La revitalisation du Delta du Danube
L’Association Ivan Patzaichin – Mila 23”, par exemple, envisage de promouvoir le Delta et de le mettre en valeur au profit des habitants. Explications avec Tiberiu Cazacioc, représentant de l’association: « Si quelqu’un y ouvre une pension touristique, il serait bon qu’il utilise la main d’œuvre locale et qu’il la fasse construire selon une conception architecturale qui mette à profit les matières premières traditionnelles de l’endroit. En outre, il faudrait que les accessoires de l’intérieur, tels les serviettes de table ou les corbeilles à pain, soient eux aussi réalisés par les locaux. Enfin, il faudrait aussi prévoir une gastronomie traditionnelle, à base de produits du terroir. C’est un modèle idéal, que nous construisons petit à petit. Un modèle à contre-courant, puisque, pour la majorité des gens, le développement est synonyme d’expansion, de grands hôtels, de beaucoup d’infrastructure et d’asphalte».
Christine Leșcu, 29.10.2014, 14:49
Ce genre de tourisme signifie une saison très courte et très mouvementée dans le Delta. Or, le modèle d’entrepreneuriat social que mettent en avant des associations comme celle mentionnée tout à l’heure encourage le touriste à rester le plus longtemps possible dans le Delta et lui fait découvrir la richesse culturelle de la zone. L’Association « Ivan Patzaichin- Mila 23 » a réintroduit la promenade en barque, pour que le visiteur prenne le temps d’admirer la beauté du paysage. Tiberiu Cazacioc. « Nous avons voulu faire renaître la barque traditionnelle, tout en lui donnant un visage nouveau. Il s’agit d’une barque en bois de pin et de mélèze, actionnée par des rames. Nous l’avons appelée canotcă, car c’est une sorte d’hybride entre la barque (lotca, en roumain) et le canoë. Une invention qui correspond aux temps présents et qui attire aussi un certain public. Grâce à la canotca, on pourra parcourir lentement les distances. Nous avons, à maintes reprises, tenté de réintroduire dans le circuit la barque en bois. C’est aussi un retour aux traditions, à un certain rythme de vie, moins alerte. Si l’on a en vue un séjour plus long dans le Delta, on peut aussi avoir recours aux services d’un guide ».
Ce nouveau modèle de vacances est valable pour les habitants de la contrée aussi. Tiberiu Cazacioc. « Il y a encore un certain scepticisme, parce que notre modèle de vie actuel repose sur le développement excessif. Seulement voilà, le touriste ne veut pas d’asphalte. Il veut transpirer, vivre au sein de la nature, car il passe tout le reste de son temps à travailler au bureau. Il bouge donc très peu. Cela fait plusieurs années que nous travaillons dans le Delta, mais éduquer les gens dans un certain esprit cela prend du temps. Il n’est pas normal que les restaurants du Delta se ravitaillent dans la ville de Tulcea, qu’ils emploient des citadins à la place des locaux, lesquels se voient obligés de partir ailleurs à la recherche d’un gagne-pain. Autrement dit, on pourrait mettre sur pied une économie locale et faire en sorte que l’argent reste sur place ».
Une autre association « Letea à l’UNESCO » se propose d’introduire sur la liste du patrimoine mondial le métier traditionnel de chaumier, celui des maîtres artisans qui construisent des toitures en jonc. Détails avec Loredana Pană, coordinatrice du projet «Le jonc c’est du béton ». « Les gens aspirent à la modernité, ils souhaitent avoir des maisons comme celles qu’ils voient à la télé, avec des fenêtres en PVC, ils veulent bénéficier de conditions modernes. C’est pourquoi nous avons démarré notre campagne avec eux. Nous leur avons appris que c’était mieux de ne pas changer leurs toitures en chaume, en remplaçant le jonc par la tôle, et de conserver l’architecture traditionnelle de leurs maisons, car les touristes aimaient ça. Beaucoup de touristes arrivent à Letea chaque été, mais c’est uniquement pour une halte de quelques heures. Ils viennent voir le village, ensuite la forêt et puis ils s’en vont. Letea ne compte actuellement aucune pension et les ressources financières des habitants sont très modestes. Heureusement pour nous, plusieurs familles de Letea ont déjà compris l’importance des métiers artisanaux et de l’aspect traditionnel du village. Ils ont rénové et décoré leurs maisons dans ce style et ils les soignent. C’est pourquoi les touristes s’arrêtent plus souvent devant leur portail, ils prennent des photos et parfois ils entrent pour y prendre un repas. Peu à peu, les gens comprennent que c’est là, l’avenir, même s’il a ses racines dans le passé ».
Un passé demeuré inchangé, à Letea, notamment pour ce qui est de l’architecture — estime Loredana Pană. «Ce genre de toiture, on le retrouve partout dans le Delta, pourtant nous sommes allés à Letea, car c’est le village le plus isolé de la zone et c’est peut-être pourquoi il s’est très bien conservé. Il est comme un musée vivant, où de nombreuses maisons ont gardé leur architecture traditionnelle et le village offre un beau décor — à la différence d’autres villages, comme Crişan, par exemple, ou la ville de Sulina, où les maisons sont dégradés et ne respectent pas les règles d’urbanisme. Or, celles-ci interdisent l’utilisation des barres métalliques pour les constructions, de bâtir des maisons en style moderne ou d’utiliser d’autres couleurs que celles spécifiques de la zone, à savoir le vert, le bleu, le gris et le blanc. Ces règles, qui recommandent, entre autres, les toitures en jonc, ne sont pas respectées, hélas».
Si elles ne sont pas respectées, c’est aussi en raison du fait que la façon de faire s’est perdue. A Letea, il y un seul artisan qui sait fabriquer une toiture en jonc. C’est pourquoi il a été coopté dans une association, pour organiser des cours et enseigner aux autres ce vieux métier. Ils seront ainsi de plus en plus nombreux à apprendre que le jonc non seulement c’est « du béton », mais qu’il offre également des bénéfices économiques.
(Aut. : Christine Leşcu ; Trad. : Mariana Tudose, Dominique)