Démissions et réajustements sur le marché du travail roumain
La
deuxième année de la pandémie, 2021, a été le théâtre d’un phénomène inhabituel
voire inattendu sur le marché du travail : une vague importante de
démissions. L’expression « the great resignation » (la grande
démission) est apparue aux Etats-Unis, et le phénomène s’est répandu dans le
reste du monde. La Roumanie n’a pas été épargnée. Un récent sondage prouve que
cette vague est bien arrivée jusqu’à chez nous, comme nous l’explique Raluca
Dumitra, manager en communication au sein d’une plateforme en ligne pour la
recherche d’emplois.
Christine Leșcu, 10.08.2022, 14:05
La
deuxième année de la pandémie, 2021, a été le théâtre d’un phénomène inhabituel
voire inattendu sur le marché du travail : une vague importante de
démissions. L’expression « the great resignation » (la grande
démission) est apparue aux Etats-Unis, et le phénomène s’est répandu dans le
reste du monde. La Roumanie n’a pas été épargnée. Un récent sondage prouve que
cette vague est bien arrivée jusqu’à chez nous, comme nous l’explique Raluca
Dumitra, manager en communication au sein d’une plateforme en ligne pour la
recherche d’emplois.
« Les
candidats sont moins enclins à faire des compromis. Dans une étude récente faite en début
d’année, 21 % des personnes interrogées déclaraient être prêtes à démissionner
sans garantie d’avoir trouvé un autre travail. C’est un pourcentage assez
élevé, que les employeurs devraient garder à l’esprit, surtout maintenant que
les restrictions liées à la pandémie ont été levées. Beaucoup d’entreprises
vont probablement vouloir faire revenir leurs employés dans les bureaux, alors
que les candidats vont exiger davantage de flexibilité dans leur emploi du
temps. C’est un facteur dont il faudrait tenir compte et garder aussi à
l’esprit que faire revenir trop brusquement les employés au bureau pourrait
pousser les salariés à démissionner. L’optimisme inébranlable des candidats est
aussi intéressant. 75 % d’entre eux environ estiment pouvoir retrouver du
travail en moins de trois mois. C’est énorme, et cela s’explique très
simplement : la Roumanie fait face à un déficit chronique de candidats. Les
plus qualifiés trouveront donc facilement un travail qui corresponde à leurs
attentes en moins de trois mois. »
Petru
Păcuraru, directeur d’une entreprise spécialisée dans la formation en
Ressources humaines, confirme l’existence de ce phénomène et en explique
l’origine :
« L’une des
raisons, c’est l’incertitude qui a régné tout au long de l’année 2020. Peu ont
pris le risque de changer de travail durant cette période. Ce qui explique que
cela se soit reporté sur l’année 2021. 2020 est l’année avec le taux le plus
bas de démissions et de changement de travail de l’histoire de l’humanité. Un
second facteur est le retour au travail dans les bureaux. Beaucoup se sont
habitués au télétravail à tel point qu’aujourd’hui il s’est transformé en
critère essentiel dans les recherches d’emploi. J’ajouterais un troisième
facteur : en dépit des problèmes économiques, beaucoup investissent leur
argent dans des choses qui coûtent cher. Or, en période de crise, beaucoup se
sont interrogés sur ce qui comptait vraiment à leurs yeux. Ainsi, certains qui
gagnaient bien leur vie et n’osaient pas changer par crainte de perdre de
l’argent ont fini par trouver le courage de partir pour se rapprocher de
métiers moins lucratifs, mais qui leur plaisaient davantage. »
Petru
Păcuraru reconnaît toutefois que ceux qui osent franchir le pas, en
démissionnant sans avoir aucun filet de sécurité, ont souvent un statut
financier et professionnel supérieur à la moyenne :
« Je pense qu’en se penchant sur la
démographie, on observera très certainement que ceux qui osent franchir le pas
ont entre 30 et 35 ans et ont un niveau de vie et de formation supérieurs à la
moyenne. Et lorsqu’ils choisissent de démissionner, ils n’ont parfois même pas
encore de piste pour un nouveau travail. Prenons l’exemple de ceux qui
travaillent à un rythme effréné et qui sont constamment sous pression, ce qui
peut les conduire à l’épuisement. Leur décision de démissionner n’est pas liée
au fait d’avoir trouvé autre chose ailleurs, mais plutôt à l’instinct de
survie. »
A
première vue, la volonté de démissionner sans avoir de plan B peut être
interprétée comme un excès d’optimisme. L’évolution récente du marché du
travail semble donner raison à ceux qui sont convaincus qu’une meilleure
opportunité professionnelle va se présenter. Nous retrouvons à nouveau Raluca
Dumitra :
« Le mois dernier par exemple, on
dénombrait 38 000 nouveaux postes à pourvoir sur notre plateforme, soit 13 % de
plus que le mois précédent. Or cette période correspond au début de la guerre
en Ukraine. On peut donc conclure que les gens choisissent de changer de
travail, même dans des contextes difficiles. Nous recevons environ 900 000
candidatures par mois. Le nombre de démissions est donc constant et s’explique
par le désir des candidats de trouver un meilleur emploi. Le nombre de
candidatures est toutefois en baisse si l’on compare avec les chiffres de
l’année dernière couvrant la même période. Mais c’est normal puisque l’année
dernière nous avons enregistré un nombre record de dépôts de candidature. A la
même époque l’année dernière, le marché du travail n’était pas aussi favorable
aux candidats. A l’époque, les employeurs étaient en position de force. Un
autre aspect important doit être pris en compte : 8 Roumains interrogés sur 10 affirmaient vouloir
prioritairement démissionner et assuraient avoir déjà commencé à chercher autre
chose. Cela se reflète aussi dans le nombre élevé de candidatures que nous
recevons constamment. »
Il est clair que certains secteurs
recrutent plus que d’autres. C’est le cas par exemple de la vente au détail,
des transports, de l’hôtellerie-restauration ainsi que des centres d’appel et
du domaine de l’informatique. Raluca Dumitra estime donc que le marché du
travail va rester dynamique, malgré la pandémie et la guerre en Ukraine.
« La comparaison avec le phénomène de
démission observé aux Etats-Unis n’est pas pertinente. Je ne pense pas que nous
en arrivions là, ce n’est pas la même culture, ni la même mentalité. Mais les
Roumains sont de plus en plus conscients qu’il est facile de trouver du
travail, même dans un contexte de guerre ou de pandémie. Cela les rend plus
confiants, même s’ils n’ont pas toujours de plan B. Le nombre important
d’offres d’emploi va bientôt conduire à une vague de démissions. Il est certain
que tout ceci est à replacer dans le contexte géopolitique actuel. Même la
signature d’un armistice entre l’Ukraine et la Russie ne changera pas la
dynamique actuelle du marché du travail. Par conséquent, nous allons assister à
une vague de démissions de plus en plus importante », a estimé notre interlocutrice Raluca Dumitra, manager
en communication au sein d’une plateforme en ligne pour la recherche d’emploi. (Trad :
Charlotte Fromenteaud)