« Le Meilleur des mondes »
La société humaine ressemble de plus en plus à la dystopie de Huxley, qui avait prédit un monde de stabilité, de paix et de pseudo-liberté, une pseudo-harmonie complètement déspiritualisée. Les restrictions imposées pour limiter les effets de la pandémie de Covid-19 sont en train de façonner subtilement notre nature, d’une manière difficile à prédire au début de cette crise. A présent, cependant, ce que l’on qualifiait d’étrange au départ -confinement, mesures limitant la liberté de mouvement, fermeture des théâtres, des cinémas et des restaurants – est en train de devenir la norme. Et le télétravail, notre sujet du jour, appartient pleinement à cette catégorie.
Luiza Moldovan, 05.05.2021, 13:58
La société humaine ressemble de plus en plus à la dystopie de Huxley, qui avait prédit un monde de stabilité, de paix et de pseudo-liberté, une pseudo-harmonie complètement déspiritualisée. Les restrictions imposées pour limiter les effets de la pandémie de Covid-19 sont en train de façonner subtilement notre nature, d’une manière difficile à prédire au début de cette crise. A présent, cependant, ce que l’on qualifiait d’étrange au départ -confinement, mesures limitant la liberté de mouvement, fermeture des théâtres, des cinémas et des restaurants – est en train de devenir la norme. Et le télétravail, notre sujet du jour, appartient pleinement à cette catégorie.
Comment notre comportement au travail a-t-il changé durant la pandémie ? Pour nous répondre, le sociologue Vladimir Ionaș :« Avec la pandémie, tant le comportement de l’employeur, que celui de l’employé ont changé. Ça a été prouvé que le télétravail, dont on questionnait l’efficacité, au départ, n’a pas fait baisser la productivité, au contraire, il l’a fait augmenter. Les employeurs ont commencé à trouver des bénéfices à cette idée de laisser les salariés travailler depuis chez eux au maximum. Au-delà des différents bénéfices apportés par la réduction des frais de location des bureaux et d’autres dépenses afférentes, ils se sont rendu compte que la productivité des salariés augmente et qu’ils ont à gagner du fait de cette nouvelle manière de travailler. » Qui aurait pensé, au début de la pandémie, que travailler en pyjama ou participer à des visioconférences n’est pas synonyme de laisser-aller, mais d’une surproductivité avec de graves conséquences sur la santé psychique et physique des employés – le burn-out, l’épuisement ?
Quiconque a travaillé depuis chez soi sait que le volume du télétravail dépasse de loin celui du travail au bureau. Vladimir Ionaș :« Du côté du salarié, il apparaît une peur liée à la sécurité de l’emploi et un désir de prouver à l’employeur que l’on est capable de travailler aussi bien, sinon mieux, chez soi, à la maison. Et donc le salarié dépose souvent un effort considérable, il travaille davantage qu’au bureau, il essaye de finaliser ses projets plus vite, il essaye de tout boucler plus tôt. Il n’arrive plus à s’arrêter de travailler, il travaille même la nuit et voilà qu’apparaît ce phénomène d’épuisement, qui touche de plus en plus de métiers. Pas seulement les médecins qui, il est vrai, ont travaillé sans répit durant toute cette période, mais aussi les salariés d’autres domaines. En plus, à la maison on est avec la famille, avec les enfants qui, pour beaucoup, ont eux aussi fait les cours en ligne. Les parents doivent alors faire attention à eux aussi, pas seulement à leur propre travail. Tous ces facteurs se rassemble et c’est alors qu’apparaît le burn-out. »
C’est aussi en cette période que l’on commence à ressentir plus intensément les différentes faiblesses de notre parcours professionnel et que l’on se met à douter de nos capacités. Les salariés veulent prouver leur capacité à travailler depuis chez soi et même en dehors des horaires de bureau, seulement pour garder leur emploi. Cette réaction est tout à fait légitime, explique le sociologue Vladimir Ionaș :« En lien direct avec cette peur qui est apparue et que nous tous pouvons ressentir en ce moment quant à la sécurité de l’emploi et à la sécurité du lendemain, on retrouve ce désir, de quiconque fait du télétravail, de prouver que l’on peut travailler aussi bien depuis chez soi que depuis le bureau. Avant la pandémie et le début en masse du télétravail, beaucoup de salariés disaient vouloir travailler à la maison, prétendant qu’ils pouvaient le faire aussi bien que dans l’entreprise. Alors, au moins au début, ils ont voulu le prouver ! Malheureusement, cette situation s’est prolongée et avec elle, l’effort des salariés, bien supérieur à ce qu’ils fournissaient avant, en travaillant sur le site de l’entreprise. Toutefois, les enquêtes montrent des pourcentages très importants de la population active, autour de 60 à 65% des salariés, qui souhaitent continuer à faire du télétravail à la fin de la pandémie. Malgré le risque d’épuisement, les gens préfèrent travailler depuis chez eux car, au-delà de tous les inconvénients, il y a aussi beaucoup d’aspects positifs à cela, comme la possibilité de passer plus de temps avec sa famille, ses enfants, ses proches. Et cela compte pour beaucoup. »
Du côté des jeunes, on ne parle pas encore de télétravail, mais de télé-école. Si faire des cours à distance paraissait absurde, jusqu’à il y a peu, là aussi la norme a changé. Avec des implications importantes sur le développement des capacités sociales des jeunes, prévient Vladimir Ionaș :« Cela affecte surtout les jeunes qui commençaient une nouvelle étape de leur vie. Je pense notamment aux étudiants, qui attendaient à démarrer une nouvelle vie, à quitter la maison des parents, à vivre dans un logement étudiant, à changer de ville. Or, cela n’a pas eu lieu, car toutes les facultés ont transféré leurs cours en ligne. En plus, ces cours demandent une attention et une concentration supplémentaires. »
On revient alors sur notre question de départ : vivrions-nous déjà dans « le meilleur des mondes » ou serions-nous seulement en route vers cette destination ? (Trad. Elena Diaconu)