Les dangers de la numérisation
En 2017, en Roumanie, 81% de la population féminine entre 16 et 24 ans utilisait quotidiennement le réseau Internet, contre 82% de jeunes hommes. Pourtant, quand il s’agit de la participation des jeunes des deux sexes aux débats d’idées lancés sur Internet, les chiffres descendent sensiblement en dessous du niveau européen: 16% seulement des jeunes filles et 20% des garçons ont témoigné de l’intérêt pour les articles de la presse en ligne ou postés sur les blogs. Si ce type de désintérêt peut s’expliquer par un désintérêt général des jeunes européens vis-à-vis d’une implication politique et civique, d’autres facteurs peuvent aussi en être responsables.
Christine Leșcu, 07.11.2018, 12:52
En 2017, en Roumanie, 81% de la population féminine entre 16 et 24 ans utilisait quotidiennement le réseau Internet, contre 82% de jeunes hommes. Pourtant, quand il s’agit de la participation des jeunes des deux sexes aux débats d’idées lancés sur Internet, les chiffres descendent sensiblement en dessous du niveau européen: 16% seulement des jeunes filles et 20% des garçons ont témoigné de l’intérêt pour les articles de la presse en ligne ou postés sur les blogs. Si ce type de désintérêt peut s’expliquer par un désintérêt général des jeunes européens vis-à-vis d’une implication politique et civique, d’autres facteurs peuvent aussi en être responsables.
Au niveau de l’UE, 12% des adolescentes de 15 ans ont reçu des messages de harcèlement en ligne, contre 7% des adolescents. En Roumanie, par contre, selon une étude réalisée par la compagnie informatique Bitdefender durant l’automne 2017, parmi les moins de 18 ans, 4 ados sur 5 affirment avoir été la cible du harcèlement en ligne. Les experts de l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (EIGE) ont remarqué une corrélation entre le harcèlement en ligne et la réticence des jeunes – surtout des filles – à s’exprimer. 51% des adolescentes et 42% des adolescents hésitent à participer à des débats en ligne après avoir été victimes du cyberharcèlement. Blandine Mollard, experte de l’Institut: « Des indicateurs très précis montrent que les adolescentes ou les jeunes femmes adaptent leur comportement en ligne après avoir été témoins ou victimes de commentaires abusifs sur les réseaux sociaux. Elles cessent de participer aux débats en ligne et refusent même les conversations. Les adolescents et les jeunes hommes adaptent eux aussi leur comportement, mais dans une moindre mesure. Les jeunes des deux sexes passent beaucoup de temps sur Internet à s’informer et à exprimer leur avis. C’est pourquoi nous pensons que si les adolescentes utilisent l’espace virtuel de manière passive et ne contribuent pas, par leurs opinions, à transformer cet espace, elles ratent peut-être d’importantes expériences formatives. En outre, nous avons une génération de garçons très actifs en ligne, qui s’expriment pleinement, mais qui font des échanges seulement entre eux et moins avec les filles, celles-ci se voyant ainsi partiellement exclues de ces échanges d’idées.»
Une autre question se pose, par ailleurs: combien d’adolescents acceptent de reconnaître qu’ils ont été victimes du harcèlement en ligne et que cela les a déterminés à ne plus exprimer leurs opinions? Selon le psychologue Nansi Lungu, les études prennent en compte seulement les jeunes qui reconnaissent avoir été harcelés. Par conséquent, ce phénomène pourrait être beaucoup plus répandu que les statistiques ne le laissent supposer. Les agresseurs sont, d’habitude, des jeunes du même âge que la victime et l’attaque est généralement déclenchée par une personne de l’entourage de celle-ci. « Le côté le plus désagréable c’est que, d’habitude, ces harcèlements se produisent en cascade, l’agression initiale engendrant une sorte d’attaque concertée contre la victime – estime Nansi Lungu. Et les effets peuvent être dévastateurs : « Un jeune ou un adolescent qui ne comprend pas pourquoi il est attaqué et pourquoi il fait l’objet de tant de haine, peut très bien en être affecté pour une longue période de temps, surtout qu’il est en pleine période de développement psychique. Ces attaques ne peuvent pas être prévenues, car elles se déclenchent par hasard. Mais leur multiplication a lieu en cascade : les attaques deviennent de plus en plus nombreuses et de plus en plus agressives ».
En Roumanie, les vêtements sont un des principaux objets du cyber-harcèlement : 67% des messages y font référence. S’y ajoutent les hobbies et les activités quotidiennes (30%), la situation financière de la famille (13%), les résultats scolaires (12%) ou encore l’orientation sexuelle (8%). D’habitude, les raisons du harcèlement en ligne sont les mêmes que celles du harcèlement classique, la Toile n’en étant que le prolongement. Par ailleurs, les normes de beauté sont un sujet très répandu. Blandine Mollard explique : « Les normes de beauté sont un grand sujet de débat, bien avant l’époque de la Toile. En ligne ou dans la dans la rue ou au travail, on croise toute une variété de visages humains, de corps, de styles vestimentaires. Mais un seul type d’aspect physique domine, notamment sur les réseaux sociaux. Et cela nous touche. Mais l’ampleur ou l’intensité des sentiments dépend du temps que les jeunes passent en ligne. »
Il est difficile de prévenir le harcèlement en ligne, c’est quelque chose de trop imprévisible. Cela dépend plutôt du contexte et les raisons de son apparition sont plutôt un prétexte pour des penchants agressifs. C’est pourquoi, il faut mettre l’accent sur les réactions post-factum et sur l’éducation, estime Nansi Lungu : « En général, les agresseurs ne sont pas découragés par la qualité des contre-arguments, mais plutôt par le nombre des personnes qui viennent soutenir la victime. C’est justement pourquoi le phénomène est si inquiétant, parce que chez nous la cohésion sociale n’est pas très forte. Les enfants ne voient pas souvent des exemples de défense des personnes faibles. Ils l’apprennent, peut – être, en théorie, à l’école, mais ils ne le voient pas dans la société. A cause de cette éducation précaire, mais aussi à cause de la nature humaine, tout individu, même une ancienne victime peut devenir agresseur dans un certain contexte. Tant que nous acceptons la propagation d’un certain type de haine et d’agressivité – et le milieu en ligne est un espace assez permissif – on trouvera toujours quelqu’un désireux de rejoindre le groupe d’agresseurs. Pourquoi ? Parce que cela l’aide à se sentir plus fort et il ne pourra plus devenir une victime. Et puis, il faut aussi éduquer l’attitude de ceux qui regardent de l’extérieur. Ces gens devraient intervenir plus souvent. » (Trad. Dominque, Valentina Beleavski)