Le Delta Vacaresti et ses habitants
Vers le milieu des années 1980, le régime communiste de Bucarest a abattu un monument emblématique de la capitale roumaine: le monastère de Văcăreşti, érigé à la fin de la première moitié du 18e siècle. Un lac artificiel aurait dû y faire son apparition.
Christine Leșcu, 20.11.2013, 14:29
Vers le milieu des années 1980, le régime communiste de Bucarest a abattu un monument emblématique de la capitale roumaine: le monastère de Văcăreşti, érigé à la fin de la première moitié du 18e siècle. Un lac artificiel aurait dû y faire son apparition.
Le projet et les travaux qui avaient été démarrés ont été stoppés par la chute du régime, en 1989 ; le terrain de 190 hectares s’est transformé depuis en une zone humide d’une grande valeur scientifique, un véritable écosystème avec une faune et une flore deltaïques. Plus de 90 espèces d’oiseaux (éperviers, faisans, canards sauvages — dont nombreux protégés par des conventions internationales), des mammifères, des poissons, des amphibiens, y ont trouvé abri.
Des témoins affirment avoir vu mêmes des loutres, ce qui confirmerait une abondance de poissons. L’association non gouvernementale « Salvaţi Dunărea şi Delta »/Sauvez le Danube et le Delta » est à l’origine d’un projet de transformation du marais de Văcăreşti en un parc naturel urbain. Seulement, en plus des difficultés bureaucratiques faciles à prévoir dans le cas d’un tel projet, la zone en question est aussi marquée par des problèmes sociaux divers.
Dan Bărbulescu, directeur exécutif de l’association « Salvaţi Dunărea şi Delta » en mentionne une partie. «Il y a des braconniers dans cette zone, ce qui impose, à notre avis, une implication maximum des autorités. Nous avons une très bonne relation avec le ministère de l’Environnement où il existe un groupe de travail qui examine ce projet légalement simple à réaliser, mais bien compliqué, en pratique. Même en bénéficiant du soutien du ministère, nous nous heurtons souvent aux mentalités de certains fonctionnaires des mairies des arrondissements. Et puis, il faut aussi considérer les personnages ayant des intérêts immobiliers qui souhaitent transformer cette zone en un quartier d’immeubles à plusieurs étages avec un grand centre commercial au milieu. »
Terrain sans propriétaire aux yeux des plus nombreux, le marais de Văcăreşti offre abri et moyens de vivre à des familles sans logement. Certains vivent de la pêche, d’autres du ramassage des ordures qui y abondent. Les plus nombreux attendent les dons faits par des fondations caritatives. C’est aussi le cas d’Aurelia qui habite dans des baraques improvisées. Mais elle n’est pas seule. « Nous sommes une famille — moi, mon mari, nos enfants et ma belle-mère, à côté il y a le frère de mon mari et puis 5 ou 6 familles dans cette même cour. Un peu plus loin vivent trois autres familles qui ont ensemble sept enfants. Dans une autre baraque, il y a une famille avec six enfants. Près du lac, vous en trouverez quatre autres avec 12 enfants au total. Notre situation est très difficile. Pour les enfants surtout, aller à l’école est un problème, parce qu’ici ils n’ont pas d’électricité pour faire leurs devoirs. On n’a pas de chauffage non plus. »
Pourtant, les deux fils aînés et deux filles d’Aurelia suivent les cours assez régulièrement. L’absence d’un logement correct a longtemps empêché la troisième fille, Alina, d’aller à l’école ; aujourd’hui, elle a 12 ans et n’est qu’en CE2. A la question « pourquoi n’est-elle qu’en CE2 à l’âge qu’elle a ? », Alina répond : « C’est parce que maman m’a envoyée tard à l’école. Moi, j’aurais aimé y aller plus tôt et apprendre beaucoup de choses. Et je voudrais être une bonne élève à l’avenir. »
Cette famille se retrouve dans cette situation depuis pas mal d’années, raconte Aurelia : «On habite dans des baraques depuis 15 ans. Pendant 13 ans nous avons habité dans une baraque sur un terrain qui a été mis en vente. C’est mon frère qui m’a fait venir ici. Il y habite lui aussi. Je ne connais pas le propriétaire de ce terrain. On ramasse des matériaux recyclables, emballages en plastique, papier, boîtes de conserve, fils de cuivre émaillé. On ne sait pas pêcher. On cherchera à se débrouiller comme on l’a fait jusqu’ici jusqu’à ce qu’on trouve un job ».
Le Samusocial se charge depuis quelques années de l’amélioration des conditions de vie et de la situation professionnelle de ces personnes. Ce sont eux qui les ont aidées à obtenir des papiers d’identité, des fournitures scolaires, des vêtements et des chaussures et qui essaient de leur trouver un emploi. Ce qui n’est pas facile du tout. Et ce pour plus d’une raison, explique Monica Tautul. « Dans la plupart des cas, on leur trouve des jobs saisonniers, au noir. Il est évident que ces gens-là vont se retrouver dans peu de temps dans la situation précédente et qu’ils feront à nouveu appel à nous. En plus, en tant qu’association, on se propose de leur trouver une habitation. Autrement, un SDF, bien qu’il soit employé, ne peut pas remplir ses tâches, vu qu’il ne peut pas se reposer comme il faut. L’hygiène est un autre aspect très important. Les SDF n’ont pas où se laver, ce qui peut amener l’employeur à renoncer à leurs services ».
Trouver des logements n’est pas facile. Voilà pourquoi l’idéal serait que les habitants du marais de Văcăreşti puissent continuer d’y vivre même après que la zone soit déclarée Parc naturel protégé. Les initiateurs du projet ne manquent pas d’idées en ce sens. Nous écoutons Dan Bărbulescu, directeur exécutif de l’Association « Sauvez le Danube et le Delta ». « Nous savons que plusieurs familles vivent ici et nous n’avons jamais pensé à les évacuer. Ces gens-là doivent continuer à y vivre, mais dans de meilleures conditions, bien évidemment. En plus, ce sont des cas sociaux qui nécessitent donc davantage d’attention de la part de l’Etat. Nous avons même des solutions à cela. Par exemple, les transformer en guides ou gardiens du parc. Nous sommes en contact permanent avec eux. Il y a deux jours, un habitant des parages nous a donné un coup de fil pour nous apprendre que des gens étaient venus abattre des arbres. Ca c’est un autre problème. Chaque automne, on coupe de arbres pour en faire du bois de chauffage. Il faudrait donc que la zone soit mieux surveillée. C’est ce en quoi les habitants des lieux pourraient se rendre utiles, en participant à la gestion du parc. »
Bien que muni de l’avis scientifique de l’Académie roumaine et appuyé formellement par le ministère de l’Environnement, le projet visant à transformer le marais de Vacaresti en un parc naturel protégé est encore loin de devenir réalité, puisqu’il lui faut surmonter des obstacles tels la bureaucratie ou les rétrocessions et obtenir le feu vert du Parlement…(trad. : Ileana Taroi, Mariana Tudose, Alexandra Pop)