Les esclaves du monde moderne
En 2010, une nouvelle vraiment sensationnelle faisait le tour de l’Europe : ce qui allait se révéler comme le plus important réseau de traite des êtres humains du continent et dont le siège central était à Țăndărei, dans le sud de la Roumanie, venait d’être démantelé. 25 personnes ont alors fait l’objet de poursuites pénales pour avoir facilité le franchissement illégal de la frontière à 160 enfants ethniques roms à des fins de mendicité et d’exploitation par la délinquance de rue. Ou, pour faire court, traite des êtres humains. Quelques semaines plus tard seulement, le silence retombait sur l’affaire. Neuf ans plus tard, le 10 décembre 2019, la Cour d’appel de Târgu Mureș acquittait définitivement les 25 mis en examen du dossier Țăndărei. En 2019, l’enlèvement, la séquestration et ensuite le meurtre sans preuves de deux jeunes filles à Caracal, toujours dans le sud de la Roumanie, choquait le pays et même les autorités judiciaires et de police. Depuis, la question de savoir si ces deux jeunes filles n’ont pas été victimes de la traite des personnes est sur toutes les lèvres. Mais elle est restée sans réponse jusqu’à ce jour.
Luiza Moldovan, 30.12.2020, 13:17
En 2010, une nouvelle vraiment sensationnelle faisait le tour de l’Europe : ce qui allait se révéler comme le plus important réseau de traite des êtres humains du continent et dont le siège central était à Țăndărei, dans le sud de la Roumanie, venait d’être démantelé. 25 personnes ont alors fait l’objet de poursuites pénales pour avoir facilité le franchissement illégal de la frontière à 160 enfants ethniques roms à des fins de mendicité et d’exploitation par la délinquance de rue. Ou, pour faire court, traite des êtres humains. Quelques semaines plus tard seulement, le silence retombait sur l’affaire. Neuf ans plus tard, le 10 décembre 2019, la Cour d’appel de Târgu Mureș acquittait définitivement les 25 mis en examen du dossier Țăndărei. En 2019, l’enlèvement, la séquestration et ensuite le meurtre sans preuves de deux jeunes filles à Caracal, toujours dans le sud de la Roumanie, choquait le pays et même les autorités judiciaires et de police. Depuis, la question de savoir si ces deux jeunes filles n’ont pas été victimes de la traite des personnes est sur toutes les lèvres. Mais elle est restée sans réponse jusqu’à ce jour.
Qui sont en vérité les victimes de la traite des êtres humains ? Y a-t-il un portrait-robot des personnes trafiquées ? Ce phénomène concerne-t-il davantage dans certaines régions ?
Iana Matei compte parmi les activistes les plus impliqués dans la lutte contre la traite des êtres humains. Psychologue et fondatrice de l’ONG Reaching Out Romania, Iana Matei fait le portrait-robot des victimes des trafiquants d’êtres humains : « Les personnes les plus vulnérables face à la traite des êtres humains sont notamment les enfants de familles désorganisées ou institutionnalisés. Le niveau d’éducation varie, cela n’a pas beaucoup d’importance. Même des personnes ayant suivi des études supérieures peuvent être victimes de la traite des êtres humains. Ce qui compte, c’est la méthode de recrutement et le niveau d’expérience des trafiquants. »
Oana Bîzgan, députée indépendante dans la législature 2016-2020, nous fournit quelques données concrètes : « 698 victimes ont été identifiées en 2019 en Roumanie. Sur le nombre total de victimes, 83% sont des femmes, 74% sont trafiquées à des fins sexuelles et environ 40% sont des mineurs. Évidemment, ces chiffres prennent en compte uniquement les victimes identifiées et enregistrées, mais nous savons très bien qu’il s’agit seulement de la partie émergée de l’iceberg. Au-delà de ces données officielles, il y a la partie la plus importante, que nous ne connaissons pas vraiment. Les statistiques sont estimées. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe estime qu’une victime de la traite sur 9 est identifiée. Reste à faire le calcul pour connaître l’ampleur du phénomène en Roumanie. »
