La migration de la ville à la campagne
Tous les matins, des autos et des bus prennent d’assaut les principales artères reliant la banlieue bucarestoise au centre-ville pour assurer le déplacement des ceux installés à la campagne mais travaillant dans la métropole. Le phénomène s’accentue d’une année à l’autre au fur et à mesure que le nombre de ceux choisissant à tourner le dos à la cité pour aller s’implanter dans des zones rurales augmente. Pourtant, mener leur vie en proche banlieue leur permet de se rendre chaque matin à Bucarest pour y travailler, en contribuant à un phénomène de migration qui s’accentue constamment depuis 1997, affirme le porte parole de l’Institut national de la Statistique, Vladimir Alexandrescu, qui dresse le bilan sur 2015:
Christine Leșcu, 19.10.2016, 14:37
Vladimir Alexandrescu: « L’année dernière seulement, quelque 78.000 personnes ont quitté leurs villages au profit des grandes villes, tandis que le nombre de ceux ayant abandonné la ville pour s’installer à la campagne a avoisiné les 107.000 personnes. Le phénomène a le vent en poupe depuis 2000 déjà. A l’époque, on recensait 47.000 personnes à préférer la ville à la campagne et 82.000 à quitter la ville au profit du milieu rural. Bien que depuis 2000 le nombre se soit multiplié, la tendance reste la même, avec une intensité constante tout au long des dernières années. Si avant 1989 les Roumains préféraient largement la ville à la campagne, après la révolution et surtout après 2000, on assiste à un phénomène contraire».
Il suffit de regarder le nombre d’autos qui roulent entre la banlieue et le centre-ville, tout comme l’aspect classe des logements dernièrement construits en proche banlieue pour imaginer un peu qui sont ceux qui préfèrent le calme de la campagne au vacarme urbain. N’empêche, les choses se compliquent au fur et à mesure que des détails supplémentaires s’y ajoutent.
Vladimir Alexandrescu: « Le phénomène a battu son plein dans les années 2008-2010, au moment de la crise économique. De ce fait, on constate un pic en 2010 quand on a enregistré un exode urbain de 133.000 personnes. Depuis 2000, le nombre annuel de ceux qui abandonnent la ville au profit de la campagne dépasse de 30 à 40 mille celui de ceux qui quittent le milieu rural pour venir s’implanter en milieu urbain. L’écart maximal fut en 2010, quand on a enregistré 133.000 personnes ayant migré de la ville vers la campagne et 96.000 personnes ayant préféré la campagne à la ville ».
Parmi ceux qui s’installent à la campagne, la plupart ont des enfants en bas âge, ce qui fait que la migration s’accentue parmi les personnes de 20 à 30 ans, selon le porte-parole de l’Institut national de la Statistique, Vladimir Alexandrescu. A cette catégorie vient s’ajouter une autre, tout aussi nombreuse, à savoir celle des seniors. «Une fois à la retraite, bon nombre d’entre eux préfèrent regagner leurs anciennes propriétés en milieu rural, en raison surtout des coûts plus bas qu’en ville», explique Vladimir Alexandrescu. Le fait que l’air soit plus pur à la campagne et que les maisonnettes aient leurs petits jardins potagers fait souvent pencher la balance du côté de la campagne.
C’est ce qui a poussé Andra Matzal, journaliste et traductrice, à quitter Bucarest pour s’installer en proche banlieue.: «Ce choix, je l’ai fait au bout de pas mal d’années passées sur Bucarest, une ville dont j’avais commencé à me lasser. Surtout que je rêvais de réapprendre des choses que la vie dans une métropole efface souvent. Par exemple, me nourrir de mes propres cultures ou faire toute sorte d’activités physiques aux bénéfices plus importants que ceux offerts par des exercices en salle de gym. Payer un loyer mensuel, que ce soit dans un quartier au cœur de la ville ou en banlieue, ce n’est pas facile. Car la ville est chère sous tous les aspects, que l’on parle des transports publics ou des sorties en ville. Rien qu’un café nous fait débourser pas mal d’argent. Or, depuis que j’ai constaté pouvoir avoir un café pour 3 lei au lieu de 8, je ne suis plus disposée à le payer davantage. Et cela est normal, vu que le prix réel est sûrement en dessous de celui affiché ».
Pourtant, Andra Matzal ne mène pas une véritable existence de fermière, puisque son métier l’oblige à revenir souvent sur Bucarest d’où elle rentre à la campagne pour retrouver son équilibre.
Andra Matzal: «J’ai pas mal changé depuis que j’ai quitté Bucarest, il y a quatre ans déjà. La campagne m’a appris des tas de choses pratiques depuis les petits travaux de la terre jusqu’à la préparation de différents repas à base de légumes cultivés dans mon jardin. J’ai une relation plus directe avec la nature. Par ailleurs, je suis devenue plus sélective dans mes activités sociales. En tant que journaliste, on souhaite se trouver toujours au cœur des événements. C’est un métier qui m’a permis de connaître toute sorte de personnes que je n’aurais jamais eu la chance de rencontrer. Normalement, on souhaite s’entourer de personnes qui nous ressemblent. Or, en quittant la ville pour s’installer dans la campagne, on rencontre des gens totalement différents, avec des histoires différentes et on a pas mal de choses à apprendre. Et puis, je pense que je suis devenue plus organisée, plus pragmatique et peut-être, plus courageuse».
Parmi les personnes dont Andra a fait dernièrement la connaissance, il y a pas mal de Bucarestois qui ont abandonné la ville au profit de la campagne. Parmi eux, certains font l’expérience d’une double existence, en continuant à se déplacer en milieu urbain pour y travailler, tandis que d’autres ont choisi de tourner complètement le dos à la ville et de mener une vie au cœur de la nature. Mais que l’on parle d’une catégorie ou d’une autre, le déménagement implique tout un processus d’adaptation qui aura certainement des conséquences au niveau de l’ensemble de la société. (Trad. Ioana Stancescu)