La Roumanie #REZISTE
Depuis plusieurs semaines déjà, des dizaines de milliers de personnes occupent chaque dimanche Piaţa Victoriei (la Place de la Victoire) de Bucarest, juste en face du gouvernement, pour réclamer la démission du Cabinet Grindeanu. Moins d’un mois après de son investiture, celui-ci a pris des décisions qui ont provoqué les plus amples protestations de la Roumanie post communiste, note AFP. «Environ 50.000 personnes se sont munies de feuilles de papier rouges, jaunes ou bleues, qu’elles ont éclairées à l’aide de leurs portables, transformant la place en un tricolore humain géant, pour réclamer la démission du gouvernement qu’ils accusent de miner la lutte anticorruption», écrit France Presse, qui a d’ailleurs réalisé un reportage sur la Place de la Victoire, de Bucarest.
Corina Sabău, 22.02.2017, 15:07
Depuis plusieurs semaines déjà, des dizaines de milliers de personnes occupent chaque dimanche Piaţa Victoriei (la Place de la Victoire) de Bucarest, juste en face du gouvernement, pour réclamer la démission du Cabinet Grindeanu. Moins d’un mois après de son investiture, celui-ci a pris des décisions qui ont provoqué les plus amples protestations de la Roumanie post communiste, note AFP. «Environ 50.000 personnes se sont munies de feuilles de papier rouges, jaunes ou bleues, qu’elles ont éclairées à l’aide de leurs portables, transformant la place en un tricolore humain géant, pour réclamer la démission du gouvernement qu’ils accusent de miner la lutte anticorruption», écrit France Presse, qui a d’ailleurs réalisé un reportage sur la Place de la Victoire, de Bucarest.
Les protestations de Roumanie ont fait aussi écho au Parlement européen. D’ailleurs, de l’avis de plusieurs députés européens, la mobilisation et la solidarité exemplaires des Roumains sont un véritable message pro-européen. «La Roumanie mérite une classe politique, qui s’active contre la corruption» a lancé le premier vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans. Dans un message au Parlement de Strasbourg, celui-ci a appelé les leaders roumains à « ne pas faire marche-arrière dans la lutte contre la corruption; sinon, la Roumanie pourrait se voir bloquer les fonds structurels». A Bucarest, le politologue Cristian Parvulescu opine que le peuple roumain a atteint un niveau supérieur d’indignation: «Eclatée après la tragédie de Colectif et apaisée ensuite, l’indignation des Roumains s’est vite rallumée à cause des erreurs faites dernièrement par le cabinet Grindeanu et par la plupart des membres de la coalition PSD-ALDE, au pouvoir. On assiste à l’entrée en scène d’un nouvel acteur, dont les partis politiques doivent tenir compte. Car, on ne peut pas gouverner sereinement avec 600 milles protestataires dans la rue. Et puis, prétendre, de nos jours encore, que le Parlement peut faire tout ce que bon lui semble est très dangereux. Il est vrai que le Parlement est une institution importante, mais il n’est pas la seule institution de pouvoir dans une démocratie. Tant que le gouvernement roumain rejette la pluralité des opinions au sein de la société, les Roumains continueront à descendre dans la rue pour réclamer leurs droits.»
La romancière Nora Iuga a rejoint dès le début les protestataires rassemblés Place de la Victoire : «Dès le moment où le patron du PSD, Liviu Dragnea, a déclenché, par ses décisions, la situation politique actuelle, je me suis rendu compte que la Roumanie était au fond du gouffre. Or, dans ce contexte, il est absolument magnifique de voir comment nous, les Roumains, jeunes et moins jeunes, nous sommes parvenus à prouver, au monde entier, notre esprit de liberté, de justice et de civilisation. On ne pensait plus avoir de telles qualités. C’est un vrai bonheur de découvrir une société roumaine à laquelle je puisse faire confiance, une société civile dont on rêve depuis la chute du communisme. Une société que l’on la croyait morte, sous Ceausescu, mais qui, voilà, a su renaître! Les Roumains des quatre coins du pays forment déjà un noyau de plus en plus important de la société civile et tout cela est extraordinaire!»
De l’avis de l’écrivain Radu Vancu, à part quelques gains de causes palpables, tels l’abrogation du décret n° 13 et la démission du ministre de la Justice, Florin Iordache, la rue a enregistré aussi une autre victoire: elle a commencé à développer une culture de la protestation, issue aussi bien du nombre impressionnant de participants que des valeurs communes qu’ils ont su partager, quelle que soit leur couleur politique : « Dans la rue, on trouve des électeurs de gauche aux côtés d’autres de droite ou, tout simplement, de manifestants sans étiquette politique aucune, mais qui militent tous pour les même valeurs démocratiques. C’est pour la première fois depuis la chute du communisme que les mêmes principes font descendre dans la rue une foule qui, au-delà des failles idéologiques, fonctionne dans la solidarité pour clamer ses droits. Les Roumains avaient perdu leur solidarité et du coup, ils l’ont retrouvée. Et puis, il y a un autre gain. Celui d’image de la Roumanie à l’étranger. Et je ne pense pas forcément aux nombreux articles parus dans la presse française, britannique, américaine, allemande ou italienne et qui font tous l’éloge des Roumains, mais surtout aux commentaires des lecteurs qui parlent de la Roumanie comme d’un véritable modèle de démocratie.»
Razvan Martin de l’Association Active Watch opine, pour sa part, que les amples protestations des dernières semaines inscrivent la lutte anti-corruption à l’agenda des préoccupations des Roumains. D’ailleurs, ceux-ci s’avèrent prêts à se mobiliser en cas de risque de régression, surtout après les progrès notables faits dans ce domaine, ces dernières années: «Personnellement, je pense que la victoire la plus importante est de voir la société réagir. De voir les citoyens découvrir leur force, de les voir s’organiser pour dire «non» à l’unisson. Je crois que tous ces mouvements de protestation ont commencé vers 2011, 2012. Pourtant, à l’époque, ils n’ont pas eu la même force car les revendications n’avaient pas autant de visibilité. Mais, au fur et à mesure que le temps passe, on a fait travailler notre muscle civique et là, il est prêt à se contracter pour montrer sa force.»
Selon la critique littéraire Luminita Corneanu, parmi les principaux gains apportés à la société roumaine par les protestations se trouve le fait que la rue a su faire entendre sa voix, que le gouvernement n’a pas pu ignorer par la suite: «Plus importants que les succès enregistrés à court terme, c’est d’assister à une redécouverte de la Roumanie, une redécouverte de la confiance en nous-mêmes, faite aux mécanismes de la démocratie, au rapport entre les électeurs et les élus, entre les citoyens et les dirigeants. Les images des protestataires de Bucarest ont fait le tour du monde et nous ont redonné la fierté de nous voir servir d’exemple de démocratie aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne. Pour nous, c’est du jamais vu et donc c’est pour cela que je pense que le plus important pour notre société est d’être devenue consciente de sa force.»
Le comédien Tudor Aaron Istodor a été l’un des centaines de milliers de Roumains à être descendus dans la rue : «On assiste à la cristallisation d’une nouvelle voix, celle de la rue. Personnellement, je ne me sens pas manipulé, je ne suis ni pour la droite, ni pour la gauche, mais à chaque fois que je constate une injustice, un abus quelconque, je ressens le besoin de protester. Voilà, c’est pour cela que j’ai rejoint la foule des manifestants. C’est important qu’on ait été si nombreux à remarquer les mêmes injustices. Et du coup, certains aspects ont été réglés, comme quoi notre démarche a été couronnée de succès.»