Le travail à l’étranger: quels effets sur les enfants restés au pays?
Cela
fait plus de 20 ans que la Roumanie est confrontée au phénomène de l’émigration
de sa population à la recherche d’un meilleur emploi à l’étranger. En fait, ce
phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, est ses conséquences sont
multiples. Parmi elles, et l’une des plus dramatiques : des milliers d’enfants
restent au pays, à la charge des grands-parents ou d’autres membres de la
famille. Car tous les Roumains qui partent travailler à l’étranger n’ont pas la
possibilité d’y emmener leurs enfants. Alors, cela fait longtemps déjà que
l’organisation Save the Children Roumanie tire la sonnette d’alarme au sujet de
ces derniers et on dispose désormais aussi des statistiques qui viennent confirmer
l’urgence de cette situation.
Christine Leșcu, 23.08.2023, 12:04
Cela
fait plus de 20 ans que la Roumanie est confrontée au phénomène de l’émigration
de sa population à la recherche d’un meilleur emploi à l’étranger. En fait, ce
phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur, est ses conséquences sont
multiples. Parmi elles, et l’une des plus dramatiques : des milliers d’enfants
restent au pays, à la charge des grands-parents ou d’autres membres de la
famille. Car tous les Roumains qui partent travailler à l’étranger n’ont pas la
possibilité d’y emmener leurs enfants. Alors, cela fait longtemps déjà que
l’organisation Save the Children Roumanie tire la sonnette d’alarme au sujet de
ces derniers et on dispose désormais aussi des statistiques qui viennent confirmer
l’urgence de cette situation.
Selon
une étude menée par l’organisation entre juillet et septembre 2022, près d’un
quart des enfants âgés de 0 à 17 ans ont eu ou avaient au moins un parent qui travaillait
à l’étranger à ce moment-là. Pour plus de 61 % d’entre eux, il s’agissait du
père. Dans 20 % des cas, c’était la mère qui était partie et 18 % des enfants
avaient cités leurs deux parents partis travailler à l’étranger. Somme toute,
il s’agit de plus de 500 000 enfants, dont la plupart sont encore très jeunes. D’habitude,
une mère accepte un emploi dans un autre pays, après le 6e anniversaire de son
enfant, mais le père part beaucoup plus tôt. Pour ce qui est de la décision de
partir, en général, les enfants sont consultés, même s’ils sont très jeunes,
constate l’étude.
Anca
Stamin, représentante de l’organisation Save the Children Roumanie fait pourtant
quelques précisions sur cet aspect : « 83 % des adultes interrogés ont déclaré que la décision d’un
parent de partir travailler à l’étranger prend en compte l’avis de son enfant.
Pourtant, seulement 62 % des enfants questionnés ont affirmé avoir été
impliqués dans cette décision. Et nous avons tendance à faire confiance plutôt
aux réponses des enfants. Plus encore, un tiers des enfants interrogés, soit 31
%, affirment ne pas avoir été d’accord avec le départ du parent. L’étude a également
révélé que la plupart des enfants concernés ne figurent pas dans les rapports
des services d’assistance sociale. Concrètement, seuls 39 % des parents ont
rapporté aux services d’assistance sociale la situation de leur enfant. De
même, seulement 57 % d’entre eux en ont informé l’école. Donc, il est certain
qu’aucune de ces deux institutions ne détient des informations complètes sur
cette situation. Force est donc de constater la réticence des parents ou de la
famille à déclarer le départ à l’étranger auprès des autorités ou de l’école. »
Mais une
telle réticence n’est pas non plus sans conséquence. Comme les parents évitent
d’informer les autorités de leur décision, il est difficile pour ces dernières ou
pour les ONG d’intervenir en cas de problèmes. Et l’étude de l’organisation Save
the Children met justement en lumière les risques auxquels sont exposés les
enfants restés au pays, sans leurs parents.
