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Le pèlerinage dans la Roumanie du 21e siècle

Le pèlerinage dans la Roumanie du 21e siècle
Le pèlerinage dans la Roumanie du 21e siècle

, 24.11.2021, 11:31

Du
Bouddhisme au Judaïsme en passant par l’Islam et l’Hindouisme, à chaque
religion son haut lieu de pèlerinage. Le Christianisme n’échappe pas à la
règle. Jérusalem, Rome, Saint Jacques de Compostelle, Lourdes, le monastère des
Météores en Grèce, les îles d’Eghina et d’Evia, Nea Makri, ou le mont Athos,
sont autant d’exemples de lieux de pèlerinage du monde chrétien.






En
Roumanie, pays majoritairement orthodoxe, la saison des pèlerinages les plus
importants est maintenant terminée. C’est l’occasion pour nous de revenir sur
ce phénomène social et religieux de grande ampleur, auquel participent des
dizaines, voire des centaines de milliers de pèlerins.








Nous
sommes en compagnie de Mirel Bănică, chercheur en socioantropologie des
religions à l’Académie Roumaine, à qui nous avons demandé brièvement de passer
en revue les principaux lieux de pèlerinages roumains : « Chaque pèlerin a son lieu de pèlerinage de prédilection. Il n’y a
aucun mal à l’avouer, nous ne sommes pas théologiens, et chacun a le droit
d’avoir son Saint préféré, avec lequel il a le plus d’affinités. Je vais tout
de même tenter un petit classement. Les deux plus grands pèlerinages sont ceux
de Iasi et Bucarest, qui, avant le Covid, attiraient des dizaines, voire des
centaines de milliers de pèlerins.
Vient ensuite le monastère de Nicula, le plus important de Transylvanie. Il
existe aussi des pèlerinages plus locaux, mais qui n’en demeurent pas moins
très connus. C’est le cas par exemple du monastère de Cernica (pour Saint Calinic) et celui au monastère de Curtea de Argeş (pour
rendre hommage à Sainte Filofteia).
Enfin, un dernier pèlerinage est récemment apparu sur la carte de Roumanie, il
y a maintenant une dizaine d’années. C’est celui de Prislop, où se trouve la
tombe du père Arsenie Boca. »






Dans
le cadre d’un pèlerinage catholique, l’hommage qu’un pèlerin rend au sacré est d’ordre
géographique. Il doit en effet beaucoup marcher pour se rendre sur le lieu sacré.
C’est le cas par exemple du chemin de Saint Jacques de Compostelle.

Chez les
orthodoxes c’est différent. Chaque
pèlerinage est unique, même si Mirel Bănică estime qu’ils partagent quelques
points communs : « Ce qui fait
la spécificité du pèlerinage orthodoxe, c’est la situation d’attente dans
laquelle se met le pèlerin. Cela peut être court ou parfois très long. Pour ma
part, c’est en 2015-2016 à Iasi, que j’ai le plus attendu. J’ai dû patienter
près de 20 heures. Comme tout bon pèlerin qui se respecte, j’ai ma fierté. Les
pèlerins ont toujours aimé se vanter un peu. Ils ne devraient pas, mais ils
adorent raconter leurs exploits !
Une deuxième caractéristique typique de la religion
orthodoxe et peut-être typique des pèlerinages en Roumanie, c’est le contact
intime et très direct avec le sacré par le biais des saints ou des icônes,
comme celle de Nicula ou la tombe du Père Arsenie Boca, à Prislop. Cette
intimité avec le sacré, le fait que le pèlerin orthodoxe ait tendance à
toucher, à s’approcher, à entrer en contact direct avec l’objet sacré, a généré
de nombreux problèmes pendant la pandémie. En effet, pendant cette période
singulière, le contact direct entre les hommes ou avec les objets sacrés a été
fortement critiqué et à de nombreuses reprises. »









La
pandémie a bouleversé le déroulement des pèlerinages. En temps
« normal », on voit déborder des églises une marée humaine, un flot
de gardes de sécurité et de forces de l’ordre, une kyrielle de stands où sont
vendus des objets de culte. Le tout sur fond de prières et de chants byzantins
diffusés par des haut-parleurs… sous le regard scrutateur de la presse.








