Les enfants surdoués
Une fois identifiés, ces dons innés devraient être développés en milieu scolaire. Pourtant, l’écart entre la théorie et la pratique est assez grand en Roumanie, qui s’avère déficitaire quand il s’agit de tester et d’identifier les enfants à haut potentiel. Les statistiques officielles manquent elles aussi. L’association non-gouvernementale Gifted Education a mené ses propres recherches.
Christine Leșcu, 09.12.2015, 14:29
Malheureusement, elles ne satisfont pas au critère de représentativité, affirme un de ses auteurs, le mathématicien Florian Colceag, président de l’association : « Ces statistiques n’ont pas été élaborées pour l’ensemble du pays, mais sur un échantillon d’un millier de personnes, ce qui revient à dire que les données recueillies sont sujettes à contestation. 4% des enfants roumains ont un quotient d’intelligence (QI) au dessus de 120, donc supérieur à la moyenne, contre 6% chez les enfants chinois, sachant que la moyenne à l’échelle mondiale est de 2%. Ces chiffres sont contestables, car tout dépend du type de test utilisé, donc des indicateurs avec lesquels on travaille. Il y a quelques années, une équipe de psychologues norvégiens a testé des enfants vivant en milieu rural et dans les banlieues des villes, zones habitées par des gens sans aucune culture et qui n’ont jamais fait le moindre effort intellectuel. Ils en ont conclu que cette population présentait quand même un quotient intellectuel moyen, dans les conditions où la moyenne mondiale était de 100 ».
D’autres difficultés s’y ajoutent, et non seulement en Roumanie, précise Florian Colceag : « Les données fournies par ces tests ne correspondent pas à la réalité sur le terrain. Bien des gens intelligents ne se sont pas fait remarquer sur le marché de l’emploi, en ce sens qu’ils n’ont laissé aucune trace derrière eux. Il y a par exemple bien des chauffeurs de taxi très intelligents. Enfin, 50% des personnes testées par des universités du Connecticut et possédant une intelligence supérieure à la moyenne n’obtiennent pas de performance au travail. Voilà pourquoi je suis très réservé à l’égard de ces statistiques ».
Même si elles ne sont pas suffisamment révélatrices, ces statistiques peuvent pour autant constituer le point de départ pour mettre en place des programmes éducatifs censés aider les enfants à développer leur potentiel intellectuel. Malheureusement, cet aspect est négligé par les autorités roumaines et la législation en la matière est défaillante, affirme Robert Florea, coordinateur du Centre de ressources et d’assistance éducative de Bucarest : « Il n’y a pas de préoccupation à cet égard. J’ignore quelle est la situation au niveau du ministère de l’Education, mais je sais que les inspections scolaires ne s’en préoccupent guère. La législation n’y prête pas, elle non plus, assez d’intérêt. L’actuelle loi de l’éducation comporte une section et un article à cinq alinéas relatifs à la problématique des élèves capables de hautes performances, mais ceux-ci ne sont pas définis comme surdoués. Un autre acte normatif, élaboré en 2007, contenait quelques mentions ayant trait au dépistage des enfants surdoués et à l’affectation de personnels enseignants spécialisés. Bref, la question ne bénéficie pas d’attention particulière ».
Adoptée en 2007 et votée sur l’initiative de Florian Colceag, la loi sur l’éducation des jeunes capables de haute performance n’a jamais produit d’effet : « Il aurait fallu créer dès 2007 un Centre national d’éducation différenciée, lequel aurait dû mettre sur pied un réseau d’écoles. Même s’il existe sur papier, il ne dispose ni de personnel dédié, ni de locaux, ni de fonds. Aucun parti politique n’a eu intérêt à faire émerger les valeurs intellectuelles de la société. Cet institut aurait pour vocation de proposer des alternatives éducatives à même d’encourager l’épanouissement de la personnalité des enfants et à en maximiser le potentiel intellectuel. Ses alternatives viseraient à mesurer non pas la performance, mais le progrès des élèves dans leurs domaines d’intérêt, car il est notoire qu’un enfant ne se passionne pas pour tous les domaines ou toutes les disciplines scolaires en même temps. Pourtant, au moment où il accomplit un progrès remarquable dans un domaine précis, il devrait bénéficier d’une éducation personnalisée »
.A défaut de programmes gouvernementaux, les parents ont recours à différentes initiatives privées dont le but est de dépister les enfants talentueux ou surdoués et de leur offrir une éducation appropriée. En Roumanie, seuls les élèves ayant gagné des concours internationaux et qui font la fierté du pays bénéficient de programmes d’enseignement spéciaux. Qu’en est-il des autres enfants très doués? Que faudrait-il faire aux niveaux gouvernemental et institutionnel pour les identifier et les aider à mette en valeur leurs capacités intellectuelles hors norme? Ecoutons la réponse de Robert Florea: « Une approche systémique est nécessaire, avec l’aide des spécialistes. Ces derniers devraient mettre au point les instruments permettant de tester les capacités des jeunes et les modalités de sélection de l’échantillon à l’échelle nationale. Pour l’instant, aucune institution ne s’en préoccupe. Personne n’a pensé à dépister ces enfants. Tous les regards sont rivés sur les lauréats des olympiades internationales aux différentes disciplines. Nous ne savons pas ce que deviennent ces jeunes, mais il paraît que certains d’entre eux choisissent de quitter le pays. Pourquoi ne pas éviter cette situation, en créant des conditions propices à leur épanouissement? Seulement voilà, pour y parvenir, il faudrait disposer de tout un appareil institutionnel ». Cette problématique tient non seulement au développement du potentiel individuel des enfants, mais aussi à l’avenir de la Roumanie, d’un point de vue social, économique et culturel. (trad. Mariana Tudose)