L’école roumaine et l’inclusion socio-éducative
Parallèlement aux études et aux données officielles, différents experts et des ONGs actives dans le domaine de l’éducation font leurs propres évaluations du système roumain d’enseignement. C’est le cas de l’Association Human Catalyst, qui, par sa présidente, Laura Greta Marin, et en collaboration avec d’autres experts, a créé un instrument d’évaluation des écoles du point de vue social. Cet instrument s’appelle « l’indice de risque socio-éducatif » – IRSE – utilisé jusqu’à présent pour évaluer les élèves du primaire et du collège, âgés de 6 à 14 ans. L’indice est calculé à partir de plusieurs données, dont le risque d’abandon scolaire, soit le nombre d’élèves ayant redoublé la classe, exclus de l’école ou qui n’ont pas bouclé leur année scolaire. L’indice prend également en compte trois autres facteurs: le niveau professionnel des enseignants, soit le nombre d’enseignants qui n’ont pas de formation satisfaisante ; le niveau de connaissances des élèves, soit le taux de participation des élèves en fin de collège à l’Evaluation nationale et, enfin, le niveau de développement socio-économique de la localité, soit son degré de marginalisation, tel qu’il est défini par la Banque Mondiale.
Christine Leșcu, 06.06.2018, 12:51
Quels en ont été les résultats pour l’année scolaire 2016-2017 ? Laura Greta Marin : « Les valeurs de l’indice de risque socio-éducatif – IRSE – vont de 1 à 10, 10 indiquant le risque socio-éducatif maximal. 4 catégories d’écoles ont pu être définies en fonction de cet indice : écoles performantes, dont l’indice va de 0 à 1 ; il y en a 446 sur le territoire du pays ; écoles de niveau moyen, dont l’indice va de 1 à 3. La plupart des écoles – soit 62% – entrent dans cette catégorie, qui compte 2 .600 établissements ; écoles défavorisées, qui représentent 26% du nombre total, soit 1.115 ; et, enfin, écoles fortement défavorisées, qui sont au nombre de 54 et représentent 1% des écoles de Roumanie. »
A partir des données fournies par l’application de l’indice, les experts en éducation ont pu même dresser un «portrait-robot» de l’école à risque socio-éducatif maximal.
Quelles sont les caractéristiques d’une telle école ? Laura Greta Marin : « Une telle école est située dans une région figurant sur la liste des zones les plus marginalisées, telles qu’elles ont été définies par la Banque Mondiale. Il s’agit d’un établissement de petites dimensions, comptant environ 300 élèves. Sur le nombre total d’élèves, plus de 10% sont d’ethnie rom. Dans certaines de ces écoles, la grande majorité des élèves appartiennent à cette ethnie. Le taux d’abandon scolaire est supérieur à 10%, pouvant aller jusqu’à 70%. Le nombre d’enseignants sans formation adéquate ou dont le niveau professionnel ne correspond pas aux exigences peut dépasser les 50%. Plus d’un tiers des élèves d’une telle école n’ont pas été inscrits à l’évaluation nationale prévue à la fin du collège. La note moyenne obtenue par les élèves qui s’y sont présentés est inférieure à 5,5 (alors que la maximale est 10) ».
En évaluant et en comparant les données pour les années 2015, 2016 et 2017, les experts de l’association Human Catalyst ont constaté une situation tout à fait particulière, qu’ils ont appelé « le phénomène Brăila ». Il s’agit de l’inscription des élèves à l’Evaluation nationale, un test de connaissances de langue roumaine et de mathématiques que tous les élèves en fin de collège doivent passer pour s’inscrire au lycée et continuer leurs études. En fonction des notes obtenues à ce test et de l’ensemble de leurs résultats scolaires, les enfants se qualifient pour l’admission à des lycées s’échelonnant des meilleurs aux moins bons. En fonction des résultats à l’Evaluation nationale, on dresse également un classement informel des écoles de l’enseignement secondaire.
Qu’est-ce donc que le « phénomène Brăila » ? Laura Greta Marin : «L’année dernière, Brăila occupait, après Bucarest, la deuxième place dans la hiérarchie des départements ayant obtenu la moyenne la plus élevée à l’Evaluation nationale. En même temps, ce département enregistrait pourtant le plus grand taux de non-participation des élèves à cette évaluation, soit de 40%. Pour tirer au clair cette situation, nous nous sommes adressés aux inspecteurs, aux directeurs d’établissement, mais aussi aux parents, qui nous ont raconté qu’un certain « procédé » étaient appliqué depuis des années : conseillés, forcés ou soumis à un chantage, les enfants ayant de faibles résultats scolaires sont déterminés à ne pas s’inscrire à ces tests, pour ne pas diminuer la note moyenne du département. De telles situations ont été enregistrées un peu partout dans le pays. »
Il est évident que les enfants avec de faibles résultats scolaires obtiendront une mauvaise note à l’évaluation, surtout qu’une simulation de ces tests est prévue avant. C’est pourquoi, la direction de certains collèges tâche parfois, par différents moyens, d’empêcher ces élèves de s’y présenter. Une mère de Bucarest raconte ce qui est arrivé à ses enfants. Ses garçons, des triplets, étaient en danger de redoubler la classe, en raison de leurs mauvais résultats en mathématiques. Au lieu de donner aux triplets la chance de corriger – ou non – leurs notes, la direction de l’école a adopté une autre attitude.
Leur mère raconte : « Ils avaient de mauvaises notes et je n’étais pas au courant. Cela m’a étonnée. Je savais qu’ils n’étaient pas de bons élèves, mais pas à ce point. Après, Mme la directrice, m’a dit qu’elle ferait attention à ce que le professeur de maths ne leur accorde pas la note minimale nécessaire pour finir l’année scolaire, pour qu’ils ne puissent pas se présenter à l’évaluation nationale ; car s’ils y décrochaient une mauvaise note, ils diminueraient la moyenne de l’école – alors que son école est une bonne école. Ce sont ses propres mots. Cela m’a semblé comme une pression exercée par la directrice sur le professeur de mathématiques. »
A part le fait que ce genre de pression n’est pas légal, selon la mère des triplets, elle risque d’avoir un impact sur le moral des enfants.
Leur mère poursuit : « Ainsi, mes garçons seront reportés à la session d’automne et alors, c’est comme s’ils avaient été vaincus, comme s’ils commençaient leur chemin dans la vie avec les ailes coupées. Ils ont eu un coup de déprime, ils pensaient que ça ne valait plus la peine d’apprendre, puisque de toute façon ils allaient être recalés. »
Par conséquent, il y a deux semaines, cette mère a déposé une plainte au cabinet du ministre de l’Education. A l’initiative de l’association Human Catalyst, plusieurs ONGs ont elles aussi envoyé aux autorités habilitées une pétition sur le « phénomène Brăila ». Deux semaines après ces demandes, le ministère de l’Education Nationale a invité les signataires à un entretien sur les solutions à envisager. Les résultats de ces entretiens seront rendus publics. Notre rédaction a demandé, elle aussi, au Ministère de l’éducation, un point de vue sur le « phénomène Brăila ». Dans le communiqué envoyé, il y a une semaine, en réponse à notre demande, il était écrit : « Le ministère de l’Education Nationale s’applique à promouvoir, en tant que politique éducationnelle, l’équité dans le domaine de l’éducation, assurant l’accès égal à toutes les formes d’enseignement, mais aussi la qualité de l’éducation pour tous les enfants. Jusqu’ici, aucune plainte n’a été adressée par les parents ou les élèves portant sur une situation concrète liée au phénomène mentionné. ». ( Trad. : Dominique)