée de cette amende.
En fait
de compte cette amende est un signal fort envoyé par la mairie afin que les
choses n’en restent pas là. C’est une amende record et elle place en quelques
sorte l’écocide au rang des dommages graves dont peuvent se rendre coupables
les promoteurs immobiliers ou disons la mafia des rétrocessions. Malheureusement,
comme toutes les amendes, elle intervient un peu trop tard. L’espace vert a
été dépouillé, détruit. Il faut beaucoup de temps et de volonté pour
réparer ce genre de chose. Il faut absolument souligner que nous n’avons pas
beaucoup de temps à disposition pour reconstituer le parc et les espaces verts
de Bucarest en général, parce que les températures montent de plus en plus. Les
villes sont des îlots de chaleur. Nous avons besoin d’espaces verts comme nous
avons besoin d’air, surtout qu’au jour d’aujourd’hui nous avons 7 m2 d’espace
vert par habitants à Bucarest alors que selon les recommandations de
l’Organisation mondiale de la santé il nous en faudrait 50 pour nous assurer
une vie décente.
Entretemps, la propriétaire de la parcelle de 12
hectares a contesté en justice l’amende record émise par la mairie. Un nouveau
procès devrait donc avoir lieu prochainement. Le groupe IOR-Titan doit aussi
faire face à une nouvelle manœuvre délictueuse : la constitution d’un tas
de terre à l’une des entrées du parc visant à en bloquer l’accès depuis la
station de métro. Mais les membres du groupe d’initiative civique assurent
qu’ils ne se laisseront pas découragés par de telles tactiques et qu’ils
continueront à revendiquer leur droit de vivre dans un quartier avec des
espaces verts et un air propre.