La
pandémie a aussi bouleversé le recrutement des pèlerins. Personne ne voulait ou
ne pouvait plus voyager aussi facilement ou aussi loin qu’avant. Mais qui
participe à ces pèlerinages ? Le pèlerin roumain est, souvent de façon
péjorative, associé à une femme d’âge mûr, issue de milieu rural et, dans le
meilleur des cas, ayant terminé l’école primaire.






Qui Mirel
Bănică a-t-il croisé en faisant la queue pendant 20 heures ? Il raconte : « Le
temps passe impitoyablement vite. Cinq ou six ans ont déjà passé depuis la publication
de mon livre, « Besoin d’un miracle ! le phénomène des pèlerinages
dans la Roumanie contemporaine », écrit en 2014-2015 et paru aux éditions
Polirom, et réédité depuis. A l’époque, je me posais déjà la question
« peut-on dresser un portrait-robot du pèlerin ? est-ce
possible ? peut-on affirmer, tiens, lui c’est un pèlerin ? ». Cela en surprendra plus d’un, et j’épargnerais ici les détails à ceux qui
n’aiment pas les pèlerinages pour des raisons diverses, mais il existe
plusieurs profils de pèlerins. J’ai croisé sur mon chemin le stéréotype du
pèlerin de la campagne, portant encore sa nourriture dans sa besace et mangeant
avec délice un morceau de polenta
avec de l’oignon cru ! Je n’exagère pas ! J’ai aussi croisé, et j’en
ai déjà parlé dans mon livre, mais je le répète ici, des pèlerins très
sophistiqués et très bien équipés : meilleur équipement de trek, meilleur
vêtement de pluie, meilleur coupe-vent. Ils arrivaient en file indienne, comme
s’ils voulaient gravir l’Himalaya, comme s’il s’agissait pour eux d’un exercice
de développement personnel. Cela reflète la sécularisation de notre
époque ! »









Pour certains spectateurs, restés en marge de ce
phénomène, les pèlerinages constituent un anachronisme de l’époque post-moderne
dans laquelle nous vivons. De tout temps les pèlerins ont été stigmatisés, mais
ce phénomène n’a pas été inventé en Roumanie, et pas à notre époque. C’est ce
qu’affirme le chercheur de l’Académie Roumaine, Mirel Bănică : « C’est une étape, le signe évident
d’une sécularisation. Elle se manifeste aussi de manière chaque jour plus
flagrante dans notre société sécularisée. C’est-à-dire dans laquelle l’idée de
société religieuse, d’esprit religieux et de religiosité s’estompent
progressivement.Et c’est tout à fait normal, car 30 ans ont passé depuis la
chute du communisme. Notre population vieillit, l’Europe tout entière vieillit,
et nous rejoignons lentement mais sûrement le chemin de la sécularisation de
l’Europe occidentale. Tous ces jeunes qui crient « nous voulons des
hôpitaux, pas des églises » ont en partie raison. A quoi fais-je référence
ici ? Ils incarnent la première
génération étique dans l’histoire de la Roumanie. Et par génération étique, j’entends
élevée dans un esprit de travail, dans le culte de l’efficacité, du
professionnalisme. Une génération qui n’envisage pas l’intervention divine dans
la destinée de l’Homme, qui ne considère pas que ces pratiques, telles que les
pèlerinages, leur apportent une vie meilleure. Il ne faut pas oublier, et je pense qu’il est
important de le rappeler, surtout aux plus jeunes, que les pèlerinages prenant
la forme d’une longue file d’attente comme nous les connaissons aujourd’hui,
sont une pratique relativement récente, apparue dans les années 90. Ils existaient déjà, mais restaient très localisés et de petite envergure.
Ce n’est pas un hasard s’ils sont apparus après la chute du communisme. Les
gens ont eu besoin de remplacer le système qui s’était effondré par quelque
chose qui donnait un sens à leur existence. Et je pense que depuis, les
pèlerinages accomplissent cette mission avec succès, pour bon nombre de
citoyens roumains. »







Pour beaucoup de Roumains, les pèlerinages sont un
médicament spirituel, surtout en période de crise sanitaire. Quand
retrouverons-nous les pèlerinages d’avant ? Pour le chercheur Mirel Bănică,
une solution consiste à effectuer un pèlerinage intérieur. Une démarche bien
plus difficile, qui nécessite d’être discipliné et rigoureux. (Trad :
Charlotte Fromenteaud)

sursă foto: eesc.europa.eu
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