Expériences roumaines dans les camps de réfugiés
Christine Leșcu, 31.08.2016, 14:04
La Roumanie s’est engagée, aux niveaux institutionnel et politique, à accueillir 6.200 réfugiés par le mécanisme de relocalisation mis en place par l’UE. La situation des migrants suscite des disputes et éveille la curiosité des gens, qui éprouvent aussi de l’empathie à l’égard des femmes et des enfants surtout. C’est justement cette empathie, ainsi que l’intérêt professionnel, qui ont poussé la photographe roumaine Ioana Moldovan à se rendre en 2013 dans le camp de réfugiés syriens de Zataari, en Jordanie.
A cette époque – là, les gens qui y vivaient ne comptaient pas quitter le camp qu’ils avaient même aménagé pour le rendre plus accueillant, raconte Ioana Nicolae : « Le camp de Zataari était devenu une petite ville, avec de petits commerces et des tavernes longeant la rue qu’ils avaient baptisée en rigolant Champs Elysées». J’ai vu naître et se développer une communauté de près de 120.000 personnes, qui avaient fui la guerre et qui, d’une façon ou d’une autre, essayaient de commencer une nouvelle vie. Certains réfugiés dormaient sous la tente, d’autres dans des conteneurs, mais tous nourrissaient l’espoir de rentrer au bercail, un beau jour. Tel n’était pas le cas des réfugiés qui avaient pris la route de l’Europe ».
Ioana Moldovan a accompagné les réfugiés en route vers l’Europe, plus précisément en Serbie, Croatie, Macédoine et en Grèce. La plupart d’entre eux rêvaient d’atteindre l’Allemagne, perçue comme un pays de cocagne. Ce qui a beaucoup interpellé la photographe roumaine, c’est la ténacité dont ils font preuve pour accomplir leur rêve : « Ce qui m’a touchée le plus, je crois, c’étaient leur courage et leur détermination. Et il en faut beaucoup, sans nul doute, pour se lancer dans une telle aventure, pour supporter le calvaire des nuits blanches ou des traversées périlleuses sur des embarcations de fortune. J’ai pu lire sur leurs visages la frustration ou la fatigue, mais le pessimisme – jamais ».
Les premiers réfugiés ayant atteint l’Europe par la mer étaient surtout des hommes. Maintenant, la tendance s’est inversée. L’arrivée massive de femmes et d’enfants confère une dimension encore plus tragique à la situation, ce que les photos d’Ioana Moldovan réussissent très bien à saisir : « Alors que dans les camps de réfugiés, les femmes, surtout les mères, avaient forgé un environnement familial en quelque sorte et réussi, tant bien que mal, à gérer la situation, cela n’est plus possible pendant leur acheminement vers l’Europe. Les conditions d’hygiène ont longtemps été précaires. J’ai vu des mères contraintes de changer les couches de leurs bébés sur la plate-forme d’un train ou en plein champ ».
Impressionnée par les informations véhiculées sur les réseaux sociaux en 2015, une autre Roumaine, Alina Petcu, a démissionné de l’entreprise publique où elle travaillait comme économiste pour se rendre à Lesbos. Elle voulait voir de ses propres yeux l’île grecque sur laquelle elle avait passé tant de séjours agréables transformée en camp de réfugiés. Voici son témoignage: « Les premiers jours, j’ai visité un camp destiné aux personnes vulnérables, à savoir celles qui avaient perdu des proches, femmes, frères, sœurs ou enfants, morts noyés lors de la traversée en canot. Il y avait aussi des orphelins, car leurs parents avaient disparu dans les mêmes circonstances. Plus tard, je suis allée dans le nord de l’île, à Molyvos, où j’ai rejoint une association de bénévoles. J’ai beaucoup travaillé dans le port et dans un camp de transit. On y recevait les réfugiés, avant de les diriger vers la capitale de l’île pour les enregistrer. Les bénévoles travaillaient par relais, de sorte à pouvoir les aider 24 heures sur 24 ».
Alina a été très émue de constater qu’en dépit des conditions anormales de vie, les femmes du camp s’efforçaient de se comporter aussi naturellement que possible. Alina Petcu : « Quand je suis arrivée, j’ai vu des femmes de conditions sociales très diverses et au statut éducationnel différent, depuis les illettrées jusqu’aux enseignantes, médecins ou pharmaciennes. Une femme qui venait de poser le pied sur le sol grec a mis au monde un enfant. Elle était accompagnée de son mari et d’un petit. La bénévole qui avait fait office de sage-femme en était à sa première expérience de ce type. La femme a donc accouché là, à même la terre, parmi tant de monde. Le médecin est arrivé après. J’y ai aussi croisé bien des femmes seules. C’étaient des étudiantes, qui avaient décidé de quitter le pays natal à la recherche d’une vie meilleure. Elles avaient l’air très cosmopolite et ne portaient pas le voile. »
Conformément au mécanisme de relocalisation mis en place par l’UE, la Roumanie a jusqu’ici annoncé qu’elle allait accueillir 315 réfugiés, dont 190 venant d’Italie et 125 de Grèce. Les 15 réfugiés déjà arrivés en Roumanie début mars sont âgés de 7 mois à 50 ans. Tous se trouvent au centre d’hébergement de Galati. L’effort de la Roumanie visant à intégrer les demandeurs d’asile est plus ample que ça, affirme Ana Neamţu, experte à l’Inspection générale de l’immigration : « La Roumanie se prépare également à faire face au flux migratoire imminent qui arrivera à ses frontières aussi. Cela se traduit par la mise en place de camps pour les réfugiés. Baptisés « centres intégrés », ces camps sont gérés par la Police des frontières. Hormis cela, la Roumanie continue de gérer un flux d’immigrants relativement constant. En 2015 on a recensé quelque 1200 demandes d’asile, un nombre similaire à ceux enregistrés durant les deux années précédentes. Environ 500 personnes ont obtenu en 2015 une forme de protection de la part de l’Etat roumain. La plupart des personnes ayant demandé l’asile ou bénéficié d’une forme de protection, ces deux dernières années, proviennent de Syrie. La Roumanie dispose de 6 centres d’hébergement avec une capacité d’accueil de 1700 places et se prépare à ouvrir d’autres centres aussi, si nécessaire ».
Le sort des femmes réfugiées a attiré l’attention du Parlement européen aussi, qui a approuvé un rapport relatif à l’importance de la dimension du genre dans l’élaboration des politiques et des procédures d’asile. (trad.Mariana Tudose)