Habitations informelles
Les spécialistes en urbanisme examinent, depuis plusieurs années, la situation des gens qui habitent ces maisons improvisées, construites sur des terrains abandonnés. Bogdan Suditu est un tel expert. : « C’est un phénomène qui prend de l’ampleur et qui n’est pas très connu au niveau national. Le ministère du Développement a réalisé deux études, mais les choses se sont arrêtées là. Les membres de ces communautés ne possèdent pas de titres de propriété ou de papiers d’identité. Ils ne sont donc qu’à moitié citoyens de ce pays, ce qui n’est pas normal. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas bénéficier légalement des services publics, ils ne peuvent pas se connecter légalement au réseau d’électricité ou s’inscrire à une auto école et ainsi de suite. Fréquenter les cours du primaire est difficile à cause du manque de pièces d’identité. En Roumanie, les habitats informels formés à l’extérieur des villes ou des villages comptent entre 3.000 et 6.000 personnes. Ces zones ne figurent pas sur les cartes des localités, ni dans les documents des municipalités. Ce sont des territoires qui n’appartiennent à personne ; ces endroits sont marqués sur les cartes par une hachure qui indique un pré, une zone touchée par des glissements de terrain, un endroit où les habitants de la ville ou du village en question jettent les déchets. »
Christine Leșcu, 18.04.2018, 13:21
Les spécialistes en urbanisme examinent, depuis plusieurs années, la situation des gens qui habitent ces maisons improvisées, construites sur des terrains abandonnés. Bogdan Suditu est un tel expert. : « C’est un phénomène qui prend de l’ampleur et qui n’est pas très connu au niveau national. Le ministère du Développement a réalisé deux études, mais les choses se sont arrêtées là. Les membres de ces communautés ne possèdent pas de titres de propriété ou de papiers d’identité. Ils ne sont donc qu’à moitié citoyens de ce pays, ce qui n’est pas normal. Dans ces conditions, ils ne peuvent pas bénéficier légalement des services publics, ils ne peuvent pas se connecter légalement au réseau d’électricité ou s’inscrire à une auto école et ainsi de suite. Fréquenter les cours du primaire est difficile à cause du manque de pièces d’identité. En Roumanie, les habitats informels formés à l’extérieur des villes ou des villages comptent entre 3.000 et 6.000 personnes. Ces zones ne figurent pas sur les cartes des localités, ni dans les documents des municipalités. Ce sont des territoires qui n’appartiennent à personne ; ces endroits sont marqués sur les cartes par une hachure qui indique un pré, une zone touchée par des glissements de terrain, un endroit où les habitants de la ville ou du village en question jettent les déchets. »
C’est le cas – devenu notoire il y a quelques années – des gens de Pata-Rât. Située dans la banlieue de la ville de Cluj, près de la déchèterie, cet habitat informel comptait quelque 300 familles pauvres et pour la plupart d’ethnie rom, évacuées du centre ville. S’y sont ajoutés des habitants des villages situés à proximité, qui y cherchaient des moyens de subsistance. La municipalité a voulu renoncer à cette déchèterie et y construire une autre, écologique. Cela aurait signifié une nouvelle évacuation des gens de Pata-Rât, déjà confrontés aux problèmes propres à la vie sur un terrain abandonné. Bogdan Suditu. « Certains de ces habitats sont formés de gens que le village a bannis et obligés à s’y installer, après quoi il les y a oubliés. C’est le cas de l’habitat informel de Valea Corbului. En 1950, l’Etat roumain a dit à une quarantaine de familles : « Vous allez vous installer là ! » Et il les y a oubliés pendant 60 ans. De nos jours, on a constaté que 1300 personnes y vivent, la localité s’étant développée dans des conditions partiellement illégales. La responsabilité est partagée et nous devons tous l’assumer. »
