La jeunesse roumaine en période électorale
Une grande majorité des jeunes considère que le pays s’oriente dans une mauvaise direction et n’a pas confiance en la démocratie roumaine.
Christine Leșcu, 17.04.2024, 11:42
23 % des jeunes prêts à voter pour un parti autoritaire
Dans le contexte électoral de cette année 2024 qui va voir se dérouler les élections locales, européennes, parlementaires et présidentielles, le groupe civique Tinerii voteaza, en français Les jeunes votent, a commandité un sondage afin d’appréhender l’état d’esprit des votants âgés de 18 à 35 ans. Menée entre le 9 et le 14 mars sur un échantillon représentatif de 800 personnes, cette étude n’est pas porteuse de très bonnes nouvelles : une grande majorité des jeunes considère que le pays s’oriente dans une mauvaise direction et n’a pas confiance en la démocratie roumaine. De plus, 23% d’entre eux pourrait voter pour un parti autoritaire. Razvan Petri, le coordonnateur du groupe civique « Les jeunes votent », nous offre son analyse sur l’attitude de sa génération face à la politique.
« Le plus important serait de tenir compte du fait que les jeunes trouvent que le pays va dans une mauvaise direction. 68 % l’ont déclaré, une grande majorité donc. Pire : 79 % considère qu’on ne peut pas avoir confiance dans la démocratie de notre pays. Il y a donc un grand problème de confiance envers les fondements démocratiques de la Roumanie, et surtout on constate une confiance très faible envers les institutions publiques et les partis politiques, c’est-à-dire envers le Parlement, le gouvernement et les partis. Nous n’avons pas confiance dans les instruments avec lesquels nous devrions travailler afin de prendre de bonnes décisions dans le futur. C’est très dangereux, parce que le risque de ce manque de confiance envers les instruments démocratiques est que nous nous orientions vers d’autres instruments qui ne relèvent pas du jeu démocratique. »
Une perte de confiance dans les institutions démocratiques
Cette préférence exprimée envers des instruments qui sortent du cadre démocratique peut s’expliquer par une déception face au fonctionnement des institutions démocratiques en Roumanie. En d’autres termes, comme les pratiques démocratiques sont déficientes en Roumanie, les jeunes en concluent que la démocratie en elle-même ne fonctionne pas. Par ailleurs, l’Union européenne bénéficie de plus de crédit aux yeux des jeunes que les institutions nationales, et ce malgré leur méconnaissance abyssale du fonctionnement complexe des institutions européennes. Pour Razvan Petri tout découle de l’éducation.
« Malheureusement, les jeunes connaissent mal le fonctionnement des institutions et cette méconnaissance contribue à leur confusion quant au fonctionnement des mécanismes politiques en Roumanie. Malheureusement, il n’y a d’éducation civique qu’à l’école primaire et au collège et ça se ressent, précisément au moment où ils s’approchent de l’âge de voter, les jeunes ne bénéficient d’aucune préparation pour cet acte important. Quant au niveau européen, la confusion est encore plus grande parce que l’Union européenne a un fonctionnement très complexe, compliqué et confus. De plus, il y a des hommes politiques en Roumanie qui préfèrent entretenir un flou artistique en ce qui concerne le fonctionnement des institutions européennes afin de pouvoir accuser Bruxelles si les choses tournent mal ou s’ils ne peuvent pas honorer leurs promesses. »
Des fractures socio-économiques trop profondes
La déception, voire le désespoir généré par le mauvais fonctionnement des institutions roumaines qui génère de profonds problèmes socio-économiques explique également l’inclinaison de certains jeunes vers un pouvoir autoritaire, selon Razvan Petri :
« Les jeunes ne veulent plus des partis roumains, ils ne veulent plus ce qui existe actuellement et c’est de là que naît cette préférence pour un pouvoir autoritaire qui résoudrait tout, car les jeunes sont aussi impatients. Ils désirent un changement plus rapide que les personnes expérimentées qui savent que les choses évoluent lentement, et donc ils appellent de leurs vœux une main de fer qui pourrait résoudre les problèmes, qui dirait : « C’est fini toute cette racaille politicarde qui vole notre temps, on va s’occuper de tout ça ! » Et donc face à ce désir, on trouve les partis antisystèmes, qui affirment que s’ils arrivent au pouvoir, ils vont résoudre tous les problèmes de la Roumanie. Beaucoup des jeunes qui votent pour des partis d’extrême droite ne le font pas en raison de leur message extrémiste ou anti-démocratique. Ils votent pour ces partis pace qu’ils leur promettent un changement. Et ils leur promettent de clouer au pilori les politiciens qui ont échoué à offrir un autre futur aux jeunes. »
Cet échec se dessine en creux dans l’émigration des jeunes qui décident de quitter le pays à cause de difficultés socio-économiques endémiques. Razvan Petri :
« Quand les jeunes sont interrogés sur leurs problèmes, 2 des 4 premières réponses relèvent de questions économiques, à savoir le manque d’opportunités sur le marché du travail et la faible qualité de l’éducation. Les jeunes roumains sont parmi les plus pauvres d’Europe, les plus pauvres même si on se réfère aux statistiques Eurostat selon lesquelles environ 30 % des jeunes roumains sont confrontés à un risque de pauvreté et d’exclusion sociale, soit le taux le plus élevé de l’Union. Donc un jeune sur trois court le risque de la pauvreté et de l’exclusion sociale. Or ce sont des choses qui sont visibles, les jeunes les voient. Les problèmes n’ont pas été réglés à temps et ils se sont aggravés. La Roumanie est devenue un pays profondément inégalitaire, le 4e pays de l’Union le plus inégalitaire. Beaucoup de jeunes songent à émigrer, définitivement ou temporairement. C’est une tendance qui existe depuis longtemps parce que la Roumanie n’est toujours pas vue comme un pays qui offre des opportunités. Et même s’il y a eu des opportunités, ça n’a pas été suffisant pour qu’on puisse dire que les jeunes peuvent trouver ici un niveau de vie équivalent à celui des pays occidentaux. »
Alors que des ONG tirent chaque année la sonnette d’alarme sur le recul des pratiques démocratiques en Roumanie et que les indices macroéconomiques cachent mal les fractures béantes de la société roumaine, une partie des jeunes générations cherchent ailleurs un peu d’espoir, certains en regardant vers l’étranger, d’autres en adhérant à une utopie autoritaire et xénophobe. (Trad : Clémence Lheureux)