La pollution de l’air et la santé des Roumains
La ville de Bucarest est la capitale européenne la plus embouteillée et une des 5 capitales les plus embouteillées du monde. La pollution de l’air tue plus de 23.000 Roumains annuellement, provoquant des maladies telles que le cancer du poumon, la cardiopathie ischémique, ainsi que l’accident vasculaire cérébral, les infections des voies respiratoires inférieures et la maladie pulmonaire obstructive chronique. Voilà une partie des conclusions – brutales et dramatiques – des récentes études réalisées par l’ONG « Observatoire roumain de la santé » sur la lutte contre la pollution dans les 10 plus grandes villes de Roumanie. Une lutte qui, à en juger les résultats, n’est pas très efficace.
Christine Leșcu, 10.07.2019, 13:00
La ville de Bucarest est la capitale européenne la plus embouteillée et une des 5 capitales les plus embouteillées du monde. La pollution de l’air tue plus de 23.000 Roumains annuellement, provoquant des maladies telles que le cancer du poumon, la cardiopathie ischémique, ainsi que l’accident vasculaire cérébral, les infections des voies respiratoires inférieures et la maladie pulmonaire obstructive chronique. Voilà une partie des conclusions – brutales et dramatiques – des récentes études réalisées par l’ONG « Observatoire roumain de la santé » sur la lutte contre la pollution dans les 10 plus grandes villes de Roumanie. Une lutte qui, à en juger les résultats, n’est pas très efficace.
L’Organisation mondiale de la santé confirme ces données, tout en précisant que le trafic embouteillé de ces villes est devenu un grave problème de santé publique à cause de la pollution de l’air par des particules en suspension, les fameuses PM10 et PM2,5 émises par les moteurs diesel. Et, en effet, en 2017, la Roumanie a importé près de 520.000 voitures d’occasion sans aucune restriction légale depuis que la taxe de pollution appliquée antérieurement a été déclarée illégale par la Cour Européenne de Justice. Cette taxe n’a pas été remplacée par une autre mesure visant à réduire l’importation de voitures d’occasion trop polluantes.
Ştefan Voinea, représentant de l’Observatoire roumain de la santé explique : « En l’espace de deux ou trois ans, la Roumanie est devenue une sorte de cimetière des vieilles voitures d’Europe, car des pays comme l’Allemagne et la France essaient de se débarrasser des voitures polluantes et en achètent des nouvelles. Et les vieilles voitures arrivent en Roumanie, parce que les gens les achètent à des prix très accessibles et il n’y a aucune stratégie pour bloquer ces importations. Un tiers des cancers du poumon sont provoqués directement par la pollution diesel. Le problème, c’est que dans tous les cas de maladie, la pollution est considérée comme un facteur contribuant au déclenchement de la maladie et non pas responsable de cette maladie ou de la mort qui s’ensuit. Pourtant, il y a des méthodologies qui permettent de prouver clairement l’impact de la pollution sur la santé et le nombre d’années de vie qu’elle nous ravit. Le Centre international de recherche sur le cancer créé par l’OMS a classé les particules diesel parmi les éléments cancérigènes du groupe 1, soit les plus dangereux. »
A Bucarest, la toxicité de l’air a mis en alerte ses habitants. 4.600 personnes ont récemment signé une pétition, devenue par la suite une demande d’ouverture d’une enquête déposée au tribunal le 9 mai dernier. La pétition « Le droit à l’air » évoque le droit constitutionnel des gens de respirer de l’air pur et la législation européenne en vertu de laquelle d’ailleurs la Commission européenne a démarré une procédure d’infraction contre notre pays pour ne pas respecter les niveaux acceptés de pollution. L’avocat Marius Petroiu, initiateur de la pétition et de l’action en justice contre la municipalité de Bucarest nous offre des détails, précisant que les responsables étaient depuis longtemps au courant de la déplorable qualité de l’air et que des rapports sur les niveaux de pollution de l’air leur avaient été envoyés par le Ministère de l’Environnement. De tels rapports ont également été envoyés, dès 2007, à la Commission européenne en vertu de l’acquis communautaire.
Marius Petroiu : « Ces rapports font état de la forte pollution de l’air dans plusieurs grandes villes roumaines. Une des substances cancérigènes les plus dangereuses est le dioxyde d’azote, responsable entre autres de l’effet de serre et de l’apparition du smog dans certaines villes. C’est pourquoi, la municipalité de Bucarest, en tant qu’autorité locale, aurait dû adopter un plan d’amélioration de la qualité de l’air, contenant des mesures efficaces, susceptibles de protéger notamment les catégories les plus vulnérables : les enfants et les personnes âgées. La municipalité adoptait un tel projet – appelé « Le Plan intégré pour la qualité de l’air » – à peine en juin 2018, bien que des rapports sur les niveaux alarmants de pollution aient été transmis à la Commission européenne dès 2007. Pendant 11 ans donc, les habitants de Bucarest ont respiré un air toxique. Quant à ce « Plan intégré », la municipalité affirme avoir mis en œuvre et appliqué toutes les mesures prévues. Elle prétend même que les niveaux de pollution ont baissé depuis. »
Pourtant, tout habitant de la ville peut l’infirmer. Les niveaux de pollution sont plus élevés, on le sent, on le constate. Le nombre de voitures a augmenté considérablement. Les mesures prises par les responsables n’ont eu aucun effet et le projet mis en œuvre en 2018 devrait être remplacé par un autre, plus efficace, exigé par les signataires de la pétition « Le droit à l’air ».
Marius Petroiu : « Ce projet aurait dû reposer sur une étude concernant la qualité de l’air. Le projet adopté en 2018 a pris en compte les conclusions d’une étude effectuée en 2013, qui ne reflétait pas le nombre actuel de véhicules circulant dans les rues de la capitale. En outre, les auteurs de cette étude de 2013, mentionnent ne pas avoir évalué la pollution due aux chantiers de construction et aux démolitions, qui sont des sources très importantes de pollution de l’air. Selon une estimation récente, un tiers de la pollution est engendré par les chantiers, les deux autres tiers provenant du trafic routier. »
Le fait que la dégradation de l’état de santé de la population va de pair avec les niveaux de pollution de l’air due au trafic routier est un fait connu par les responsables de la municipalité et il est mentionné dans les documents – affirme Marius Petroiu : « En 2013, le nombre de personnes touchées par des maladies des voies respiratoires était très élevé. En 2018, la Cour des Comptes publiait un rapport sur la gestion de la qualité de l’air dans les grandes villes roumaines, selon lequel, à Bucarest, la durée moyenne de vie d’une personne est plus courte de 22 mois par rapport à la durée moyenne sur l’ensemble du pays, en raison de la pollution. Suite à une demande que nous avons adressée, nous avons obtenu une information encore plus intéressante et plus dramatique : fin décembre 2018, le nombre de cas de cancer enregistrés à Bucarest aurait augmenté de 24% par rapport à 2013. On ne saurait dire si la pollution est l’unique cause de ces cancers, pourtant, la municipalité reconnaît, dans son propre projet d’amélioration de la qualité de l’air, que les polluants visés sont cancérigènes : l’azote, le benzène et les PM10. Or, tous ces polluants sont produits par le trafic routier et par les émissions des moteurs diesel. »
Les mesures doivent donc viser le trafic routier, notamment les moteurs diesel et elles doivent être appliquées le plus vite pour que les habitants de la capitale puissent enfin respirer un air qui ne nuise pas à leur santé. (Trad. : Dominique)