Valea Corbului est un village du département d’Argeş (dans le sud de la Roumanie), à la périphérie duquel s’est constitué un habitat informel comptant 3.000 habitants sans accès aux services communaux. Marius Păcuraru est un de ces habitants. :« En 2001-2002, le village de Valea Corbului s’est agrandi, des maisons étant construites dans la zone que j’habite à présent. Pour tout le monde, ce fut un peu pareil. Mes parents, par exemple, qui n’avaient pas de maison, y sont allés, y ont mesuré un lopin de terre et c’est là que j’habite maintenant. Ce qui est triste, c’est que les lignes à haute tension passent au-dessus de ma cour. Le courant y mesure au moins 40.000 Volts et cela a un impact sur notre santé. Les lignes passent au-dessus de mon potager. Si j’y travaille pendant deux heures, j’ai mal à la tête et je commence à me sentir mal. Mes enfants, non plus, ne se sentent pas bien. Si j’avais connu les désavantages de ce lieu, si les autorités m’en avaient informé, je n’y aurais pas bâti ma maison. En outre, un tiers des habitants de Valea Corbului n’ont pas accès aux réseaux d’eau et d’électricité. En 2014, un groupe d’habitants a tenté de démarrer un projet financé par des fonds européens ; ils ont constaté avec surprise qu’ils ne pouvaient rien faire sans titres de propriété. Tout s’est donc arrêté là. »
La capitale roumaine, Bucarest, connaît, elle aussi, des problèmes similaires. Dans le quartier de Ferentari, le plus pauvre et confronté aux plus grands défis, il n’y a pas d’habitats informels. Il existe pourtant des habitations informelles et des habitants qui n’ont pas accès aux services communaux. Récemment, un des distributeurs d’électricité, la compagnie ENEL, par ses programmes de responsabilité sociale corporative (RSC), a aidé des gens de ce quartier à se brancher au réseau d’électricité. Rodica Păun, médiatrice communautaire et habitante de longue date du quartier, y a contribué. : « Il n’y a pas que le problème des papiers d’identité, des contrats de location et des contrats de vente-achat, il y a aussi le problème de la pauvreté, le problème des rats… Ne possédant pas de papiers d’identité, les gens n’ont pas eu accès à l’éducation, ils n’ont pas d’emplois, car personne ne vous embauche sans papiers et sans éducation. Par l’intermédiaire de la compagnie ENEL, nous avons réussi à faire brancher une centaine de personnes au réseau électrique. Tous les cas ne sont pas complètement solutionnés. Il y a des zones où les gens n’ont pas de titres de propriété, ils sont tout au plus en possession d’un reçu écrit à la main ou d’une copie de ce reçu. Ils n’ont pas de permis de construire. Et sans permis de construire on ne peut pas signer un contrat avec un distributeur d’électricité. Les gens qui habitent un immeuble à plusieurs étages se branchent plus facilement, mais pour une maison individuelle, le branchement n’est pas possible sans permis de construire. Les gens qui ne possèdent pas les documents nécessaires n’ont pas non plus accès au réseau d’eau ou aux services de salubrité. »
Ces gens-là ne peuvent être aidés que par une meilleure communication et coopération entre les autorités, les fournisseurs de services et la communauté. Pourtant, pour résoudre ce problème, on doit commencer par le reconnaître et l’assumer. Bogdan Suditu. : « Ce phénomène n’est pas spécifique à la Roumanie. Il a été spécifique des pays depuis l’Europe Occidentale – à commencer par la France, l’Espagne et le Portugal – jusqu’aux pays de l’Est du continent et des Balkans. La situation a été graduellement résolue, car elle a été reconnue et assumée. Il y a un premier pas à faire : que le législateur, celui dont émanent les règles, dise : «Oui, ce problème existe, il y a des gens qui vivent là-bas, ils ont commis une erreur ou pas, en construisant leurs maisons, ils ont respecté la loi ou pas. A présent cherchons des solutions ». Eh bien, chez nous, ce n’est pas le cas. En Roumanie, ce phénomène n’est pas encore officiellement reconnu et assumé. (Trad. Dominique)