Les attitudes et les attentes des Roumains envers l’Etat providence
Christine Leșcu, 22.06.2022, 13:53
Au cours des 15 ans écoulés depuis l’adhésion de la Roumanie à l’UE, les
progrès économiques sont évidents : le salaire moyen net a augmenté 3,5 fois,
le taux de croissance de l’économie a été un des plus rapides d’Europe et en ce
qui concerne le produit intérieur brut, la croissance des dernières années
place la Roumanie première parmi les Etats de l’Union européenne.
Parallèlement, les statistiques illustrent une amplification des clivages entre
riches et pauvres, l’aggravation de l’abandon scolaire et une émigration
importante. Dans de telles conditions, la Fondation Friedrich Ebert de Roumanie
a réalisé une recherche sociologique afin de découvrir l’opinion des Roumains
sur l’implication de l’Etat dans la société. Le résultat a été l’étude
« Attitudes et valeurs progressistes en Roumanie ». Au sujet des
prémices de cette étude, nous écoutons le sociologue Claudiu Tufiș, un des
co-auteurs :
« L’espace public est fortement ancré à
droite lorsqu’on évoque l’idéologie et lorsqu’on parle de valeurs, on évoque
surtout le libéralisme, l’économie de marché, la compétition, le respect de la
propriété privée, la corruption et l’anticorruption. On parle moins de thèmes
qui pourraient intéresser la plus grande partie de la population qui peine à
boucler les fins de mois. C’est de là qu’est partie cette initiative de la
Fondation Friedrich Ebert. De la tentative de mesurer certaines valeurs
normalement associées à la gauche. Ce qui plus est, il n’y a pas trop de
recherches sociologiques censées analyser ces choses directement. »
Pour le sociologue Claudiu Tufiș, le mot « progressiste » n’a pas
été un choix inspiré. Il aurait préféré même le mot
« de gauche », vu que les grands thèmes du sondage se retrouvent
normalement parmi les politiques de la gauche : la protection sociale, le
financement par l’Etat de l’enseignement et du secteur sanitaire,
l’intervention de l’Etat dans l’économie pour assurer des conditions de vie
équitables. Parmi les questions posées aux personnes interrogées figurent aussi
celles relatives à l’imposition progressive, un thème très actuel en Roumanie,
où on évoque l’élimination du taux unique d’imposition. Ecoutons le sociologue Claudiu
Tufiș.
« La première question qui a attiré
l’attention a porté sur les préférences des Roumains en matière d’imposition et
le fameux taux de 73 %. C’est-à-dire que trois quarts de la population affirme
que ceux qui touchent des revenus plus élevés devraient payer plus d’impôts.
Certes, le débat sur l’imposition progressive est complexe du point de vue
économique et l’imposition progressive ne dit pas grand-chose. La manière dont
ce principe de la taxation équitable a été appliqué peut avoir plusieurs formes
et des résultats tout à fait différents… Or pour de tels détails, un simple
questionnaire ne suffisait pas. Il nous était impossible de poser des questions
au sujet de la préférence pour certains modèles d’imposition progressive. Nous
savons uniquement qu’à un niveau très général, la population affirme que les
personnes qui touchent des revenus plus importants devraient payer plus
d’impôts. Hormis cette question liée à l’imposition progressive, il y a aussi
toute une série de questions relatives aux différents moyens par le biais
desquels l’Etat devrait aider les personnes besogneuses. Un tel exemple est le
plafonnement des loyers par l’Etat, un thème qui est non seulement évoqué dans
l’ouest de l’Europe, mais dans certains cas, ce n’est qu’à présent qu’il est
implémenté en Espagne ou à Berlin, où des limites ont été appliquées aux
loyers. Dans l’espace roumain, ce thème n’a jamais été sérieusement débattu. Au
sujet du plafonnement des loyers par l’Etat, quelque 34 % des Roumains
affirment que cela devrait se faire, alors que 30 % affirment qu’il devrait se
faire « dans une grande mesure ». Et si nous ajoutons les deux taux,
nous découvrons que 65 % de la population affirme que l’Etat devrait plafonner
la valeur des loyers. Ajoutons aussi que la majorité des Roumains affirment que
les propriétaires de plusieurs habitations devraient payer des impôts majorés à
commencer par le deuxième immeuble ».
Il existe toutefois aussi des contradictions dans
les réponses fournies par les participants au sondage. Même si la majorité des
Roumains affirme que l’Etat devrait majorer l’aide sociale accordée aux
catégories défavorisées, nombre de nos concitoyens s’opposent à la majoration
des dépenses gouvernementales. Détails avec Claudiu Tufiș.
« Il y a plusieurs domaines où l’Etat
devrait majorer les dépenses gouvernementales : la réduction de la
pauvreté, l’allocation chômage, les retraites, la santé, la protection sociale.
Mais là, nous arrivons à un débat plus complexe parce que nous posons des
questions génériques dans les limites des sondages d’opinion. A de telles
questions génériques, les gens répondent normalement par « oui, il faudrait
dépenser plus d’argent pour réduire la pauvreté ou pour mieux financer
l’éducation et la santé ». Mais lorsqu’on arrive à l’autre question, celle
liée à la majoration des taxes et impôts ou s’ils devraient eux-mêmes payer
pour ces choses, la situation change en quelque sorte. Les gens sont plus
réticents lorsqu’il s’agit de s’engager à dépenser plus d’argent. »
Etant donné que les questions de l’enquête sont plutôt générales et
tournent autour d’idéaux humanistes difficiles à rejeter, il est normal de
découvrir des contradictions. Et si on renonçait aux questions générales en faveur
des questions spécifiques ? Claudiu Tufiș.
« Nous cherchons à identifier des
constellations de valeurs. Le pourcentage de ceux qui soutiennent une certaine
idée ne nous intéresse pas particulièrement, mais nous sommes intéressés de
savoir par exemple si ceux qui soutiennent un meilleur financement de
l’éducation ont une opinion similaire aussi pour ce qui est de la santé ou au
contraire s’ils souhaitent des dépenses moindres pour le système militaire. Et
je reviens aux 73 % des Roumains qui partagent la même opinion quant au taux
d’imposition. En modifiant la question en « êtes-vous d’accord de majorer de 50
% les impôts appliqués à ceux qui touchent plus de 3 000 lei (environ 600
euros) par mois ? », la réponse serait complètement différente,
puisque ce montant est un salaire assez bas en Roumanie. Donc les choses sont
en évolution et elles changent en fonction de la spécificité de la question, de
la situation que nous présentons au sujet questionné. »
Selon les auteurs de l’étude, la conclusion, c’est que, malgré de telles
contradictions, en Roumanie il y a un appui massif derrière l’idée d’un Etat
social fort, capable de générer et de mettre en place des politiques
génératrices d’égalité sociale.
(Trad : Alexandru Diaconescu)