Anca Stamin :
« On a constaté une très grande différence entre les enfants issus des
familles ayant des parents travaillant à l’étranger et ceux des familles dont
les parents sont restés, notamment en ce qui concerne les comportements à
risque. Pour les premiers, il existe une probabilité de 38 % d’être exposés en
ligne à des scènes explicites de sexualité et de pornographie et aussi une
probabilité deux fois plus élevée d’avoir un comportement agressif envers
d’autres enfants ou de consommer de l’alcool. Ils sont tout aussi exposés à la
consommation de substances interdites ou de tabac. Tout cela, sur toile de fond
de l’absence d’un contrôle parental, d’un accès facile à la technologie, d’une
communication déficitaire avec les parents ou de leurs responsables, mais aussi
à cause de l’absence d’éducation à la santé. Les comportements agressifs
peuvent être une manière d’exprimer leur désarroi ou de fortes émotions suite
au départ des parents. Dans notre expérience de travail avec ces jeunes, nous
avons souvent rencontré des enfants qui se sentaient abandonnés ou coupables du
départ de leurs parents. Même si l’intention du parent est bonne, il fait de la
peine à l’enfant en lui disant qu’il part pour son bien, car cela ne fait que
mettre un fardeau supplémentaire sur ses épaules. »
Dans ce
contexte, la communication est extrêmement importante pour rester en contact
et, heureusement, la révolution numérique a beaucoup aidé en ce sens. Le plus
souvent, les parents communiquent à l’aide des plateformes vidéo avec leurs
enfants et seulement 19 % se limitent au téléphone. De même, 45 % des
familles communiquent une fois par jour et environ 15 % communiquent même plusieurs
fois par jour. Malheureusement, il existe aussi des situations où la
communication est plus rare : 33 % des familles questionnées ont affirmé
communiquer une fois tous les 2 ou 3 jours et 7 % seulement une fois par
semaine. Enfin, 20 % des adolescents interrogés parlent avec le parent parti à l’étranger
une fois par semaine, voire plus rarement.
En
voici un exemple concret. Andreea Penescu a 12 ans et elle est élève au collège.
Elle nous raconte comment elle reste en contact avec son père qui travaille en
Suisse depuis une dizaine d’années déjà :
« Par téléphone, par des messages. Il rentre au pays s’il a des vacances ou
si l’occasion se présente. Mais on se voit plutôt rarement. La plupart du temps
on communique par téléphone et par messages. Ce n’est pas une relation très
chaleureuse, mais pas trop distante non plus. On est en contact. Tout va bien.
Mais j’avoue que je me sens beaucoup plus proche de ma mère. »
Andreea
avoue aussi n’avoir jamais rendu visite à son père en Suisse. Cette année, pour
la toute première fois, elle pourra passer deux semaines consécutives avec lui.
Elle nous a raconté qu’il était parti pour améliorer la situation financière de
la famille. Pourtant, même si cette situation est effectivement meilleure,
Andreea affirme qu’elle aurait préféré ne pas voir sa famille se séparer. Plus
encore, elle rejette l’idée de s’établir un jour en Suisse.
Andreea Penescu, 12 ans : « Ce n’est pas que cette opportunité n’existe pas. C’est que moi, je ne veux
pas y aller et je pense que ma mère ne veut pas non plus. Parce que nous avons
construit nos vies ici, en Roumanie, pas à pas, étape par étape. Moi, j’ai mes
amis et je suis très bien intégrée à l’école. Ma mère, elle a ses amis au
travail et je sais que ce serait difficile de tout reprendre à zéro, avec une
nouvelle langue, une nouvelle vie, un nouveau style de vie. »
Et
Andreea n’est pas la seule à penser cela. Bien qu’elle ait l’air d’avoir
accepté cette situation et qu’elle ait de bons résultats scolaires, l’étude
menée par l’organisation Save the Children montre que le départ d’un parent à
l’étranger augmente de 62 % le risque de voir les résultats scolaires de
l’enfant stagner au cours des premières années suivant le départ. (trad.
Valentina Beleavski)