Quant à l’inégalité des régions par rapport à la traite, Oana Bîzgan affirme qu’il faut être très prudents avec les chiffres. Il existe une différence entre les régions où beaucoup de victimes sont identifiées et celles où la traite existe bel et bien, mais les victimes restent anonymes. Oana Bîzgan : « C’est extrêmement difficile de dire quelles régions sont les plus affectées par la traite des êtres humains en Roumanie. Il faut faire la distinction entre les régions qui identifient des victimes et les régions les plus touchées par ce phénomène. On le voit parfois, il y a des régions qui rapportent des chiffres élevés car elles identifient beaucoup de victimes. Et puis il y a des régions où la traite est bien présente, mais l’identification des personnes trafiquées n’est vraiment pas au point. Si on regarde les données officielles, les départements de Bacău (est) et de Dolj (sud) font état de 67 victimes en 2019, le double par rapport au chiffre rapporté en 2018. Il y a aussi des chiffres importants dans les départements de Galați, Iași, Călărași, Vrancea, Prahova, Constanța, Mureș, Sibiu ou Brașov. L’incidence est particulièrement forte pratiquement sur l’ensemble du pays, on voit bien que ce fléau se développe sans problème dans tous les comtés. »
Un emploi qui semble génial, un garçon qui dit « je t’aime » un peu trop vite, ça peut sembler séduisant pour ceux et celles qui n’ont pas une bonne capacité de discernement. Iana Matei : « Si le recrutement est basé sur une offre d’emploi qui semble formidable, on peut généralement vérifier sa véridicité. Si on n’a pas cette possibilité, il faut laisser toutes les informations dont on dispose, les données de contact, une destination, à un membre de notre famille et puis une date butoir. Si je n’ai pas appelé jusqu’à telle date, il sera arrivé quelque chose. Mais idéalement il ne faudrait pas accepter une offre d’emploi si elle n’est pas vérifiée. »
Le manque d’amour fragilise les victimes potentielles de la traite. Il suffit parfois de quelques mots pour les séduire. Iana Matei : « A présent, la technique de recrutement la plus utilisée est celle des « tombeurs », tant pour des jeunes filles majeures, mais surtout pour des enfants. Les trafiquants regardent du côté des filles de 10 à 12 ans, car elles sont très faciles à tromper. Généralement, ces enfants viennent de familles désorganisées ou n’ont pas de famille du tout. C’est ainsi que lorsqu’elles entendent les mots magiques, ce je t’aime, elles ont envie d’y croire. »
Les trafiquants sont parfois acquittés, comme dans le dossier Țăndărei, car après des années et des années de tergiversations, les faits sont prescrits. Et même s’ils arrivent en prison, les peines prononcées ont été tout à fait négligeables dernièrement. Iana Matei explique : « Les peines pour la traite des êtres humains étaient plutôt correctes en Roumanie au moment de l’application de la Loi n° 678. Cela pouvait aller jusqu’à 12 ans de prison pour celles à circonstances aggravantes. Malheureusement, trois articles du Code pénal ont modifié la Loi n° 678, ce qui fait qu’il n’y a plus d’affaires de traite en Roumanie. A présent il existe seulement des dossiers de proxénétisme et les peines sont dérisoires : de trois à six mois, bien souvent avec sursis. Nous essayons de réintroduire les peines antérieures prévues par la Loi 678 et d’y ajouter la confiscation de biens. Cela ne sert à rien de les mettre en prison s’ils continuent à conduire leur business de là. Il faut confisquer jusqu’à la dernière pièce obtenue par cette infraction. »
Oana Bîzgan, députée indépendante en 2016-2020, a déjà une bonne nouvelle côté législatif : « Pour la première fois ces douze dernières années, les trafiquants ne pourront plus se voir infliger des peines avec sursis. Je suis heureuse que nous ayons pu modifier le Code pénal et faire preuve de sérieux face à ce problème. Nous sommes encore loin d’avoir des peines suffisamment dures et proportionnelles avec le trauma infligé aux victimes. Toutefois, au moins à présent, aucun trafiquant ne pourra échapper à la prison. Nous avons réussi à élever l’application des peines minimales et je voudrais que ce message soit clair : ceux qui considèrent que la traite des êtres humains est à la portée de tous, qu’ils réfléchissent bien. Ils seront condamnés et iront en prison. Cette loi est déjà en vigueur et j’espère que cela soit le premier moyen de combattre, mais aussi de prévenir ce phénomène. » (Trad. Elena Diaconu)