La condition du comédien en Roumanie
La multitude de festivals présente au public aussi bien des représentations données par les théâtres d’Etat et indépendants, que des comédiens célèbres ou en début de carrière. Ces jours-ci, en plein Festival national de théâtre, nombre de jeunes comédiens ou étudiants de l’art théâtral assistent en spectateurs aux différents spectacles. Nous nous sommes demandé quels étaient leurs projets d’avenir et surtout quelle est, en cette année 2015, la condition du comédien roumain.
Luana Pleşea, 28.10.2015, 13:30
La multitude de festivals présente au public aussi bien des représentations données par les théâtres d’Etat et indépendants, que des comédiens célèbres ou en début de carrière. Ces jours-ci, en plein Festival national de théâtre, nombre de jeunes comédiens ou étudiants de l’art théâtral assistent en spectateurs aux différents spectacles. Nous nous sommes demandé quels étaient leurs projets d’avenir et surtout quelle est, en cette année 2015, la condition du comédien roumain.
Selon Cristina Modreanu, critique de théâtre, une cinquantaine d’années sépare le théâtre roumain de celui occidental : Nous sommes, je l’espère bien, sur la bonne voie. Il se trouve pourtant que le système est bloqué actuellement, du moins pour ce qui est du théâtre. Ce blocage, qui dure depuis plusieurs années déjà, se traduit par l’impossibilité des jeunes comédiens fraîchement sortis de la faculté – et il y en a quelque 150 chaque année à travers le pays – de trouver un emploi dans les théâtres. Autrement dit, on se retrouve devant un grand nombre de freelances que le système n’encourage guère, que ce soit d’un point de vue législatif ou sur le plan organisationnel et logistique. Difficile donc de se débrouiller tout seul, vu les ressources insuffisantes de cet univers parallèle qui s’est créé entre temps. Je pense que le principal problème relève du manque de coordination entre le système éducationnel, qui forme les professionnels du théâtre et les institutions du spectacle censées absorber cette main d’œuvre. Il faudrait que les deux entités travaillent de concert pour éviter le gaspillage d’énergie et pour créer de nouvelles structures qui puissent donner une chance à ces jeunes, car certains d’entre eux n’arrivent jamais à exercer la profession pour laquelle ils se sont préparés.
Nombre de diplômés de la faculté d’art théâtral et cinématographique prennent, bon gré mal gré, la voie difficile du théâtre indépendant. Raluca Aprodu est un des jeunes qui connaissent déjà fort bien les avantages et les désavantages du statut d’artiste indépendant. Elle joue dans des spectacles montés par des théâtres indépendants, mais se produit aussi dans les théâtres d’Etat. Enfin, ce sont surtout les rôles de cinéma qui lui ont valu d’être connue du grand public.
Nous lui avons demandé si elle avait jamais souhaité travailler dans une institution publique. Je dois avouer que j’hésite. D’un côté, j’ai peur de me faire embaucher, et ce probablement à cause de certains clichés que j’ai entendus ou que je m’imagine. En même temps, j’aimerais également faire des films, avoir la liberté de partir et de pouvoir faire du théâtre indépendant. Je sais très clairement que certains théâtres ne sont pas d’accord avec cette pratique et que les comédiens réussissent difficilement à obtenir l’accord de la direction pour suivre en parallèle d’autres projets.Je sais qu’en tant que salarié d’un théâtre d’Etat, on a davantage de chances de travailler avec des metteurs en scène importants. On organise aussi des castings pour les collaborateurs, mais ceux-ci sont peu nombreux et visent notamment les petits rôles. Je connais aussi des gens qui se sont fait embaucher dans des théâtres et qui, en trois ans, ont réussi à travailler avec tous les grands metteurs en scène de chez nous. Pour le moment, je suis satisfaite de ma carrière, mais j’espère prendre la bonne décision au cas où je serais obligée de faire ce choix. J’oscille. Je sais que l’endroit est très important, mais en même temps je ne me ferais pas embaucher sans connaître l’équipe. J’ai peur, mais finalement les craintes il faut également les affronter !
Même si les ressources sont beaucoup plus réduites dans l’espace indépendant, les jeunes artistes qui s’y impliquent sont beaucoup plus dynamiques et orientés vers l’avenir, affirme Cristina Modreanu, mais ils se voient confrontés à une série de situations qu’ils n’ont pas apprises à l’école : faire une demande de financement, coordonner les projets, faire des décomptes.
Lucian Vărşăndan, manager du Théâtre allemand d’Etat de Timisoara, une des institutions de Roumanie les plus performantes et les plus ouvertes à l’innovation, trouve que les comédiens venus du secteur indépendant sont plus enclins à la compétition et plus prêts à lutter pour ce qu’ils souhaitent faire. Voilà pourquoi il est l’adepte de l’idée des contrats à durée déterminée, dans un système dominé par les CDI. A mon avis, un contrat à durée déterminée est le seul susceptible de mettre en équilibre la rigueur du système concurrentiel d’une part et la possibilité d’intégrer une troupe de l’autre. Je ne suis pas adepte de l’idée que les comédiens changent de théâtre chaque soir, suivant un système de collaboration souvent chaotique qui nuit à la personnalité artistique. Mais j’encourage la concurrence, même au sein des théâtres publics, justement par le biais des contrats à durée déterminée. Cela correspond aussi à l’idée de stratégie du répertoire, laquelle peut changer d’une saison théâtrale à l’autre et d’un mandat managérial à l’autre , a conclu Lucian Vărşăndan, manager du Théâtre allemand d’Etat de Timisoara.