La caricature politique au temps d’Internet
La présence des caricatures avait une tradition dans la presse roumaine, mais il semble qu’aujourd’hui, l’intérêt du public, mais aussi celui des artistes plasticiens pour ce genre de commentaire politique ne soit pas très grand. Sur ces entrefaites, comme pour contredire ces remarques, et pour prouver — une fois de plus — les apanages d’Internet et de la réalité virtuelle, la publication « Iepurele mizantrop » (Le lapin misanthrope) fait son apparition. Petit animal virtuel, blanc, et au visage blasé, le lapin commente surtout les événements externes sur Facebook, mais aussi sur sa page mizantrop.info. Ses parents sont Mădălina et Adrian Răileanu qui réalisent en tandem tant les dessins que les remarques inspirées du lapin.
Christine Leșcu, 16.04.2014, 13:57
Adrian Răileanu nous raconte sa biographie. «Il est né voici trois ans, sur un blog, et entre temps, il a même été individualisé par un visage. Il a été, d’emblée, une sorte de bloc-notes pour nous. Nous notions, avec son aide, les événements de la semaine pour pouvoir les commenter le samedi, quand nous sortons en ville avec les copains. C’est un animal né en ligne, élevé sur Facebook et fait de pixels. J’ai toujours été fasciné par le matou de la pièce de théâtre « Le Maître et Marguerite ». Un gros matou tout noir, qui marchait sur ses pattes-arrière et ironisait tout le monde autour de lui. Pour ne pas reprendre strictement la même idée, nous avons créé un gros lapin qui se tient sur ses pattes-arrière et ironise tout le monde. »
Pourquoi misanthrope et pourquoi ironique ? « Parce que nous le sommes peut-être bien aussi », disent en même temps ses créateurs. A la question de savoir pourquoi le lapin misanthrope a choisi de naître et de s’exprimer surtout dans l’espace virtuel au lieu des publications imprimées, la réponse est claire et sans aucune ironie : « Parce que c’est l’environnement le plus actif et le plus alerte ». En ligne, le lapin misanthrope commente notamment les informations de politique étrangère, sans s’y limiter pour autant. Adrian Răileanu : « La politique étrangère c’était surtout la politique européenne, si on se rapporte au moment où « Le lapin misanthrope » a commencé à rencontrer un certain succès sur Facebook. C’était le moment de la crise de Grèce et ce qui s’y passait nous concernait et continue de nous concerner directement. Ce n’est pas que de la politique étrangère. Nous faisons partie d’une Union et tout ce qui se passe dans l’UE a un impact direct sur nous. Je pense que si nous nous rapportons à ce qui se passe en Europe comme à de la politique étrangère, nous sommes dans l’erreur ».
Peu à peu, le lapin misanthrope est devenu célèbre sur Internet, tellement célèbre qu’il a quitté son ambiance de prédilection pour paraître en format classique. En janvier dernier, les Editions Humanitas lançaient le livre « Le lapin misanthrope. Breaking the News. Petit atlas de réalités », et depuis 2013, ses commentaires sarcastiques sont également accueillis dans les pages de la publication « Decât o revistă »(Qu’une simple revue).
Le rédacteur Gabriel Dobre. « Nous essayons d’insérer le plus d’illustrations dans les pages de la revue. Quand le lapin est apparu sur Internet, leur idée nous a beaucoup plue, car bien que nous ayons des graphistes dans notre rédaction, la caricature accompagnée d’un commentaire social n’est pas fréquente chez nous et elle n’est pas toujours de très bonne qualité. Pour les générations plus jeunes, il m’est difficile de donner des exemples de caricatures qui proposent un commentaire frais et intéressant sur ce qui se passe autour de nous. Et je pense que, dans ce contexte aussi, on peut parler de l’unicité du lapin. »
Des caricatures politiques font quand même leur apparition de temps à autres — et je pense notamment à celles réalisées par Dan Perjovschi pour la Revue 22 et par Ion Barbu, qui paraissent dans différentes publications. Pourtant, les artistes ne semblent pas apprécier la caricature. Serait-ce aussi en raison du manque d’intérêt de la part du public ? Qu’en pense Gabriel Dobre ? «Il est trop facile d’accuser le public. Je ne pense pas que ce soit là l’explication. Ce doit être plutôt une façon d’éviter certains sujets qui apportent plus de difficultés que de satisfactions. Alors ils se réfugient dans un type d’art b.c.b.g., qui n’est porteur d’aucun message. Le commentaire politique par l’intermédiaire de la caricature devrait être beaucoup plus présent. »
Quelles qu’en soient les raisons, le lapin misanthrope est apprécié sur Facebook par plus de 8 mille personnes, généralement des diplômées universitaires de plus de 25 ans, parmi lesquelles il y a plus de femmes que d’hommes. En prenant en compte cet impact du lapin, Adrian Răileanu constate qu’il existe, quand même, un public avide d’actualité internationale et de commentaires pertinents. «Nous souhaitons rendre les gens plus curieux de ce qui se passe autour d’eux, au-delà de notre ruelle nationale, et nous avons découvert, avec étonnement, qu’il y a pas mal de personnes informées, un très grand nombre de personnes qui sont en contact avec l’univers. Les gens sont intéressés, ils veulent savoir, ils ont compris qu’ils vivent dans un village planétaire. Nous sommes surpris de constater que les personnes qui font des commentaires sont plus avisées que nous. Ce n’est pas là notre métier, nous ne sommes pas journalistes et nos professions concernent d’autres domaines. »
La caricature politique intéresse donc les Roumains et cet intérêt semble revigorer ce genre artistique un peu oublié. D’ailleurs, à cet égard aussi, Internet utilise ce qui avant semblait être l’apanage strict des publications sur papier. (Ligia Mihaiescu, Dominique)